1 Revue inDIRECT Bruxelles n°12. 2008 Les nouveaux enjeux de la mesure de la qu

1 Revue inDIRECT Bruxelles n°12. 2008 Les nouveaux enjeux de la mesure de la qualité en éducation Annie Vinokur Professeur émérite de sciences économiques Université de Paris X Table des matières: 1. pourquoi un management de l'éducation "par la qualité"? 1.1. du "vieux management public" : obligation de moyens + confiance… 1.2. au "nouveau management public" : obligation de résultats + méfiance 2. la boite à outils de la mesure de la qualité 2.1. La standardisation des produits 2.1.1. le point de vue du marché: normer l'objet de l'échange 2.1.2. le point de vue managérial : normer les objectifs de résultats 2.2. la certification des processus de production 2.2.1. un indicateur de qualité sur les marchés. 2.2.2. un outil de contrôle et de gestion 2.3. le classement des producteurs 2.3.1. classement et compétition sur les marchés 2.3.2. benchmarking et management 3. les précautions d'emploi 3.1. les biais méthodologiques 3.2. les effets pervers de la relation d'agence ** Les responsables d'établissements et les enseignants constatent la multiplication des instruments et des dispositifs d'évaluation de la qualité en éducation: mesure des résultats (tests standardisés, évaluation des acquis et des compétences, taux d'insertion professionnelle, taux de rendement des études, bibliométrie et dépôts de brevets, Tuning1 des normes de l'enseignement supérieur, etc.), évaluation de la qualité des processus de production des services d'enseignement (audits, normes d'assurance-qualité et d'accréditation des établissements, monitoring, "bonnes pratiques", démarche qualité, Gestion Qualité Totale), classements (comparaisons nationales et internationales des performances des élèves, indicateurs standardisés de comparaison des systèmes éducatifs, classements des établissements scolaires, palmarès des universités, indicateurs éducatifs de compétitivité des territoires, benchmarking2, etc.). 1 Infra 2.1.1. 2 Le benchmarking consiste à comparer une performance à une norme ou un standard (généralement la meilleure performance observée) qui sert de point de référence pour mesurer les progrès. 2 Ces nouveaux dispositifs sont largement empruntés à la pratique industrielle. Ils sont conçus et mis en œuvre par des organismes, extérieurs à l'école, de natures juridiques et économiques très diverses: organisations internationales, agences indépendantes à but non lucratif, "organismes quasi-autonomes non gouvernementaux", firmes multinationales du testing, cabinets d'experts et de consultants, agences d'accréditation, medias, revues scientifiques, etc. Or l'institution scolaire est elle-même un vaste et vénérable dispositif de jugement de la qualité, des savoirs et des élèves: elle note, sélectionne, confère grades et diplômes, elle qualifie. Que signifie donc cette prolifération d'évaluateurs des évaluateurs? Leur objectif est différent: il ne s'agit pas ici d'améliorer ou contrôler la justesse, la fiabilité ou l'équité du jugement des enseignants, mais, à usage de décideurs externes, de mesurer la qualité du "produit" et du "processus de production" de l'enseignement lui-même. Ce changement d'objet de la mesure en éducation renvoie à deux évolutions majeures: (i) du marché, avec la globalisation des échanges sur les marchés du travail et des services d'enseignement, (ii) de la conception de l'Etat, avec l'adoption par de nombreux pays du "Nouveau Management Public" (Peters 2004). Il convient donc de rappeler les origines du mouvement de pilotage "par la qualité" en éducation [1] avant d'en recenser les principaux outils [2] pour enfin s'interroger sur le mode d'emploi de ces nouveaux instruments de mesure de la qualité de l'éducation [3]. 1. Pourquoi un management de l'éducation "par la qualité" ? 1.1. Du "vieux management public" : obligation de moyens + confiance… Dans les années qui ont suivi la fin de la seconde guerre mondiale, les systèmes éducatifs se sont largement alignés sur le modèle alors préconisé par l'OCDE, qui présentait l'URSS et la France comme exemples au monde pour leur financement public et leur gestion centralisée du système scolaire (OCDE 1962). Ce modèle correspondait aux besoins du régime de croissance qui se mettait en place dans les pays industrialisés. Les mouvements internationaux de capitaux et de marchandises étant contrôlés, le principal débouché de la production est la consommation des salariés nationaux. La croissance de la consommation et le plein emploi sont assurés par la négociation collective du partage des gains de productivité entre capital et travail. L'obstacle est la pénurie de travailleurs qualifiés, les jeunes trouvant aisément du travail à la sortie de l'enseignement obligatoire. Dans ces conditions les entreprises (i) sont contraintes de négocier avec les syndicats des systèmes de rémunération attractifs adossés aux qualifications, (ii) ont intérêt à participer collectivement via l'impôt au financement de l'expansion de l'instruction scolaire, (iii) peuvent supporter individuellement la charge de l'adaptation des sortants du système scolaire à leurs besoins spécifiques dans la mesure où, incitées par la pénurie à conserver leurs employés le plus longtemps possible (rémunération à l'ancienneté, emploi à vie, etc.), elles peuvent amortir cet investissement sur la longue durée. Le droit à l'instruction scolaire, considérée comme bien public, s'inscrit alors dans les Constitutions nationales. Le montant des ressources qui y sont affectées est politiquement décidé. Le financement par l'impôt répartit le coût de l'enseignement entre tous ses bénéficiaires, directs et indirects. L'affectation de la dépense publique est administrée: d'un côté par une planification de l'offre de places scolaires en fonction des besoins anticipés de la société en personnels formés, de l'autre par le rationnement sur critères académiques du droit d'accès des individus aux places gratuites de l'enseignement post-obligatoire. Les cursus et les diplômes sont contrôlés et garantis par les pouvoirs publics. La mise en œuvre est déléguée à la profession, traditionnellement organisée sur un modèle collégial. La gestion des établissements peut se résumer dans la formule "obligation de moyens + confiance". 3 L'obligation de moyens se traduit par un contrôle bureaucratique a priori (qualification et rémunération des enseignants, définition des programmes, normes d'encadrement, autorisations préalables de dépense etc..), la confiance par la stabilité de l'emploi, le recrutement par les pairs et l'autonomie pédagogique et scientifique. La mesure des résultats à usage externe est purement quantitative (taux de scolarisation, de redoublement, de réussite etc.) car destinée au pilotage de la planification dans une période où le mot d'ordre est la "course à la scolarisation". L'évaluation qualitative, qui relève du magistère de la profession, est à usage interne: émulation des élèves et progression dans les cursus, feedback pédagogique, évaluation par les pairs. 1.2 ….au "nouveau management public" : obligation de résultats + méfiance A partir du milieu des années 1970, la dérégulation des marchés des capitaux et la financiarisation de l'économie accroissent les risques économiques et raccourcissent l'horizon des décisions des entreprises. Combinée avec la libération des mouvements de marchandises, la baisse des coûts de transport et la révolution informatique, la fluidité des capitaux autorise des stratégies d'emblée globale d'implantation des firmes transnationales. Les territoires et leurs facteurs immobiles (travail, services publics, etc.) sont donc désormais en compétition pour les attirer: d'un côté par des avantages fiscaux, de l'autre par l'offre d'une main d'œuvre compétente abondante, qualitativement normée en fonction de leurs besoins et immédiatement employable sans frais. Du côté de la demande de personnel qualifié, la quantité étant acquise c'est la qualité qui est désormais en question. Aux qualifications, titres scolaires jugés trop axés sur les savoirs et sur lesquels les salariés peuvent appuyer leurs revendications, les employeurs souhaitent substituer des compétences standardisées, savoir-faire directement productifs et qui permettent l'individualisation des rémunérations. Les World Competitiveness Reports qui classent les territoires en fonction de leur attractivité pour les capitaux incluent dans leurs critères des indicateurs de qualité de la main d'œuvre et des services d'enseignement. Simultanément, du côté de l'offre, les capitaux pénètrent le secteur, jusque là non marchand, de la reproduction de la force de travail (santé, éducation, protection sociale). Se développe une "industrie de l'enseignement" transnationale à but lucratif 3, qui implique la fin des monopoles éducatifs nationaux et l'hybridation du public et du privé dans la production et le financement de l'enseignement. Le secteur éducatif, sans distinction de nature juridique, passe du statut de service public national à celui de secteur économique de pointe dans la compétition mondiale des territoires et des capitaux. Pris en ciseaux entre des besoins de dépense d'éducation accrus et la baisse des recettes fiscales assises sur les revenus du capital, le financement public n'apparaît plus dans le discours comme une variable mais comme une donnée exogène: la "contrainte" budgétaire. Deux solutions: (i) faire appel à des financements privés complémentaires, (ii) améliorer la productivité des services publics d'enseignement en mettant les producteurs en compétition et 3 Des établissements existants, juridiquement publics ou privés, s'étendent à l'international via l'ouverture de filiales, le franchisage, les joint ventures, l'enseignement en ligne. Des conglomérats incluant des établissements d'enseignement supérieur créent des universités virtuelles fonctionnant comme courtiers pour leurs enseignements à distance. Les firmes de l' industrie de l'enseignement se concentrent, sont cotées en bourse, et se livrent à un lobbying actif auprès des gouvernements et des institutions internationales (cf. par ex. les négociations de l'Accord général sur le commerce des services dans le cadre de l'OMC). Pénètrent également sur le marché des institutions à but non lucratif ou des sponsors dont l'éducation n'était pas la vocation initiale. Des firmes industrielles ou de service créent des chaînes de services d'enseignement ou reprennent en sous-traitance la gestion d' établissements publics extériorisés par l'administration. Des sociétés uploads/Finance/les-nouveaux-enjeux-de-la-mesure-de-la-qualite-en-education-par-annie-vinokur-2008.pdf

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  • Publié le Fev 13, 2021
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