Lettres de Camille Delaville à Georges de Peyrebrune 1884–1888 Édition préfacée

Lettres de Camille Delaville à Georges de Peyrebrune 1884–1888 Édition préfacée et annotée par Nelly Sanchez Publications du Centre d’étude des correspondances et journaux intimes (Université Européenne de Bretagne, UMR CNRS 6563, Université de Bretagne Occidentale, Brest) Photographies de couverture : Photographie : La Vie Heureuse, 23 septembre 1888, Bibliothèque Marguerite Durand Profil au crayon : Silhouettes parisiennes d’Olympe Audouard, 1883, Paris : Marpon & Flammarion Lettres de Camille Delaville à Georges de Peyrebrune 1884-1888 Édition préfacée et annotée par Nelly Sanchez Publications du Centre d’étude des correspondances et journaux intimes Toutes les lettres de Camille Delaville à Georges de Peyrebrune sont conservées à la Bibliothèque municipale de Périgueux, dans le fonds Georges de Peyrebrune. Les deux lettres de Rachilde à Georges de Peyrebrune retranscrites en épilogue s’y trouvent aussi. L’acte de décès de Camille Delaville est conservé aux Archives de Paris. À l’exception de deux « petits bleus », les soixante- dix-neuf courriers présentés ici (numérotés de 1 à 79) ont été écrits sur des doubles feuillets sans en-tête et, la plupart du temps, sans indication de date. Chaque fois qu’il a été possible de le faire, nous en avons proposé une, qui apparaît alors entre crochets droits. Aucune enveloppe ne figurait dans ce fonds. La transcription des lettres a été faite au plus près des manuscrits autographes. Nous avons respecté les retours à la ligne, les signatures ainsi que la ponctuation, sauf dans le cas où cette dernière rendait la compréhension difficile. Pour faciliter la compréhension, nous avons toutefois complété les mots et les noms abrégés, corrigé quelques fautes d’orthographe ou d’inattention, ajouté quelques signes de ponctuation manquant. Si nous avons repris les mots soulignés, nous avons, en revanche, homogénéisé tous les titres de journaux et d’ouvrages en les mettant en italique. Un index biographique, à la fin, permet de mieux connaître le milieu dans lequel évoluait Camille Delaville. Je tiens à remercier la Bibliothèque municipale de Périgueux, les Archives de Paris, et les ayants droits de Rachilde qui m’ont donné les autorisations indispensables pour mener à bien ce travail. Je remercie également M. Patrice Cambronne, professeur émérite de l’université Michel de Montaigne Bordeaux 3, pour ses lumières en culture et langue latines, et ses encouragements. Je salue ici les patientes relectures et les judicieux conseils de M. Jean-Marc Hovasse, qui accueille cet ouvrage parmi les « Correspondances et Journaux intimes » de l’unité du CNRS de Brest. Nelly Sanchez Introduction Il ne faut pas se fier au genre des patronymes : les lettres de Camille à Georges, écrites par une femme, étaient destinées à une femme. De 1884 à 1888, la chroniqueuse Camille Delaville, Françoise Adèle Couteau née Chartier pour l’état civil, en adressa près d’une centaine à la romancière Mathilde Marie Georgina Élisabeth Judicis de Peyrebrune, plus connue sous le nom de Georges de Peyrebrune. Pareille relation a rarement été donnée à lire : bien peu de correspondances publiées, en effet, témoignent d’échanges intellectuels entre femmes de lettres. Si ces pseudonymes masculins traduisent chez elles la volonté de préserver leur identité ou le désir d’être reconnues pour leur seul talent par le public, l’utilisation du patronyme littéraire dans leur correspondance n’est pas anodine. Ce n’est pas la femme mais l’artiste qui prend la plume pour confier à l’une de ses consœurs ses activités éditoriales et littéraires. Avec le temps, Camille Delaville en vient à relater ses problèmes de santé, ses ennuis financiers, les querelles intestines qui agitent son cercle d’amis. Mais l’histoire du siècle n’apparaît pas, sinon la mort de Victor Hugo et l’incendie de l’Opéra Comique, tous deux brièvement évoqués. Ces lettres sont surtout exceptionnelles parce qu’elles témoignent de la condition d’une femme écrivain à la fin des années 1880. Comment subsister, en effet, sans autre ressource que l’écriture, à une époque où, à travail égal, une femme gagne trois fois moins qu’un homme ? Camille Delaville ne décolérera pas de voir Georges de Peyrebrune toucher 15 000 francs pour la correction d’un feuilleton alors que, 10 pour la même tâche, un homme « gagne 80 000 francs  ». Si ces lettres se font l’écho des injustices dont est victime le « sexe faible », elles ne laissent rien paraître, en revanche, des préjugés inhérents à la condition d’auteur ou, comme on dit encore, de bas-bleu. « La locution bas-bleu », rapporte le Larousse, n’est que la traduction littérale du sobriquet blue- stocking par lequel les Anglais imaginèrent de ridiculiser les femmes qui, négligeant les soins de leur ménage, s’occupaient de littérature et passaient leur temps à écrire de la prose ou des vers . La société se méfie des femmes de lettres car l’écriture, ainsi que le raisonnement qui en découle, sont des apanages masculins. Or, s’arroger des prérogatives masculines, c’est repousser son rôle naturel et, naïvement ou perversement, [faire] l’homme. […] Ce qui constitue le bas-bleu ou amazone, c’est qu’un léger développement de ce qui semble viril en elle lui fait croire qu’intellectuellement elle est un homme . Jugée pervertie, sinon monstrueuse, puisqu’elle renonce à tenir sa place d’épouse fidèle et de mère dévouée, elle est de toute façon marginalisée. Camille Delaville évolue ainsi dans une sphère composée de femmes de lettres parfois célèbres comme Anaïs Ségalas ou Judith Gautier, mais aussi d’actrices, d’artistes, d’étrangères, de prostituées de luxe, appelées pudiquement demi-mondaines – bref de tous les rebuts de la société.  Lettre 58. C’est l’épistolière qui souligne.  Article « bas-bleu » du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse (Paris, Larousse, 1866-1877, t. II, 1ère partie, p. 296-297).  Han Ryner, Le Massacre des Amazones, Paris, Chamuel, s.d, p. 4. 11 Au-delà du témoignage du quotidien d’une femme de lettres, la correspondance de Camille Delaville peut aussi s’appréhender comme le roman d’une amitié. La fréquence de ses lettres permet, en effet, une lecture linéaire de la fin de sa carrière. Si la maladie incurable dont elle souffre (un dysfonctionnement de la vésicule biliaire et non une maladie vénérienne comme elle le suppose) apporte une dimension tragique à ce recueil, la découverte de l’héritier d’une partie de sa fortune survient comme un ultime coup de théâtre. En guise de péripéties : la parution de son dernier roman, La Femme jaune (1886), le lancement de son second journal, La Revue verte (1887), ainsi que les rivalités entre femmes de lettres, comme les cabales de Mme de Rute dont elle est parfois la victime… Les circonstances de la découverte de cette correspondance relèvent aussi du romanesque. Non cotée, non classée, et par conséquent non répertoriée, cette centaine de lettres inédites conservée à la Bibliothèque municipale de Périgueux a refait surface lors d’une enquête sur l’opinion des romancières pendant l’affaire Dreyfus. Au hasard de la découverte, il faut ajouter la chance : cette liasse, en même temps que beaucoup d’autres courriers, a été sauvée de la destruction à laquelle la condamnait le dernier vœu de la romancière. Dans son testament, Georges de Peyrebrune demandait en effet à ses héritiers de détruire « ce qu’ils doivent détruire » et les autorisait à vendre « les autographes sans intimité » . Pourquoi ces lettres ont-elles été épargnées ? Ce n’est certainement pas pour leur valeur commerciale : Camille Delaville avait déjà, à la fin de son  Testament de Georges de Peyrebrune conservé dans le dossier de la Société des Gens de Lettres, Archives Nationales. 12 existence, sombré dans l’anonymat. Souhaitait-on alors conserver le souvenir d’une amie chère, qui avait tenu une grande place dans l’existence de Georges de Peyrebrune, laquelle fut d’ailleurs la seule à vouloir réhabiliter sa mémoire salie par d’insistantes rumeurs ? On trouve également, dans ses romans d’inspiration autobiographique, une certaine Alix Deschamps (Le Roman d’un bas bleu, 1892) ou une Mme C. D… (Une sentimentale, 1903), présentée comme la confidente, l’amie charitable, dévouée – un rôle qui semble avoir été le sien au cours de ces cinq années d’amitié sans ombre épistolaire. Outre la maladie de Camille Delaville qui ne pouvait qu’attirer la sympathie de sa correspondante, nombreux sont les éléments qui expliquent leur parfaite entente, à commencer par leur appartenance à la même génération. Bien que Georges de Peyrebrune ait longtemps laissé croire qu’elle était née en 1848, son dossier de la Société des Gens de Lettres porte comme date de naissance le 18 avril 1841, en Dordogne. Camille Delaville a vu le jour à Paris le 21 mars 1838. Georges de Peyrebrune est mariée, sans enfant ; elle vit seule à Paris, son époux demeurant en Dordogne. Même si elle retourne régulièrement en province, cette situation ressemble fort à une séparation ; d’ailleurs aucune lettre ne fera allusion à lui. Quant à Camille Delaville, elle est sous le coup, depuis les années 1860, d’une séparation judiciaire, ce qui signifie qu’elle est séparée de son mari et que sa fortune personnelle, conséquente, est gérée par un conseil judiciaire. Elle divorcera en 1885, quand la loi française le lui permettra. Elle a deux filles, Marguerite et Rose, et trois 13 petits-enfants : Marthe, France et Jacques. En butte aux uploads/Geographie/ 8317-lettres-de-c-delaville-a-g-de-peyrebrune.pdf

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