Questions internationales nos 79-80 – Mai-août 2016 14 DOSSIER Le réveil des fr
Questions internationales nos 79-80 – Mai-août 2016 14 DOSSIER Le réveil des frontières À quoi servent les frontières ? Justifications, séparations, transitions et passages Michel Foucher * Les frontières internationales sont un périmètre de l’exercice Les frontières internationales sont un périmètre de l’exercice de la souveraineté des États qui composent le système de la souveraineté des États qui composent le système international et l’un des paramètres de l’identité des nations. international et l’un des paramètres de l’identité des nations. Comme le prouve une chronologie des faits frontaliers, la réalité des Comme le prouve une chronologie des faits frontaliers, la réalité des interactions est vivante, conflictuelle parfois, mais bien plus réelle interactions est vivante, conflictuelle parfois, mais bien plus réelle qu’une vision strictement économique de la planète ne le suggère. La qu’une vision strictement économique de la planète ne le suggère. La Chine peut, par exemple, jouer de la globalisation économique d’un Chine peut, par exemple, jouer de la globalisation économique d’un monde ouvert et s’attacher à délimiter ce qu’elle considère comme son monde ouvert et s’attacher à délimiter ce qu’elle considère comme son espace maritime. Les frontières sont des discontinuités, qui séparent espace maritime. Les frontières sont des discontinuités, qui séparent et relient, et les sociétés humaines localisées ont besoin de ces deux et relient, et les sociétés humaines localisées ont besoin de ces deux versants. Un monde sans frontières ne serait pas vivable. versants. Un monde sans frontières ne serait pas vivable. * Michel Foucher est géographe, ancien ambassadeur, titulaire de la chaire de géopolitique appliquée au Collège d’études mondiales. Qu’est-ce qu’une frontière ? Elle dessine le périmètre de l’exercice d’une souverai- neté étatique et constitue l’un des paramètres de l’identité en traçant la distinction entre le dedans et le dehors, en délimitant le cadre de la définition d’une citoyenneté. La frontière inter- nationale est la limite entre deux souverainetés étatiques, deux ordres juridiques, deux systèmes politiques, monétaires, deux histoires natio- nales. Elle est une discontinuité et un marqueur symbolique. Les frontières sont des lignes où s’exercent une série de fonctions – ainsi que dans les ports et les aéroports. En 2016, on compte environ 252 000 km de frontières internationales terrestres. Ce chiffre pourra s’accroître en cas de nouvelles déclarations d’indépendance. Justifications La réalité des frontières a été mise en cause à la fois par les discours du « sans frontières », par le mouvement irrépressible de la mondialisa- tion économique et financière – qui a contribué à un moindre contrôle des frontières – et, enfin, par l’installation de réseaux de communication tissant la toile d’un cyberespace réputé lui aussi « sans frontières ». Illusion, car le cyberespace, représenta- tion mentale d’un territoire venant se super- poser aux États, reste un réseau, reposant sur une infrastructure physique, que des États, dans leur rivalité, entendent contrôler, au point que l’ère numérique voit se reproduire et même DOSSIER Le réveil des frontières Questions internationales nos 79-80 – Mai-août 2016 15 se renforcer les frontières étatiques 1. C’est parce que le cyberespace fragilise la souverai- neté étatique que des États – Chine en premier lieu – ont entrepris d’acquérir des attributs de cyber-souveraineté. Limite, la frontière est un lieu d’interac- tion. L’étymologie signale que de nombreux termes ont été utilisés dans le passé pour signifier la limite. Si le grec horos marque la limite, peiras vient de la racine per, qui veut dire traverser. Le sens moderne vient, en français, de « front », militaire, dont est issu le terme « frontière ». Plusieurs régimes frontaliers se superposent, où la fluidité des échanges matériels et l’intercon- nexion des flux d’images ne s’accompagnent pas de la même mobilité des personnes. C’est sur le continent européen qu’avait été menée la politique la plus avancée de démantèlement des fonctions de barrière et c’est désormais là que s’opère ce paradoxal « retour des frontières2 », au sens où des États décident de rendre l’enveloppe frontalière à nouveau visible et opératoire dans sa fonction de contrôle des flux. Dans une démarche géographique attachée aux réalités concrètes, l’observation des processus frontaliers effectivement à l’œuvre hors d’Europe apporte un démenti à certaines théorisations réduisant « la » frontière à un objet unique et abstrait voire, pour bien des auteurs, voué à disparaître dès lors que, « dans un monde démilitarisé et ouvert aux échanges, la frontière perd son sens 3 », devenue un héritage anachro- nique dans un monde supposé post-westphalien 4. 1 Voir Alix Desforges, « Les frontières du cyberespace », in Frédérick Douzet et Béatrice Giblin (dir.), Des frontières indépassables ? Des frontières d’État aux frontières urbaines (Armand Colin, Paris, 2013), et Olivier Kempf, « Cyberespace et dynamique des frontières », Inflexions, no 30, printemps 2015. Voir aussi, dans ce même dossier, la contribution de Anne-Thida Norodom. 2 Michel Foucher, Le Retour des frontières, CNRS Éditions, 2016. 3 Jacques Lévy et Michel Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Belin, Paris, 2003. 4 « La fin d’une définition westphalienne des limites internationales, c’est-à-dire fondée sur la traduction territorialement linéaire de l’équilibre des forces entre les États, implique que l’expérience de la frontière se différencie des conditions de l’appartenance citoyenne. » (Anne-Laure Amilhat Szary, Qu’est-ce qu’une frontière aujourd’hui ?, PUF, Paris, 2015.) Vingt événements (voir focus p. 16) ont été retenus parce qu’ils sont à la fois illustratifs de la dynamique qui anime en permanence la scène frontalière contemporaine et révélateurs de tendances actuelles et plus générales. Dans la problématique frontalière contemporaine, six lignes directrices sont identifiables : – la territorialisation des océans – tentatives de partage de l’océan glacial Arctique 5, délimita- tion et extension des zones économiques riches en hydrocarbures et exacerbation des rivalités stratégiques en Asie du Sud-Est ; 5 Michel Foucher (dir.), L’Arctique. La nouvelle frontière, CNRS Éditions, Paris, 2014. Reconstitution d’un poste de garde des limes romains de Germanie. Au-delà de leur fonction défensive, les limes romains marquaient également la limite des territoires dans lesquels l’Empire assurait la sécurité. © Wikimedia Commons 602160020int.pdf - Mai 13, 2016 - 15 sur 192 - BAT DILA Questions internationales nos 79-80 – Mai-août 2016 16 DOSSIER Le réveil des frontières ➜F O C U S Chroniques frontalières dans le monde Chroniques frontalières dans le monde * (mars 2016-octobre 2015) (mars 2016-octobre 2015) Mars 2016. Le gouvernement du Guyana provisionne 200 millions de dollars pour assurer la défense juridique de la province d’Esequibo (40 % du territoire) revendiquée par le Venezuela depuis son attribution au Royaume-Uni en 1899 par un tribunal international. Le traité de Genève de 1966, qui disposait une mission de bons offices assurée par le secré- taire général des Nations Unies, ayant échoué, le Guyana lui demande de porter l’affaire devant la Cour interna- tionale de justice (CIJ) de La Haye. Février 2016. L’Indonésie et le Timor- Leste (Timor oriental) s’accordent pour réaliser conjointement une enquête de terrain dans les zones disputées de la province orientale de Nusa Tenggara (petites îles de la Sonde) avec consultation des popula- tions locales sur leurs pratiques territoriales. Le ministre vietnamien des Affaires étrangères estime que la plateforme pétrolière Haniyang Shiyou 981, exploitée par China Oilfield Services, se situe dans une aire contestée et non délimitée des deux plateaux conti- nentaux, assertion démentie par le ministère chinois des Affaires étran- gères. Le forage se localise à 130 milles marins de la côte du Vietnam, dans sa zone économique exclusive. En 2014, un forage réalisé à 120 milles avait provoqué des émeutes antichinoises. La ville tchèque de Chrastava s’oppose à la cession à la Pologne d’une forêt de 52 hectares – considérée comme tchèque depuis le ø®e siècle – décidée par les deux gouvernements pour mettre fin à un différend datant d’un ĚĞŵŝͲƐŝğĐůĞ͘>ĂƌĠŐŝŽŶĚĞdĢƓşŶ͕ĞŶ Moravie du Nord, avait été divisée entre les deux pays en 1918. Le tracé fut confirmé en 1945 avec une clause de simplification du tracé sur 80 km. Suite à 85 échanges succes- sifs de terres, la Pologne a perdu 368 hectares. Selon la Commission nord-coréenne pour la réunification pacifique de la Corée, la Corée du Nord a ordonné à tous les Sud-Coréens de quitter la zone industrielle intercoréenne de Kaesong et annoncé la saisie de tous les équipements sud-coréens. Cette décision fait suite à celle de Séoul de fermer la zone, en réponse à l’essai nucléaire et au tir de fusée réalisés par Pyongyang. Il s’agit, pour la Corée du Sud, d’empêcher l’utilisation des inves- tissements réalisés par elle au profit du développement nucléaire et balistique de Pyongyang. Toutes les communica- tions militaires avec la Corée du Sud, y compris via le village frontalier situé sur la ligne d’armistice de Panmunjom, principal canal de contact entre les deux États rivaux, sont interrompues. Janvier 2016. Un navire armé des garde-côtes chinois pénètre dans les eaux territoriales des îles Senkaku/ Diaoyu, disputées depuis 2010 entre le Japon et la Chine. Un méandre de la Meuse relié aux Pays-Bas et coupé de la Belgique, abri de dealers, est échangé contre un terrain situé près d’une écluse. Les deux Parlements ratifieront cet échange au uploads/Geographie/ a-quoi-servent-les-frontiere.pdf
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- Publié le Aoû 27, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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