BAUDELAIRE Sa Vie et ~o~ Œ'M~rfe PAR CHARLES ASSELINEAU PARIS ALPHONSE LEMERRE,

BAUDELAIRE Sa Vie et ~o~ Œ'M~rfe PAR CHARLES ASSELINEAU PARIS ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR f'ASSACECHOISEUL, 47 M.UCCC.LXtX tmp SaJnton.. DeEsine.par B~dehire t8t6 !mp.A.SaJm< CM.v~pa.B B. p. ë jt'ain~et Gt'ayepM' Ma.ttst.tR65 bnp.A. Sajmon.. i.t-v-p~f Ma.')Et'~Cf) imp A ~M.ir 1 1 L'HOMME ET L'(ËUVRE Avie de Baudelaire méritait d'être écrite~ parce qu'elle eft le commentaire & le complément de fon oeuvre. Il n'était pas de ces écrivains atïidus &régu- liers dont toute la vie fe pane devant leur pu- pitre, & delquels~ le livre fermé, il n'y a plus rien à dire. Son oeuvre~on l'a dit fouvent, c(t bien lui- même mais il n'y eH pas tout entier. Derrière l'oeuvre écrite & publiée il y a toute gcneic. Au rebours du commun des hommes qui tra- vaillent avant de vivre & pour qui l'action eft la récréation après le travail, Baudelaire vivait d'abord. Curieux, contemplateur, analyieur, il promenait fa penfée de fpectacle en ipectacle& de cauferie en cauferie. Il la nourriffait des ob- jets extérieurs, l'éprouvait par la contradiction; & l'oeuvre était ainfi le réfumé de la vie, ou plutôt en était la fleur. Son procédé était la concentration; ce qui ex- plique l'intenûté d'effet qu'il obtenait dans des proportions reftreintes, dans une demi-page de profs, ou dans un fonnet. Amû s'explique encore fon goût panionné des méthodes de compofitiôn, fon amour du plan & de la conftruction dans les ouvrages de l'etprit, fonétude contante des com- binaifons & des procédés. Il y avait en lui quel- que chofe de la curiofité naïve de l'enfant qui ca(Ïefesjoujoux pour voir comment ils font faits. 11fe délectait à la lecture de l'article où Edgar Poë, fon héros, fon maître envié & chéri, expofe moyensp éc s p , q ,, p venu à produire un effet d'épouvante & de délire dans fon poëme du Cor~M. Baudelaire n'était certainement pas dupe du charlatanifme de cette genèfeà~o/?er!0r!; il l'approuvait même & l'ad- mirait comme un bon piège tendu à la badauderie bourgeoise. Mais en pareil cas, lui, j'en fuis fûr, il eût été de bonne foi. C'eft très-ïerieulement qu'il croyait aux miracles préparés, à la pouibilité d'éveiller chez le lecteur., deproposdélibéré & avec certitude~ telle ou telle ienfation. Cette convic- tion chez lui n'était qu'un corollaire de l'axiome célèbre de Théophile Gautier « Un écrivain qu'une idéequelconque, tombant du ciel comme un aérolithe, trouve à court de termes pour l'ex- primer, n'eft pas un écrivain véritable. » Baude- laire eût dit volontiers « Tout poëte qui ne fait pas être à volonté brillant, fublime, ou terrible, ou grotesque.,ne mérite pas le nom de poëte. » II s'eitvanté plus d'une fois de tenir école de poéue & de rendre en vingt leçonsle premier venu capa- ble de faire convenablement des vers épiques ou lyriques. H prétendait d'ailleurs qu'il exine des fupérieur qui juge fa propre force, & qui imagine que ce qui lui réunit réunirait à tout autre. M en eft de ces croyances au génie volontaire & à l'originalité apprife, comme de cette réponse de M. Corot le payfagifteàquelqu'un qui lui demandaitle moyen d'égaler fon talent: «Regardez, & faitesce que vous aurez vu. » Le peintre, de très-bonne foi dans ce confeil, oubliait d'ajouter Ayez mes yeux & mes doigts, &auui mon intelligence. De même, Théophile Gautier, lorfqu'il formulait fon défolant arrêt, méconnainait le privilégedu génie en impofant à tous comme un devoir ce qui n'eft en lui qu'un don rare & magnifique; & Baude- laire, en affirmant la didactique de l'originalité & du talent poétique, faifait d'abord aburacHon de fa valeur perfonnelle. Et c'eft toujours le fait des grammaires & des méthodes qui ne fervent qu'à ceux qui les font, c'eft-à-dire à ceux qui font ca- pables de lesfaire. Ainsi qu'il l'a écrit !ui-mcmcde Théodore de j j raire et artiftique comme d'un poëte original nourri de bonnes études et procédant des maîtres vigoureux et francs d'avant Louis X !V, particu- lièrementde Régnier. Cette defcendance, au moins comme infpiration, n'était pas très-juftc; sous ce rapport, Baudelaire ne procédait de perfonne. Mais quant aux qualités d'exécution, de flyle, fermeté, netteté, préciiion, la parenté pouvait s'établir; En ce temps-là déjà (t8~.3-~) la plupart des pièces imprimées dans le volume des ~/c~r~ du Mal étaient faites; et douze ans plus tard~ le poëte~en les publiant, n'eut rien à y changer. Il fut prématurément maître de fon nyle et de foil efprit. À cet âge~où l'on commence à vivre, Baude- laire avait déjà beaucoup vécu et conféqucmment beaucoup penféj beaucoup vu, beaucoup agi fur lui-même. Il avait voyagé au loin, dans ces con- trées de l'Inde dont le payfage &le parfum obfé- 'a~j!Théodore de HnnviHc,au tome tVdus/<s/)-<'fMc~!x. G.dê~ '~2. p q fon apprentiffage de curieux & d'artifle. Son ef- prit, a~ivé par le déplacement & par l'expérience précocede la vie, avait dès lors toute fa maturité; les hardiefÏes que d'autres ofent à peine rêver~ il les avait réalifees & les impofait par l'ascen- dant d'une volonté éprouvée & qui défiait le ridicule. Dans cette biographie d'un Efprit, je ne faurais me laiffer engraver dans le fable fin de l'anecdote & du cancan. Pourtant, jedois le dire~ces fingu- larités de coflume, de mobilier, d'allures, ces bi- zarreries de langage & d'opinions~dont fe forma- lifàit l'hypocrite vanité des fots toujours onënles des coups portés à la banalité~n'indiquaient-eUes pas déjà le parti pris de révolte & d'houilité contre les conventions vulgaires qui éclate dans les Fleurs ofM un besoin des'entretenir dans la lutte en provoquant journellement & en per- manence l'étonnement & l'irritation du plus grand nombre? C'était la vie mariée à la penfée, l'union de l'action & du rêve, qu'il invoque dans un de fesplus audacieux poëmes. Tout autre que p g g cience inébranlable de fa valeur. Ajoutons que cesextravagances, qui n'irritaient que les nigauds, n'ont jamais pelé à fes amis. On ne les fubiffait pas; on s'en divertitl'ait, on les favourait comme un condiment aux plaifirs de l'intimité. C'était aufii pour lui un moyen d'épreuve fur les inconnus. Une queUion faugrenue, une affir- mation paradoxale lui fervaient à juger l'homme à qui il avait affaire; & fi au ton de la réponfe & à la contenance il reconnaiffait un pair, un initié, il redevenait au~ïitôt ce qu'il était naturellement, le meilleur & le plus franc des camarades. Pendant cette phafe inédite de fa vie, Baude- laire était feigneurialement logé dans une maifon hiftorique, cefameux hôtel Pimodan confacré par le féjour de plufieurs notabilités littéraires & ar- tifliques, & où Théophile Gautier a placé la fccnc d'un de fes contes, le C/H~ des Hafchichins. Il y habitait fous les combles un appartement de Je revois en ce moment la chambre principale, chambre à coucher & cabinet de travail, unifor- mément tendue fur les murs & au plafond d'un papier rouge & noir, &éclairée par une seule fe- nêtre dont les carreaux, )u<qu'aux pénultièmes incluftvcmcntj étaient dépolis, « afin de ne voir que le ciel », difait-il. Il était plus tard bien revenu de ces mélancolies éthérées, et aima plus que perfonne les maifons & les rues. M dit quelque part « J'ai eu longtemps devant ma fenêtre un cabaret rouge & vert qui était pour mes yeux une douleur dêlicieuie. ~a/OK de Entre l'alcôve &ta cheminée~jerevoisencorele portrait peint par Emile Deroy en î§~3, & fur le mur oppofé, au-detius d'un divan toujours encombré de livres, la copie (réduite) des Fem- Ht<~ <f~fr, œuvre du même peintre, faite pour Baudelaire, & qu'il montrait avecorgueil. Qu'eA devenue cette copie, reftée belle dans mon Ibu- venir? Je l'igno~, <XBaudelaire lui-même n'a jamais fu me le dire. Le portrait heureufement a été fauve & nous a contervé la phyfionomiede 9 pauvre c oy, talent, mort jeune avant [8~8, & qui a droit a une place dans les fouvenirs de notre jeunene. Il était fils de M. Ifidore Deroy, lithographe, dont on connaît de nombreufes vues de Paris & de la Suiffe. Je ne me rappelle pas de qui il était l'élève, ou fi même il avouait un maître. Il fe trouva tout doué, tout prêt lors de l'avé- nement des coloriues fignalé par le triomphe de Delacroix& lespremiers fuccèsde Couture. Outre le portrait dont je parle, & cette copie, égarée ou perdue, des Femmes d'Alger, que Baudelaire prifait très-haut, il a laifle une étude d'après une petite chanteufe des rues quelques portrait, parmi lefquels celui de M. de Banville, père du poëte, quel'-e~ voit encore chez fon fils, de Pierre Dupont, de Privat d'Anglemont, une étude de femme confervée par Nadar. Remarquablement organifé comme peintre, coloriée merveilleux, Cette petite guitarifte, qui circulait enjt~emps-h') dans lequartier latin, occupait beaucoup les efprits d'nk)rs, peintres & poètes; e'eft à elle que fe rapporte )a pièce des ~ï~~ de 'l'h. de Banville, pre- cifément intitulée: A UNErE'rn'E c~A~r~usH uns KUKS.C'eit elle aufn, je le crois du moins, h) M~sh! t~'rt: xo-ss~ des /f;;rs A/ , p g paroles. La pauvreté, l'ifolement l'avaient rendu méfiant & cauftique. Il mourut tnUe & délaiue, peu regretté de fes confrèresqu'il ne ménageait guère & à qui il faifait peur; mais digne de fym- uploads/Geographie/ asselineau-baudelaire 1 .pdf

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