Les migrations environnementales : un nouvel objet d'enseignement À partir d'id

Les migrations environnementales : un nouvel objet d'enseignement À partir d'idées reçues sur les migrants climatiques et environnementaux, l'autrice examine la difficulté à nommer et à quantifier ce phénomène avant de faire le point sur l'état actuel des connaissances. Elle montre ensuite comment cette question peut s'insérer dans les programmes de géographie de l'enseignement secondaire. Une place particulière est accordée aux documents, aux outils et aux démarches possibles. Bibliographie | citer cet article Le rôle des facteurs environnementaux dans les migrations est de plus en plus médiatisé mais le thème est encore peu abordé dans les cours de géographie qui traitent pourtant des mobilités humaines comme dans les programmes français de quatrième et seconde. Pourquoi ce faible intérêt: la question est-elle trop récente pour être intégrée dans les programmes scolaires? Est-ce à cause du manque de statistiques fiables ou d'un corpus documentaire non encore disponible ? Comme nous allons le voir, la question est en fait étudiée dans le monde scientifique depuis près de trente ans (point 1.2.), mais par contre, les données statistiques posent problème (point 2.1.) comme d'ailleurs le peu de ressources directement disponibles pour la classe. D'où cet article qui propose une réflexion sur le sujet en cherchant également à apporter une réponse aux grandes idées reçues qui circulent à ce propos (voir encadré). Encadré 1. Quelques idées reçues sur les migrations environnementales Les migrations climatiques sont un phénomène nouveau qui résulte de l'action humaine sur l'environnement. • Les migrations climatiques touchent les pays en développement, mais pas l'Europe. • Le climat est surtout un prétexte de migration pour des migrants économiques qui cherchent à s'installer dans des régions mieux développées. • L'Europe va se retrouver à gérer des millions de migrants poussés dehors par la raréfaction de leurs ressources. • La question est déjà bien prise en compte par les instances internationales. • Les personnes qui fuient leur lieu de vie pour des raisons climatiques doivent être considérées comme des réfugiés. • Bientôt il existera un statut de réfugié climatique dans le droit international. • Source: d'après Alexandra Yeh, «Sept idées reçues sur les migrations climatiques», France Culture, 14 décembre 2018. La réflexion sera menée en trois étapes. Après avoir abordé les considérations terminologiques, historiques et juridiques, nous dégagerons des traits majeurs des migrations environnementales. Nous verrons enfin l'intérêt du sujet pour l'enseignement et des pistes d'intégration. 1. Ce que les mots signifient. Considérations terminologiques, historiques et juridiques Afin de mieux cerner le sujet de cet article, il a semblé utile de préciser d'abord les termes utilisés, de dresser un court bilan de l'évolution des idées autour de cette thématique et de s'interroger sur la manière dont la question est traitée dans le droit international. 1.1. Mise au point terminologique Notre article traite des migrations environnementales et non des migrations climatiques, car les migrations climatiques ne constituent qu'une part des migrations environnementales (document 1), ces dernières comprenant aussi des migrations liées à des phénomènes de nature géophysique comme des tremblements de terre ou des éruptions volcaniques (voir 2.2.). Document1. Migrations climatiques et migrations environnementales Il parle aussi de migrants et non de réfugiés, car le terme «réfugié climatique» le plus souvent utilisé est un abus de langage non seulement en raison de l'adjectif climatique, mais encore parce que le terme «réfugié» désigne une personne qui bénéficie d'un statut institué par la Convention de Genève de 1951 dont les conditions d'attribution sont strictement définies: il faut être l'objet de persécutions dans son pays d'origine et vouloir le quitter; le réfugié peut aussi prétendre à une protection internationale (contrairement aux migrants «économiques» dont l'accueil est du ressort des États d'accueil). Or le migrant environnemental n'a pas un statut officiel et, contrairement à une idée avancée ci-dessus, la situation risque de perdurer dans le contexte sécuritaire d'aujourd'hui: pensons à la difficulté des États tant dans l'Union européenne qu'aux États-Unis à gérer les réfugiés déplacés par les conflits. Toutefois, le terme «migrantenvironnemental» choisi ici n'est pas totalement adéquat car un «migrant» est une personne qui se déplace et qui jouit d'un certain degré de liberté au niveau de la prise de décision dans le départ, la durée et la destination de la migration; le terme occulte donc les nombreuses migrations forcées rencontrées dans les déplacements environnementaux. Le terme le plus adéquat aurait été «déplacés environnementaux» mais il n'est guère utilisé par les organismes internationaux comme l'Organisation internationale pour les migrations (OIM, 2011) qui n'évoque que les migrants environnementaux, qu'elle définit de la manière suivante: «les personnes ou groupes de personnes qui, essentiellement pour des raisons liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraintes de quitter leur foyer habituel ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement et qui de ce fait, se déplacent à l'intérieur de leur pays ou en sortent». C'est la raison du choix du titre de notre article. 1.2. Courte histoire de la thématique et des débats dont elle a été l'objet Le concept «réfugiés de l'environnement» apparaît pour la première fois en 1985, dans le titre d'un rapport du PNUE (Programme des Nations Unies pour l'Environnement) rédigé par Essam El Hinnawi, universitaire égyptien. Le même terme est utilisé par les médias à partir de 1995. Les premiers travaux scientifiques sont réalisés à partir des années 1990 avec, dès le départ, de fortes discussions sur les chiffres, sur l'identification des personnes appartenant à Les migrations environnementales : un nouvel objet d'enseignement Les migrations environnementales : un nouvel objet d'enseignement 1 la catégorie puis sur le concept lui-même (P. Gonin et al., 2002). La thématique monte en puissance avec les changements climatiques, ce qui amène les concepts de «migrations climatiques»ou de «réfugiés climatiques» (voir dans le glossairede Géoconfluences : migrants environnementaux, migration environnementale). Le premier rapport scientifique important est publié en 2011: c'est le rapport Foresight commandité par le gouvernement britannique (Government Office of Science) dont il existe une synthèse en français «Migration et changements environnementaux planétaires». Son grand intérêt est de mettre en évidence la diversité des causes de ces migrations. Depuis 2011, les publications se sont multipliées; ce sont à la fois des travaux scientifiques avec de nombreuses études de cas et des rapports publiés par des organismes internationaux. De même, on ne compte plus les séminaires et les conférences consacrés à cette question. Les travaux scientifiques émanent de chercheurs de différentes disciplines: géographes, sociologues, politistes, démographes, spécialistes de l'environnement ... tandis que les rapports sont issus de trois sources principales: l'IDMC (Internal Displacement Monitoring Centre): c'est la principale source de données et d'analyse des déplacements liés à des catastrophes géophysiques ou climatiques; l'IDMC a été créé en 1998 au sein du Conseil norvégien pour les réfugiés (CNR); • l'IOM (OIM en français) (Organisation internationale pour les migrations): c'est une agence intergouvernementale, créée en 1951, basée à Genève et liée à l'ONU depuis le 19 septembre 2016; elle traite des migrations en général; • la Banque Mondiale et plus spécifiquement son «Groupe du changement climatique» qui a notamment publié en 2018 des prévisions pour 2050 dans trois régions du Monde: l'Afrique subsaharienne, l'Asie du Sud et l'Amérique latine. • Certaines ONG ou ASBL (associations à but non lucratif) se sont aussi penchées sur la question comme par exemple Zoï Environment Network, une agence indépendante de GRID-Arendal, une organisation norvégienne, créée en 2008; installée à Genève, cette association vise l'analyse, la communication et des actions en vue de sociétés durables; elle traite notamment des changements climatiques et migrations (Zoï Environment Network, 2017). Toutefois, comme l'ont bien montré Ionesco, Mokhnacheva & Gemenne (2016, p. 16-17), les discours sur cette thématique divergent et ont changé dans le temps: dans les années 1990, les discours alarmistes («catastrophes humanitaires») dominaient dans le monde des chercheurs en environnement comme dans celui des ONG ou médias; • dans les années 1997-1998, les discours des chercheurs en migration sont devenus plus sceptiques: l'environnement est une cause de migration comme les autres; • depuis 2010, les recherches empiriques ont conduit de nombreux chercheurs à considérer les migrations comme une stratégie d'adaptation aux changements et ce point de vue a été souvent adopté par le monde politique international. • Dès lors, on comprend mieux les difficultés rencontrées par le monde de l'enseignement pour intégrer le sujet dans les cursus. Il y faut ajouter la divergence des points de vue, au niveau du grand public et du monde politique, entre ceux par exemple qui se focalisent sur le désastre humanitaire et ceux qui pensent que l'environnement est une diversion par rapport aux causes réelles politiques ou économiques des migrations environnementales. En fait, comme nous le verrons au point 2.2,les causes sont toujours multifactorielles. 1.3. La difficile reconnaissance des droits des migrants environnementaux Il existe deux obstacles principaux à la reconnaissance d'un statut juridiqueaux déplacés environnementaux: d'une part, les formes de ces migrations extrêmement variées (forcées ou volontaires, temporaires ou permanentes, nationales ou internationales) avec un seul point en commun (leur lien avec l'environnement) rendent très difficiles une réponse unique; d'autre part, le contexte uploads/Geographie/ articles-scientifiques-migrations-environnementales-2021-05-22-19h13.pdf

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