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PARCS AGRO-INDUSTRIELS EN RDC TIRER LES LEÇONS DE LA DÉBÂCLE DE BUKANGA LONZO PARCS AGRO-INDUSTRIELS EN RDC TIRER LES LEÇONS DE LA DÉBÂCLE DE BUKANGA LONZO Remerciements Ce rapport a été rédigé par Frédéric Mousseau. Il est le résultat d’une recherche de terrain effectuée par Oakland Institute et CEDEN (Cercle pour la défense de l’environnement) en juin 2018. Les informations et témoignages ont été obtenus par des entretiens individuels et des groupes de discussion avec les communautés locales, les anciens travailleurs du parc de Bukanga Lonzo, des experts et consultants en agriculture, des représentants de coopératives et d’organisations paysannes, des représentants religieux, ainsi que des responsables de l’administration locale. Nous les remercions tous et toutes d’avoir pris le temps de partager leurs points de vue et informations avec nous. Nous sommes profondément reconnaissants aux nombreux donateurs individuels et fondations qui rendent notre travail possible. Merci ! Conception graphique: Amymade, amymade@gmail.com, amymade.com Photo de couverture: terres défrichées au parc de Bukanga Lonzo Ce rapport est sous licence Creative Commons Attribution 4.0 International License (CC BY-NC 4.0). Vous êtes libre de partager, copier, distribuer et transmettre ce travail sous les conditions suivantes: Attribution: vous devez attribuer l’œuvre à l’Oakland Institute et à son auteur. Non Commercial: Vous ne pouvez pas utiliser ce rapport à des fins commerciales. Traductions: Si vous créez une traduction de ce rapport, veuillez ajouter la clause de non-responsabilité suivante à l’attribution: La traduction n’a pas été effectuée par l’Oakland Institute et ne peut pas être considérée comme une traduction officielle de l’Oakland Institute, qui ne peut être tenu responsable du contenu ou des erreurs dans cette traduction. Toutes les questions sur les droits et les licences sont à adresser à: The Oakland Institute PO Box 18978 Oakland, CA 94619 USA www.oaklandinstitute.org info@oaklandinstitute.org The Oakland Institute. 2019. En 2014, la République démocratique du Congo (RDC) lançait un programme visant à créer 22 parcs agro-industriels à travers le pays sur plus de 1,5 million d’hectares (ha).1 Le premier de ces parcs a vu le jour la même année en tant que projet pilote à Bukanga Lonzo, à environ 260 km au sud-est de la capitale Kinshasa. Créé dans le cadre d’un partenariat public-privé entre le gouvernement et Africom Commodities (A.C.), une société sud-africaine, le parc occupe 80 000 ha de terres destinées à la production de maïs et autres produits agricoles. Le gouvernement a alloué 92 millions de dollars de fonds publics au parc, ressources devant être gérées par Africom.2 Les activités ont démarré en 2014, avec des objectifs de production ambitieux. Le parc était alors salué comme un projet révolutionnaire pour le développement du pays. « Le temps est venu de transformer l’agriculture congolaise d’un secteur de subsistance en un puissant moteur de développement économique global », déclarait le président Joseph Kabila Kabange, en célébrant la première récolte du parc en mars 2015.3 Le plan ambitieux n’a cependant jamais été mis en œuvre. Trois ans après son lancement en grandes pompes, le projet pilote de Bukanga Lonzo s’effondrait en 2017. Le personnel sud-africain quittait le pays alors que les travailleurs locaux étaient licenciés. En juin 2018, Africom engageait une action en justice contre le pays devant la Cour internationale d’arbitrage de Paris pour non-paiement de leurs dépenses.4 Alors que les activités restent à l’arrêt, le gouvernement a annoncé en 2018 son intention de relancer le parc et de mettre en œuvre les 21 autres projets.5 Ce rapport analyse ce projet pilote et en tire des enseignements importants, qui devraient éclairer les futures décisions sur les investissements agricoles dans le pays et les plans du gouvernement et des deux institutions internationales qui encouragent et soutiennent les parcs agro-industriels, à savoir la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD). Au-delà des nombreux problèmes identifiés dans la conception et la mise en œuvre du projet, ce rapport montre que les parcs agro-industriels sont une fausse bonne solution aux défis auxquels font face la RDC et l’Afrique en matière de systèmes alimentaire et agricole et de lutte contre la pauvreté. Tout d’abord, la manière dont les terres ont été acquises correspond bien à la définition d’un accaparement de terres. Cela s’est fait de la manière la plus trompeuse et sans respecter les exigences légales qui auraient dû conduire à des évaluations, consultations et négociations appropriées. Les populations locales ont été induites en erreur sur l’objet du projet et sur les avantages escomptés. Elles ont été trompées en cédant leurs terres par la signature d’« Actes d’engagement » qui n’étaient en fait que des reçus pour des marchandises qu’on leur offrait « contre » leurs terres. Aujourd’hui, elles ont perdu l’accès à leurs terres et sont confrontées à la violence et à la répression de la part des forces de police affectées au parc. En outre, le projet industriel a eu pour conséquence la pollution de leur environnement et l’utilisation incontrôlée de produits chimiques nocifs, tels que le glyphosate,6 alors que les rivières situées à proximité du parc constituent la principale source d’eau pour la consommation humaine, la toilette et les jardins des villages environnants. Bien que le succès du parc ait été célébré dans les médias et lors d’événements publics, un audit fuité du projet7 fournit un tableau accablant de sa conception et de sa gestion. Il identifie de nombreux problèmes de mauvaise gestion et soulève de sérieuses suspicions de détournement de fonds et de corruption. La recherche effectuée par l’Oakland Institute et le Cercle pour la défense de l’environnement (CEDEN) confirme que la gestion de la production et des intrants agricoles a été désastreuse. Par exemple, d’importantes quantités de maïs du parc n’ont jamais été expédiées et ont été laissées à pourrir sur place, pour ensuite devoir être enterrées avec des intrants chimiques périmés dans l’enceinte du parc. 8 Le rapport révèle également la création d’une société minière en 2015 sous couvert du parc, qui, loin de l’objectif déclaré de sécurité alimentaire, avait pour but « la prospection, la recherche, l’exploitation, le traitement et les opérations connexes dont la commercialisation de substances minérales valorisables.»9 Enfin, le rapport détaille des pratiques épouvantables en matière de droits du travail et de conditions de travail pour les travailleurs locaux, notamment des licenciements collectifs du jour au lendemain en réaction à des grèves. Le personnel en incapacité à la suite d’accidents du travail se plaint de ne pas avoir reçu de soins adéquats, d’avoir perdu leur emploi et qu’au moins une personne est décédée des suites d’un accident du travail. Alors que ce premier parc a été conçu comme un projet pilote, bon nombre des problèmes identifiés dans ce rapport ne constituent pas des erreurs qui peuvent être corrigées et risquent fortement de se reproduire lors de la création de tout futur parc. Les parcs agro-industriels sont un mauvais modèle, basé sur de mauvaises hypothèses pour la RDC. Alors qu’il ne fait aucun doute qu’investir dans l’agriculture congolaise doit être une priorité, l’agriculture industrielle menée par des investisseurs étrangers n’est pas la solution pour améliorer la productivité et les revenus des ruraux congolais. Il n’est par ailleurs pas correct d’affirmer que les Congolais sont principalement des agriculteurs de subsistance car la plupart d’entre eux produisent en fait à la fois pour leur propre consommation et pour le marché. La vente de produits agricoles fournit 97% du revenu des paysans dits de subsistance. Cependant, ils sont confrontés à de nombreuses contraintes pour produire et commercialiser leurs cultures, telles que des infrastructures de transport et de stockage médiocres, des coûts de transport élevés et un manque de pouvoir de négociation avec Résumé www.oaklandinstitute.org les intermédiaires. En conséquence, ils tirent peu de revenus de leur production et n’ont aucune ressource à investir dans leurs fermes. Comme le demandent les organisations paysannes, plutôt que de prendre leurs terres pour les parcs agro-industriels, il faudrait répondre aux besoins des paysans, notamment en termes d’accès à de bonnes semences et au crédit, du transport, de la transformation et de la commercialisation de leur production.10 Les parcs agro-industriels suivent un modèle de développement que la Banque mondiale met en avant depuis plusieurs années en Afrique en encourageant les pôles de croissance, les corridors de développement et les zones d’investissement spéciales afin d’y attirer les investissements étrangers.11 Elle est en droite ligne avec les efforts déployés par la Banque pour privatiser les terres publiques et coutumières et les rendre disponibles pour l’agriculture industrielle.12 Avec la BAD et le gouvernement, la Banque mondiale offre des millions d’hectares de terres de RDC aux investisseurs potentiels dans les parcs agro-industriels.13 La Banque mondiale et la BAD sont les principaux financeurs de cette stratégie: elles sélectionnent les sites potentiels, financent et mènent des études de faisabilité pour les parcs, tout en ignorant de manière flagrante de nombreuses questions détaillées dans ce rapport, notamment l’accaparement des terres des communautés locales.14 Deux banques internationales qui sont censées être en charge du développement concentrent donc leurs efforts sur la mise à disposition de terres pour des entreprises privées. C’est étonnant dans un pays qui a déjà connu des décennies uploads/Geographie/ bukanga-lonzo-debacle-fr.pdf
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- Publié le Sep 14, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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