Cahiers de la Méditerranée Le contact des cultures israéliennes et franco-médit

Cahiers de la Méditerranée Le contact des cultures israéliennes et franco-méditerranéennes d'après quelques recherches littéraires récentes David Mendelson Citer ce document / Cite this document : Mendelson David. Le contact des cultures israéliennes et franco-méditerranéennes d'après quelques recherches littéraires récentes. In: Cahiers de la Méditerranée, n°29-30, 1, 1984. Israël et la Méditerranée. pp. 91-123; doi : https://doi.org/10.3406/camed.1984.969 https://www.persee.fr/doc/camed_0395-9317_1984_num_29_1_969 Fichier pdf généré le 13/05/2018 LE CONTACT DES CULTURES (ERETZ) ISRAELIENNE ET FRANCO-MEDITERRANEENNE D'APRES QUELQUES RECHERCHES LITTERAIRES RECENTES Les chercheurs israéliens ne se sont guère préoccupés pendant très longtemps, de relier la culture qui s'est développée dans leur pays, depuis la résurgence du fait national juif, à la fin du XIXe siècle, et la création de l'Etat, en 1948, à celle de son environnement immédiat et méditerranéen, traditionnellement ouverts à l'influence française, alors même qu'une grande partie de sa population provenait de pays partiellement francophones (le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, l'Egypte, le Liban et la Syrie) ou qui se réclamaient, sur le plan intellectuel (sur place, en Turquie, en Grèce, en Iran et en Roumanie), de certaines attaches avec la France. C'est que les traits dominants de cette culture ont été déterminés, à l'époque du mandat britannique, par les vagues de pionniers venus d'Europe orientale et qu'elle a dès lors visé, essentiellement, à étayer la conscience nationale juive, en l'arrachant aux forces centrifuges de la Diaspora, en développant ses sources spécifiques et en la protégeant, enfin, de l'hostilité arabe, ce qui l'amena, dans une certaine mesure, à se replier sur elle-même. L'Etat, par la suite, repoussé par son environnement et soucieux d'assurer, en premier lieu, son existence physique et matérielle, tendit à se conformer au modèle technologique occidental, à prédominance américaine. Dans la mesure, enfin, où le monde arabe, dégagé de ses dernières entraves coloniales, fortifiait sa propre identité, cependant que les communautés juives s'y étaient à peu près résorbées, il sembla qu'un éventuel dialogue entre les deux cultures s'engagerait, désormais, par la voie directe et sans tenir compte, par conséquent, de leur ancienne composante francophone. Depuis quelques années, cependant, certaines de ces options sont remises en question, au moins en partie, par une nouvelle évolution que d'aucuns seraient tentés de ramener à de simples données statistiques -la population dite "sépharade"- - 92 - originaire des pays de l'Islam et du bassin méditerranéen, étant devenue majoritaire- et à un "renversement" politique -celui de "l'Alliance" travailliste par la "Coalition" dirigée par Mena- hem Begin- qui a paru répondre, notamment, à ses revendications. Or celles-ci se fondent sur une contestation d'ordre social, et surtout culturel, qui ne se réduit pas à cette seule dimension politique et qui pourrait bien trouver, à plus long terme, de tout autres expressions. Il apparaît nécessaire, dès lors, de la spécifier, en la reliant, non seulement aux réalités du moment, mais aux traditions dont elle découle et qui se sont si longtemps préservées au contact des milieux arabe et franco-méditerranéen. La récente ouverture vers le monde arabe, d'autre part, marquée notamment par l'accord avec l'Egypte, s'est traduite par l'aggravation du conflit avec la population arabe palestinienne, mais aussi par la redécouverte de l'entité libanaise, fortement imprégnée de culture française. De là, en général, un regain d'intérêt pour la composante francophone de ces cultures et, en premier lieu, pour celle des communautés judéo-méditerranéennes, dont les diverses expressions commencent, dès lors, à être étudiées, non seulement du point de vue folklorique, comme ce fut longtemps le cas (1), mais à travers ses formulations littéraires et para- littéraires les plus élaborées. C'est sur ce dernier plan, en effet, qu'il conviendrait le mieux, peut-être, d'aborder une recherche qui risque d'être entravée au niveau des grandes options idéologiques et politiques, par les préjugés monocentristes régnants : la culture israélienne doit encore se défier de ses tendances centrifuges et l'option du "fondamentalisme", dans le monde de l'Islam, ne peut que s'opposer à toute tentative de diversification culturelle. L'évolution récente de la théorie de la culture et de la littérature, par contre , permet, là comme ailleurs, de mieux concevoir comment celles-ci, lors même qu'elles semblent se circonscrire en un système clos, strictement régi par les modèles de leurs "textes fondateurs", s'ouvrent, en fait, surtout dans leurs périodes d'élaboration, de crise et de renouvellement, à une multitude de contacts à la fois linguistiques, culturels et littéraires -lesquels se manifestent, plus précisément, par une recrudescence de phénomènes de polyglossie, de traductions et d'écrits paralit- téraires (correspondances, articles de journaux, journaux de voyages, autobiographies, romans d'aventures, littérature enfantine, etc..) moins assujettis, d'une part, aux aspirations de certaines catégories de lecteurs (femmes, enfants, etc..) moins assujettis, d'une part, aux censures et aux canons littéraires - 93 - et plus ouverts, de l'autre, aux aspirations de certaines catégories de lecteurs (femmes, enfants, etc) ou de "minorités culturelles" (parfois majoritaires !) destinées, en principe, à s'émanciper (2). C'est ce genre de matériau, de fait, que les chercheurs israéliens commencent à recueillir et à recenser dans les fonds les plus divers (bibliothèques publiques et privées, archives familiales, etc..) et leurs récents acquis semblent ainsi démontrer, entre autres, que la culture (eretz) israélienne, contrairement aux apparences, ne s'est jamais tout à fait coupée de sa composante et de son environnement franco-méditerranéens. A l'origine, c'est-à-dire dans la deuxième moitié du XIXe siècle, ce contact s'était déjà établi par les voies les plus diverses. La population juive du pays, en effet, était, dans sa majeure partie, d'origine méditerranéenne et elle entretenait des rapports suivis avec les communautés installées, notamment, en Afrique du Nord, où elles étaient plus ou moins soumises à l'autorité de la France. Celle-ci, d'autre part, jouissait d'un statut particulier, depuis la signature des Capitulations, auprès de la Sublime Porte, qui régnait sur le pays comme sur ceux du Proche-Orient et d'une grande partie du sud du bassin méditerranéen, où vivaient les autres communautés de la même origine. C'est ainsi que le Consulat de France à Jerusalem cherchait à étendre son influence en intervenant, notamment, dans les différents qui opposaient les diverses parties de la population locale : ressortissants français et européens, bien sûr, mais aussi arabes musulmans et chrétiens, communautés chrétienne-orthodoxe et arménienne, missions catholiques et protestantes et enfin juifs "ashkénazes" (venus, surtout, d'Europe orientale) ou "sépha- rades" (originaires, à proprement parler, d'Espagne ou des pays du bassin méditerranéen). Ces derniers, se réclamant de leurs attaches familiales, se tournaient volontiers vers la France. Les plus aisés d'entre eux, d'autre part, formaient une sorte de bourgeoisie de notables, qui les représentait auprès des autorités, et notamment auprès des autorités françaises. Leurs lettrés avaient ainsi acquis l'usage du français, langue des diplomates, et aimaient à évoquer le souvernir de Napoléon, toujours présent dans le pays, où il avait émis le voeu de restaurer l'ancien royaume juif (3). Ils jouaient un rôle prépondérant, par ailleurs, dans la répartition (la "haloukah") des dons offerts par le judaïsme français, alors florissant, qui permettaient à la plus grande partie de la population, restée indigente, de subvenir à ses besoins. Ces dons, enfin, servaient à entretenir les écoles confessionnelles, les "yeshivoth", que concurrençaient celles - 94 - des missions chrétiennes, en partie françaises, où les plus déshérités des sépharades, lorsqu'ils s'estimaient injustement traités, envoyaient parfois leurs enfants. L'Alliance Israélite Universelle, en inaugurant le réseau de ses écoles, tout d'abord à Jérusalem, en 1880, puis dans les autres villes du pays (Jaffa, Safed, Tibériade et Haiffa), s'efforça, entre autres, de résoudre ce problème. Elle y instaura en effet, un programme d'enseignement général, inspiré de celui de la France, qui visa à surmonter les particularismes communautaires. Elle y développa, de plus, un enseignement professionnel qui permit à ses élèves, et plus particulièrement à ceux de l'Ecole d'Agriculture de Mikweh-Israël (près de Jaffa), de commencer à "moderniser" le pays. Elle y dispensa, enfin, un enseignement de civilisation (en principe universel, en fait marqué, là encore, par le modèle de la France) que ses instituteurs et ses "anciens" tendirent à faire rayonner autour d'eux. Le baron de Rothschild, de son côté, en créant le réseau de ses bourgades agricoles, les "moshavoth", tout d'abord à Rishon-LeZion et à Zikhone-Yaakov, puis dans le centre et le nord du pays, renforça cette évolution. Il y envoya, en effet, des administrateurs et des techniciens formés dans ses propriétés de France et d'Algérie, qui y imposèrent les méthodes de gestion et d'exploitation, ainsi que certaines productions -des fruits et des parfums, par exemple- de leur pays d'origine, tout en les ouvrant aux marchés français et européen. Les agriculteurs locaux, originaires d'Europe orientale, souffrirent de leur politique qui consistait, notamment, à monopoliser la main-d'oeuvre arabe salariée, et finirent même par s'insurger contre leur autoritarisme, mais s'imprégnèrent, dans une certaine mesure, de leur langue et de leur genre de vie. Les plus aisés d'entre eux constituèrent, au bout d'un certain nombre d'années, une petite bourgeoisie agraire, reliée par d'étroits liens de famille (les Aharonson, les Feinberg, les Makhness, etc) qui s'exprima assez couramment en français et se piqua, en général de culture française. Rishon-LeZion, par exemple, dont les habitants n'hésitaient pas à importer leurs toilettes, et même leur mobilier, de uploads/Geographie/ camed-0395-9317-1984-num-29-1-969.pdf

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