Région et Développement n° 26-2007 NOTE ET DOCUMENT LA CRISE DU SUBPRIME Sylvie
Région et Développement n° 26-2007 NOTE ET DOCUMENT LA CRISE DU SUBPRIME Sylvie TACCOLA-LAPIERRE * Résumé - Un excès de crédit conjugué à une mauvaise gouvernance dans l’industrie bancaire peuvent générer des défaillances porteuses d’un risque systémique. Les dernières turbulences intervenues sur les marchés financiers depuis l’été 2007 trouvent leur origine dans le comportement fortement spéculatif des banques de second rang, dans un contexte de finance libéralisée. Partie des Etats Unis, cette crise s’est propagée aux marchés financiers mondiaux et fait redouter une récession économique. En dépit d’une forte réglementation des marchés financiers, la crise des crédits hypothécaires à risque a révélé les pratiques abusives de certains établissements et l’opacité d’opérations d’ingénierie financière qui, par une forte dispersion du risque et un effet de contagion, continuent d’affecter la sphère financière. Mots-clés - CRISE BANCAIRE, RISQUE, CONTAGION, CRÉDIT, DÉFAILLANCE. * Université du Sud Toulon-Var. Courriel : sylvie.taccola@univ-tln.fr 52 Sylvie Taccola-Lapierre INTRODUCTION Les banques sont souvent au cœur du système de propagation des crises financières et le rôle joué par le crédit dans le déclenchement des crises est primordial. Les dernières crises financières ont été caractérisées par les phases d’euphorie et de déprime liées au comportement pro cyclique des agents qui prennent beaucoup plus de risques en phase de bonne conjoncture et moins en situation de marasme économique. D. Llewellyn (2002) s’est intéressé aux dernières crises bancaires et soutient la thèse que c es crises ont des origines microéconomiques qui se révèlent à l’occasion de chocs macroéconomiques. Ces crises sont en partie expliquées par le comportement de l’industrie financière, caractérisée, selon l’auteur, par une gestion inadéquate orchestrée dans un contexte de contrôle et d’analyse du risque inefficaces. La crise de l’été 2007 constitue une illustration de la thèse de L. Miotti et D. Plihon (2001) sur les effets du comportement spéculatif 1 des banques dans un contexte de finance libéralisée et sur le rôle du crédit dans le déclenchement des crises (Minsky, 1982 ; Kindleberger, 1994). Délaissant leurs activités traditionnelles pour investir dans des fonds spéculatifs plus rentables, certains établissements ont contribué à créer une crise de défiance qui s’est généralisée à l’ensemble de la sphère financière. Dans un contexte d’industrie bancaire traditionnelle en déclin (innovations financières et dérégulation des marchés), les banques perdent leurs avantages d’intermédiation financière traditionnelle (« decline of banking »). Afin de conserver un niveau de rentabilité élevé, les banques ont cherché de nouvelles sources de profit et se sont engagées dans des opérations spéculatives comme les opérations de marchés, les investissements boursiers, les marchés en devises ou les financements d’opérations risquées. La course effrénée à la rentabilité, initiée par les actionnaires et les dirigeants, conduit à une prise excessive de risque dans le but de valoriser au mieux l’entreprise. Ce type d’activité éloigné de l’activité traditionnelle de prêteur constitue des sources de profits non négligeables mais augmente corrélativement les expositions aux risques (Stiglitz 1998). Ainsi, cette crise a démarré sur le marché de l’immobilier américain, puis s’est propagée au marché du crédit à risque pour atteindre les marchés boursiers et le marché monétaire avec une crise de liquidité. Ces récentes turbulences sont expliquées par la crise du marché des crédits hypothécaires à risque aux Etats Unis appelés « subprime loans » par opposition aux crédits moins risqués dits « prime » ou A. 1 Les comportements spéculatifs appliqués à la sphère financière sont définis par D. Plihon (1996) par quatre caractéristiques : une prise de risque, c’est-à-dire des prises de position sur les taux d’intérêt, les prix des actifs ou les taux de change, l’espoir de plus values liées aux variations anticipées des prix des actifs, des opérations « pures » ou « sèches » c’est-à-dire autosuffisantes et sans contrepartie directe sur la sphère réelle de l’économie et des opérations effectuées le plus souvent à crédit c’est-à-dire que les capitaux engagés sont empruntés par les spéculateurs qui cherchent à faire jouer des effets de levier. Région et Développement 53 1. DÉFINITION DES CRÉDITS « SUBPRIME » Dans un contexte de faibles taux d’intérêt (jusqu’en 2006), certaines banques américaines et courtiers en crédit ont endetté une catégorie de ménages particulièrement vulnérables à un retournement de conjoncture ou finan- cièrement peu solides. Profitant de l’envolée du marché immobilier, ces sociétés ont, par le biais de techniques de vente agressives, incité des ménages à se lancer dans la spéculation immobilière ou ont prêté sans véritable exigence en matière de solvabilité. La stratégie employée fut celle du « no income, no asset » qui permet d’endetter un ménage sans véritablement étudier sa situation financière ; elle s’est adressée essentiellement aux minorités ethniques et aux couches les plus défavorisées de la population et touche plus particulièrement cinq Etats américains (Californie, Floride, Michigan, Ohio et Georgie). Les crédits furent très souvent octroyés, pour les deux premières années, à un taux d’appel fixe maintenu bas (près de 1,5% dans certains cas) puis à un taux variable indexé notamment sur le taux d’intérêt de la Réserve Fédérale pour la durée restant à courir. L’exposition au risque des établissements financiers était particulièrement forte car ces crédits étaient le plus souvent consentis sur de longues durées (jusqu’à trente ans). Le principe de l’hypothèque rechargeable fut aussi largement commercialisé : il permet à un ménage déjà endetté de souscrire un nouvel emprunt adossé sur la valeur nette du bien immobilier qu’il peut offrir en garantie. Dans un contexte de prix immobiliers surévalués, les ménages bénéficient alors artificiellement d’une hausse de leurs patrimoines directement indexée sur la valeur hypothécaire de leur bien. Tous ces crédits hypothécaires à haut risque appelés « subprime mortgage » ont connu un fort développement ces dernières années pour atteindre entre 500 et 600 milliards de dollars par an depuis 2004. Cet engouement illustre la phase ascendante du cycle des affaires décrite par C. Kindleberger et H.P. Minsky. Avant eux, C. Juglar situe l’origine des crises dans la sphère monétaire et décrit le climat « d’euphorie des affaires » caractérisé par la demande insatiable de prêts et le sur-crédit. Cependant, le prêt hypothécaire à risque peut paraître très éloigné à la fois de l’intérêt du client et de celui de la banque. Du côté des emprunteurs, le seul intérêt de ce type d’opération est un accès prétendu : facilité à l’accession à la propriété ou à des biens de consommation. L’illusion que chacun pouvait faire fortune dans l’immobilier fut entretenue par les campagnes publicitaires, confortant ainsi le maintien d’un bulle spéculative. Or, en relevant ses taux d’intérêt, la FED a généré un retournement de tendance. Quand les taux montent et que les crédits sont à taux variables, les populations les plus fragiles ne peuvent plus assumer la charge de leur dette. Elles font défaut, leur bien est vendu, accélérant encore la baisse des prix immobiliers. Le risque de crise bancaire généralisée voit alors le jour quand les défaillances se multiplient et que la valeur des collatéraux ne suffit plus à rembourser les dettes. 54 Sylvie Taccola-Lapierre Du côté du prêteur, octroyer des prêts à des emprunteurs risqués et a fortiori sur de longues durées peut s’avérer extrêmement rentable. Le coût du risque est alors compensé par de solides marges et le risque de défaillance reste supportable tant qu’il ne se généralise pas et que la valeur des collatéraux suffit à rembourser les crédits des ménages devenus insolvables. Il se produit aussi un phénomène de sélection adverse. Les emprunteurs avec des projets d’investissement très risqués sont les agents qui ont le plus à gagner si leurs projets sont couronnés de succès et sont donc les plus motivés pour emprunter. Conscients de leur probable incapacité à honorer leur dette, ils acceptent de payer des charges financières plus élevées. Les projets les plus risqués et les moins économiquement profitables peuvent alors être financés. Pourtant, ce type d’emprunteur présente un fort risque de contrepartie et expose la banque à un risque de non remboursement de la dette. Ce phénomène décrit par F. Mishkin (1992, 1999) peut accentuer la vulnérabilité financière et conduire à une crise si, face à un choc, les établissements financiers ne sont plus en mesure d’agir avec discernement et de distinguer les bons des mauvais emprunteurs. La qualité moyenne des emprunteurs peut se trouver réduite car les banques sélectionneront les emprunteurs acceptant de payer des charges financières élevées et présentant le plus de risque de défaillance. Selon la Réserve Fédérale, les banques commerciales américaines ont dégagé collectivement un bénéfice avant impôt de 189,3 milliards de dollars en 2006, contre 165,9 milliards en 2005 (+14,10%). Sur ce montant, plus d'un quart provient des commissions liées à la titrisation2 des crédits hypothécaires. Par ailleurs, en titrisant ces créances, les banques peuvent transférer les risques à d’autres établissements voire masquer des risques avérés. D. Diamond (1984) a dénoncé très tôt le risque que les cessions de prêts n’amoindrissent l’incitation d’une banque à sélectionner et surveiller adéquatement les emprunteurs. Dans le cas de la crise du subprime, le recours aux obligations de 2 La titrisation est une opération qui consiste à transformer des créances en titres négociables sur un marché uploads/Finance/ taccola-pdf.pdf
Documents similaires






-
31
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 18, 2021
- Catégorie Business / Finance
- Langue French
- Taille du fichier 0.0509MB