Cahier du « Monde » No 22220 daté Jeudi 23 juin 2016 - Ne peut être vendu sépar

Cahier du « Monde » No 22220 daté Jeudi 23 juin 2016 - Ne peut être vendu séparément Le jeu de piste est savoureux. Emprun- ter une de ces « routes des vins » qui ennoblissent le paysage français, admirer le vignoble alentour, entrer dans un vil- lage de vignerons, chercher la pancarte indiquant le domaine que l’on recherche, ne pas la trouver, fureter dans les ruelles, repérer d’autres enseignes juste au cas où, et apercevoir enfin, au détour d’un vi- rage, l’exploitation convoitée. La dégusta- tion est une récompense. Pour l’amateur qui y consacre sa journée, les obstacles de la flânerie viticole sont monnaie courante. Ils donnent même du charme à l’exercice. Mais, pour les 2,5 millions d’étrangers qui visitent chaque année nos vignobles, ou pour quiconque souhaite un parcours balisé, l’expérience peut déconcerter. La France manque-t-elle d’infrastructu- res et de dynamisme en matière d’œno- tourisme ? Certes. Mais elle ne manque pas de ressources. L’offre s’étoffe, les initiatives se concrétisent. Le tourisme du vin se pratique aujourd’hui de mille manières : croquer dans un pique-nique berrichon au milieu des vignes sancer- roises ; admirer des sculptures de Louise Bourgeois un verre à la main ; se faire masser dans un spa qui propose un « gommage Crushed Cabernet » ; photo- graphier des chais toujours plus specta- culaires, conçus par des architectes stars comme Jean Nouvel ou imaginés par des designers tel Philippe Starck… L’œnotou- risme ne peut que gagner du terrain. D’autant que nos trois régions phares ont reçu de quoi les motiver : la Champa- gne et la Bourgogne sont désormais inscrites au Patrimoine mondial de l’Unesco. Et Bordeaux a inauguré, le 31 mai, une impressionnante Cité du vin de huit étages, pour 81 millions d’euros. Ça tombe bien, il paraît que le millésime 2015 est excellent et permet au jus bordelais de renouer avec ses racines. Vous avez tout l’été pour vous préparer au marathon du Médoc, 42 kilomètres entre les vignes, balisés de dégustations de grands crus. Ou à ceux de Champa- gne, de Provence, de Bourgogne, d’ Alsace, d’ailleurs. Qui oserait dire que l’œnotourisme n’est pas une activité sportive ? p michel guerrin et ophélie neiman Lire pages 6 à 11 De la romanée-conti au petit pinard du supermarché, deux mondes régis par une loi de l’offre et de la demande peu rationnelle L’humoriste Gaspard Proust chez le caviste parisien De Vinis Illustribus, le 3 juin. FRÉDÉRIC STUCIN/PASCO POUR « LE MONDE » 4 ▶ Bordeaux Millésime 2015 : le retour aux sources 5 ▶ Portrait Ariane Khaida, reine du négoce ▶ Chronique Le vin « tout seul, tout cru, sans fard », par Sandrine Goeyvaerts 10-11 ▶ Portfolio Les maîtres de l’architecture et du design revisitent les chais 12-13 ▶ Sélection Nos bons plans de bordeaux 14-15 ▶ Reportage Au Liban et en Syrie, des vignes au cœur de la guerre Gaspard Proust, buveur sentimental L’œnotourisme, des chemins à défricher LE PRIX D’UNE BOUTEILLE EST-IL TOUJOURS JUSTIFIÉ ? PA G E 1 7 PAGE 3 Allocataire direct Achats à l’unité, bouteilles et grands formats Conseils de nos sommeliers Vos achats primeurs en toute sérénité WWW.CHATEAUPRIMEUR.COM - TÉL. 05 56 43 96 63 L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, SACHEZ CONSOMMER AVEC MODÉRATION. «SEULEMENT LE MEILLEUR» DEVISE DE GEORGES H. MUMM Depuis 1827, la Maison Mumm élabore ses cuvées à partir de raisins provenant des meilleurs crus de la Champagne, conformémentàladeviseexigeantedeGeorgesHermannMumm. Prix du vin : l’ivresse des extrêmes Le marché des premiers crus s’est emballé alors que la majorité des bouteilles reste sous les 30 euros. Question d’image et de notoriété E n un coup de marteau, la cote d’Henri Jayer a encore fait un bond. Lors d’une vente aux enchères mémorable de Sotheby’s, à Londres, en mai dernier, une caisse de douze bouteilles de richebourg 1978 du my- thique viticulteur de Vosne-Romanée, décédé en 2006, a été adjugée 278 000 euros. Nouveau record qui confirme sa première place au classe- ment des vins les plus chers du monde, tous millésimes confondus, établi par le site Wine- Searcher en 2015. Pour le millésime en cours, en revanche, c’est son voisin, le Domaine de la Romanée-Conti, qui reste le plus onéreux. Prix moyen : 13 000 dollars la bouteille, et un site ose même le proposer à 59 000 dollars. Voilà pour le rêve à l’état liquide. Retour à la réalité, France- AgriMer publie son bilan 2015 des ventes de vins en France, et le constat est bien différent : nous dépensons en moyenne 2,63 euros pour une bouteille. Et 3,24 euros quand nous achetons en grande surface. De la romanée-conti au petit pinard jeté dans le chariot du supermarché, deux mondes gouvernés par une loi de l’offre et de la demande pas toujours rationnelle. D’un côté, les bouteilles les plus prestigieuses – et les plus médiatiques – ont vécu un envol insensé. A Bordeaux, les premiers crus ont aug- menté de 700 % entre 1986 et 2012. En lien direct, l’émergence de nouveaux acheteurs prêts à mettre le prix pour un précieux flacon : des collectionneurs américains, galvanisés par les notes du critique Robert Parker, rapidement rejoints par une clientèle fortunée de Chine, du Japon ou de Taïwan, quand les acquéreurs étaient jusque-là principalement français et anglais. La demande mondiale est multipliée par dix alors que la production, elle, stagne, voire diminue avec des rendements resserrés. Simple logique économique, les prix montent. Et voilà que les quinze plus chics châteaux bor- delais créent l’un des produits les plus rentables de tout l’univers du luxe. Car le coût de fabrica- tion, lui, n’augmente pas ou si peu. Benoist Sim- mat, journaliste économique, reste stupéfait par les chiffres obtenus pour son livre d’enquête Bor- deaux Connection (First Document, 2015) : « Pierre Lurton, de Cheval Blanc, a accepté de me donner une estimation. Une de ses bouteilles coûte à peu près 35 euros à produire, ce qui est déjà très élevé pour un vin. Pour 60 000 bouteilles ven- dues en moyenne à 500 euros, vous obtenez un bénéfice avant impôt de 28 millions ! » Mais si l’opération est juteuse pour les premiers grands crus, elle est en revanche très différente pour les autres crus classés. « Ils coûtent deux fois moins cher à produire, mais se commercialisent autour de 30 euros, explique le journaliste. La marge n’est plus la même et, dans les millésimes qui se vendent mal, la plupart ne font aucun bénéfice. C’est très dur d’être un troisième ou quatrième cru classé. Et je ne parle même pas des centaines de producteurs non classés du Bordelais qui émar- gent au RSA ! Il y a une grande pauvreté chez les viticulteurs de la région. » Car les bordeaux génériques échappent totale- ment à cette bulle spéculative. Ils n’ont en revan- che monté leurs prix que de 25 % en moyenne durant la même période. Au Syndicat des vigne- rons de bordeaux et bordeaux supérieur, Cathe- rine Alby n’a pas le cœur à se réjouir : « Il y a trois ans, une bouteille de bordeaux sortait de chez le vigneron en moyenne à 1,80 euro, sachant qu’elle coûte environ 1 euro à produire. Cette année, c’est moins terrible, on peut même parler de valorisa- tion importante : 2,60 euros pour les bordeaux et 3,20 euros pour les bordeaux supérieurs. Ces derniers se retrouveront à la vente au grand public à 6,50-7 euros. » Un prix doublé puisque, au passage, négociants et distributeurs auront appliqué leurs marges. Un « monde subjectif » En Bourgogne, où, jusque dans les années 1940, une bouteille coûtait souvent moins cher qu’un cru du beaujolais, la machine s’est emballée ces dix dernières années, devant la rareté et les coûts du foncier. Face aux dizaines de milliers de bou- teilles sorties par un château girondin sur un mil- lésime, il n’existe que 6 000 bouteilles de roma- née-conti. Et un vigneron comme Henri Jayer ne produisait que 3 500 bouteilles par an. L’établisse- ment Legrand Filles & Fils, à Paris, vend du vin depuis 1880. On y trouve les flacons les plus remarquables. Quand les prix ont commencé à flamber… la cave a suivi. A sa tête, Gérard Sibourd- Baudry assume cette augmentation. Et même, l’encourage : « Ce n’est pas très différent du marché de l’art. Je suis comme un galeriste. Mon métier consiste à dénicher un vigneron de talent et à le his- ser le plus haut possible. Alors, bien sûr qu’on parti- cipe à faire monter les prix ! Le vin vaut l’image qu’on lui prête, comme un tableau. En France, c’est un bien de consommation courante, donc on ne parvient pas à le voir autrement. Mais des pays qui découvrent le vin y voient une œuvre d’art. » C’est ainsi que, même dans des régions où les prix res- tent relativement bas, les bouteilles de vignerons stars dépassent allègrement les 50 euros : Clos Rougeard ou Didier Dagueneau dans la Loire, Zind-Humbrecht ou Weinbach en Alsace, Rayas dans le Rhône, Trévallon dans les uploads/Geographie/ dos 2 .pdf

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