04/12/2008 1/24 Pierre BOURDIEU CE QUE PARLER VEUT DIRE L’économie des échanges

04/12/2008 1/24 Pierre BOURDIEU CE QUE PARLER VEUT DIRE L’économie des échanges linguistiques Fayard 1982 Sommaire : - L’auteur - Les postulats - Les hypothèses - Le mode de démonstration - Le résumé - Commentaires et actualité de l’ouvrage - Bibliographie complémentaire 04/12/2008 2/24 L’AUTEUR Né en 1930, il entre à l’Ecole Normale Supérieure en 1951. Provincial, d’origine modeste, P. Bourdieu est confronté dans cette école à la culture des bourgeois. Agrégé de philosophie en 1955, il part en Algérie où il est assistant à la faculté des lettres d’Alger. Il mène alors ses premiers travaux, sur les transformations sociales de l’Algérie. Rentré en France en 1961, il enseigne à la Sorbonne, puis à l’université de Lille. En 1964, il est nommé directeur d’études à l’Ecole Pratique, qui deviendra l’EHESS : il publie ses premières enquêtes sur l’école et les pratiques culturelles (Les héritiers, Un art moyen). Après avoir rompu sa collaboration avec Raymond Aron à la tête du Centre européen de sociologie, P. Bourdieu fonde son propre laboratoire, le Centre de Sociologie européenne. Fonder son école de sociologie devient à partir de là le principal objectif de P. Bourdieu : il lance de nombreux travaux à partir de son centre à l’EHESS, et crée en 1975 sa propre revue, Actes de la recherche en sciences sociales. Après avoir publié son ouvrage majeur, La distinction, en 1979, il reçoit la consécration en devenant titulaire de la chaire de sociologie au Collège de France (le CNRS lui décernera sa distinction suprême, la médaille d’or, en 1993). Marquée de nombreuses ruptures avec d’illustres collaborateurs français tels J.C. Passeron ou L. Boltanski, le parcours de P. Bourdieu s’oriente vers les Etats-Unis où son oeuvre jouit d’une reconnaissance intellectuelle importante. L’intellectuel se double également d’un acteur engagé. Il présidera en effet une réflexion sur les contenus de l’enseignement à la demande du gouvernement de F. Mitterrand et soutiendra les grévistes lors des grèves de 1995. Son ouvrage collectif La misère du monde est présenté comme « une autre façon de faire de la politique ». Il fustigera par ailleurs nombre d’institutions, les experts, les journalistes, les libéraux. Mort le 23 janvier 2002, il laisse une œuvre considérable, marquée par une pensée sociologique de type culturaliste. « Ce que parler veut dire » est un ouvrage important dans l’œuvre de Pierre Bourdieu et est le produit d’une conférence donnée auprès d’enseignants en 1977. Ainsi que le notait Didier Eribon dans Libération du 19 octobre 1982 dans une interview avec l’auteur à l’occasion de la sortie du livre, il ne s’agit pas seulement d’un ouvrage sociologique. En effet, par les questions qu’il aborde, celles du pouvoir, de l’autorité et de la domination notamment, il se pose aussi comme un ouvrage de philosophie politique. LES POSTULATS Pierre Bourdieu constate l’insuffisance du modèle linguistique proposé par de Saussure, en tant que code à la fois législatif et communicatif qui existe et subsiste en dehors de ses utilisateurs (« sujets parlants ») et de ses utilisations (« parole »), tout comme l’incomplétude du modèle proposé par Noam Chomsky en tant que compétence liée aux dispositions génératrices ; ni l’un ni l’autre ne peuvent en effet rendre compte de la langue comme réalité sociale tant qu’ils n’envisagent pas ses conditions sociales de production, de reproduction et d’utilisation. 04/12/2008 3/24 LES HYPOTHESES Son hypothèse centrale consiste à poser la langue comme un marché linguistique au sein duquel les « échanges linguistiques sont aussi des rapports de pouvoir symbolique où s’actualisent les rapports de force entre locuteurs ou leurs groupes respectifs ». L’ambition de l’auteur est ici de « dépasser l’alternative ordinaire entre l’économisme et le culturalisme, pour tenter d’élaborer une économie des échanges symboliques ». MODE DE DEMONSTRATION Pierre Bourdieu utilise pour démontrer son hypothèse deux approches croisées. D’une part, il emprunte à la théorie économique les définitions du marché pour l’appliquer à la langue et aux échanges linguistiques. Il étaye sa démonstration de nombreux exemples historiques de production de la langue ou institutionnels de reproduction ou d’utilisation de la langue. D’autre part, il mobilise l’ensemble des concepts fondateurs de sa théorie sociologique, fortement marquée par le culturalisme, pour montrer les jeux et les enjeux du marché linguistique. Ainsi, ce marché fonctionne-t-il comme un champ, c'est-à-dire comme un monde social doté de ses propres lois et règles qui sont appropriées par les individus et deviennent des habitus assurant par là-même aux agents les moyens de jouer au sein du champ. Produit premier d’un apprentissage devenu inconscient, l’habitus devient ensuite une sorte de seconde nature, une aptitude apparemment naturelle à évoluer dans un milieu. Mais compte tenu des structures mêmes de production et de reproduction du champ, les agents ne sont pas dotés également de ces dispositions à évoluer en son sein et se retrouvent dans des positions sociales différenciées, qui font l’objet de luttes de position et de classement. Cette sorte de guerre sociale, inhérente au champ, se mène principalement sur le plan symbolique, et génère deux produits, le pouvoir symbolique et la violence symbolique. Destinés à assurer la position symbolique des dominants, ils s’exercent en partie à travers les discours et institutions officiels pour produire un effet de distinction au profit de ses détenteurs. Il applique dans une seconde partie, l’ensemble de ces concepts à l’analyse des discours politiques, religieux et philosophiques et s’attaque ici aux lectures de Marx comme au discours « scientifique » de Montesquieu. 04/12/2008 4/24 LE RESUME La séparation de l’instrument linguistique de ses conditions sociales de production et d’utilisation par l’approche structurale saussurienne a eu pour effet idéologique, au sein des sciences sociales, de naturaliser les produits de l’histoire en objets symboliques en généralisant hors du champ linguistique cette opération d’autonomisation, réduisant ainsi l’analyse à un exercice interne et formel. Or, malgré les refoulements dont elle a été l’objet, la nature de la langue est d’être sociale. I/ L’économie des échanges linguistiques Cette transposition du modèle saussurien et de ses présupposés à l’ethnologie ou à la sociologie a pu se réaliser par l’attribution à la linguistique du caractère fondamental de « philosophie intellectualiste ». Ce caractère lui permettait de traiter le monde comme un univers d’échanges symboliques et de réduire l’action à un acte de communication pouvant être déchiffré au moyen d’un chiffre, d’un code, d’une langue ou d’une culture. Il s’agit là de rompre avec cette pensée autonome du social pour montrer que les rapports sociaux, dont les rapports linguistiques, sont eux-mêmes des interactions symboliques, c’est-à-dire « des rapports de communication impliquant la connaissance et la reconnaissance » En effet, tout acte de parole mobilise d’un côté, l’habitus linguistique constitué de la capacité de parler et de la capacité sociale permettant d’utiliser adéquatement cette compétence dans une situation déterminée, et d’un autre côté, « les structures de marché linguistique, qui s’imposent comme un système de sanctions et de censures spécifiques ». Il apparaît que la grammaire ne peut que partiellement permettre d’accéder au sens de l’échange linguistique. Car celui-ci s’inscrit dans un marché, c’est-à-dire dans un espace social déterminé dans lequel le locuteur offre un produit socialement caractérisé, qui ne se réalisera complètement que si le récepteur possède les « schèmes d’interprétation » adaptés. C’est cette transaction qui produira à la fois la valeur symbolique, mais aussi le sens du discours. On peut prendre l’exemple de la poésie, du style, qui ne pourront être perçus qu’entre agents dotés des « schèmes de perception et d’appréciation qui permettent de le constituer comme ensemble de différences systématiques, syncrétiquement appréhendées ». Aussi, tant du côté de la production que de la réception, ce qui circule sur le marché linguistique, ce n’est pas la « langue », mais des discours stylistiquement caractérisés. Pour produire du sens, l’échange linguistique nécessite certes un cadre commun qui s’opérationnalise dans la « dénotation », mais n’y parvient complètement qu’en 04/12/2008 5/24 mobilisant chez le récepteur des « expériences singulières, c’est-à-dire socialement marquées », au travers de la « connotation ». A quoi tient l’efficacité des discours politiques des discours politiques et religieux ? Elle relève en partie de l’utilisation des possibilités polysémiques de la langue, notamment au sein de la langue légitime. Bakhtine rappelle que, dans les situations révolutionnaires, les mots communs prennent des sens opposés. Dans cette transaction entre dénotation et connotation, il ne peut y avoir de mots neutres, les sens qui leur sont attribués pouvant effectivement être différents, voire opposés surtout dans la communication entre « classes », qui représente toujours une situation critique pour la langue utilisée, quelle qu’elle soit. Elle tient également de la correspondance entre le champ dans lequel le discours est produit et « la structure du champ des classes sociales dans laquelle les récepteurs sont situés et par rapport à laquelle ils interprètent le message ». . Quant à la langue du droit, il s’agit, comme le remarque Benveniste, du dire droit, formellement conforme, qui prétend à dire le devoir être. « Le discours juridique est une parole créatrice, qui fait exister ce qu’elle énonce ». Aussi la langue, en ce qu’elle possède de uploads/Finance/bourdieu-ce-que-parle-veut-dire.pdf

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  • Publié le Dec 06, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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