Stockage du gaz naturel : la nouvelle donne pour l’investissement de transport

Stockage du gaz naturel : la nouvelle donne pour l’investissement de transport internationale du gaz (gazoducs et, de façon croissante, des chaînes de transport maritime de Gaz Naturel Liquéfié). La rentabilisation de ces inves- tissements considérables passe par leur exploitation au rythme le plus rapide possible au cours de l’année, c’est-à-dire au débit maximum de la chaîne. La demande est, elle, très fortement variable, notam- ment du fait du poids du chauffage parmi les usages finaux. Ces variations obéissent à la fois à des motifs déterministes (l’hiver est plus froid que l’été) et à des événements aléatoires (un hiver donné peut être rigou- reux ou doux). Ces variations correspondent de plus à des pas de temps, à des rythmes très variables. On dis- tingue par exemple, pour ce qui est de l’impact du cli- mat, une demande potentielle très concentrée sur quelques jours (la “pointe de froid”) et la demande globale liée à l’hiver (quantité de gaz au dessus de la moyenne à fournir au cours des mois d’hiver). Du fait notamment du besoin de chauffage des clients particu- liers, il est impératif de garantir la continuité de réponse à cette demande (hors circonstances exception- nelles)... Les stockages souterrains de gaz naturel constituent des instruments essentiels de gestion des variations de demande sur les différents pas de temps évoqués. Les stockages en cavités salines sont particulièrement adap- tés à restituer rapidement les quantités de gaz stockés. Cette “capacité de soutirage” élevée en fait les outils privilégiés et spécifiques de réponse à la pointe de froid. Une cavité saline n’a en revanche pas une gran- de contenance, un “volume utile” important, et, pour stocker une grande quantité de gaz, d’autres configura- tions géologiques, aquifères ou gisements déplétés2, Le secteur gazier européen connaît actuellement une profonde transformation. Celle-ci est notamment le fruit du processus de libérali- sation entamé à l’échelle européenne, mais des évolu- tions structurelles du contexte énergétique mondial, particulièrement placé sous les feux de l’actualité au cours des dernières années, accentuent encore l’am- pleur du bouleversement... L’article qui suit s’attachera à éclairer la profondeur de l’impact de cette grande transformation sur un maillon spécifique mais essentiel de la chaîne gazière, le stoc- kage souterrain, et particulièrement sur la décision d’in- vestissement le concernant. Nous verrons à quel point celle-ci est désormais l’objet d’une logique de ques- tionnements profondément modifiés pour les acteurs du secteur. Avant tout, il est indispensable de rappeler quelques éléments de base sur le rôle du stockage dans la chaîne gazière, et sur la façon dont cette chaîne était tradi- tionnellement agencée à l’échelle nationale, sous l’égi- de d’opérateurs intégrés. La modulation de la chaîne gazière et son organisation traditionnelle par l’opérateur intégré Le stockage a pour fonction principale1 de permettre un équilibre des flux de gaz dans le temps, entre un flux de production quasi-constant et une consommation fortement variable. L’hypothèse d’un rythme plus ou moins constant dans la production trouve son origine dans l’importance des capitaux fixes mobilisés par la production et la chaîne Frédéric DARTHENAY (P95) Ingénieur économiste à la Direction Négoce de Gaz de France Septembre/Octobre 2006 - Revue des Ingénieurs ■ 40 Le texte qui suit n’en- gage pas le Groupe Gaz de France. Les propos tenus sont la responsabilité exclusi- ve de leur auteur. Dans la chaîne gazière, l’investissement fixe dans les kilomètres de gazoduc est central. Le stockage est un complément essentiel du réseau de transport , qui permet la modulation des flux gaziers dans le temps, sans avoir besoin de surdimensionner l’ensemble de la chaî- ne de transport ... © Médiathèque Gaz de France / BOURGUET Roland Les installations du stockage de Manosque : plate-forme de déshydra- tation et bâtiment des compresseurs. La vraie spécificité du site, la cavité saline sur laquelle tout repose, reste évidemment invisible © Médiathèque Gaz de France / HAUTEMANIERE Noël Dossier : Stockage de l’Energie sont des solutions économiques plus adaptées. Ces derniers sont par contre beaucoup plus lents à restituer le gaz stocké (typique- ment entre 40 et 100 jours contre 10 à 30 pour une cavité saline). Ils sont eux dédiés au service d’une modulation saisonnière (res- titution tout au long de l’hiver du gaz stocké). Les stockages ne sont cependant pas l’unique solution pour assu- rer la modulation temporelle. Deux types de solution intervien- nent en complément ou en substitution du stockage. L’une pro- vient de l’amont : il s’agit du swing, de la flexibilité à la produc- tion. L’autre provient de l’aval, il s’agit du caractère “interruptible” de certains clients finaux. • A l’amont, en dépit de la quasi-constance qu’il est économique de maintenir, la production peut dans une certaine mesure dif- férencier son rythme de production selon la période de l’année et se rapprocher ainsi du profil de la demande. Cette solution est d’autant plus intéressante que le site de production fournisseur de flexibilité est proche de la zone de consommation. Une ori- gine éloignée du swing implique en effet d’avoir des gazoducs de transport international calibré sur le débit maximal (d’hiver) ; on se retrouve alors victime du piège de sous-utilisation du capi- tal fixe évoqué plus haut. Historiquement, avec une production intérieure significative, le swing a pu jouer un rôle important dans la modulation saisonnière des besoins européens, notam- ment celui issu du gisement géant de Groningue aux Pays-Bas pour une partie de l’Europe continentale et celui issu des champs de Mer du Nord pour le Royaume-Uni. • A l’aval de la chaîne, l’alimentation de certains clients industriels peut être suspendue, interrompue, selon des modalités contrac- tuellement pré-établies avec l’opérateur gazier. C’est le cas de certains industriels (notamment des producteurs d’électricité) susceptibles de passer d’une énergie à l’autre (du gaz au fioul) pour le fonctionnement de leur installation. Comment les choix concernant la modulation étaient-ils déter- minés dans l’organisation traditionnelle du monde gazier, et comment leur coordination était-elle assurée avec l’organisation du réseau d’infrastructures physiques et de flux gaziers ? Fondamentalement, c’était l’opérateur intégré (type Gaz de France) qui était en charge d’organiser et d’optimiser physique- ment le système gazier dans un cadre géographique régional, sou- vent national. Son implication portait sur tous les maillons de la chaîne gazière : il négociait les contrats long terme d’approvision- nement et de transit de gaz à l’international, transcrivant le swing à la production dans des clauses de flexibilité avec les produc- teurs, développait le portefeuille de clients interruptibles, inves- tissait dans les stockages... Historiquement, c’est dans un tel cadre que Gaz de France a par exemple développé depuis 1956 treize sites de stockage, principalement des aquifères, afin de satis- faire les besoins de modulation d’un pays à la consommation forte- ment saisonnière , à la production nationale très réduite, et relative- ment éloigné de la plupart de ses sources d’approvisionnement. La libéralisation et l’ouverture à la concurrence du secteur gazier au niveau de l’Union Européenne remettent en cause cette logique d’optimisation centralisée. Le nouveau monde gazier : changement de logique et incertitudes Le marché européen en voie d’unification est tout d’abord carac- térisé par une décentralisation forte des décisions. Nouveaux entrants et surtout anciens opérateurs monopolistiques interve- nant sur les anciens domaines exclusifs des uns et des autres par- ticipent d’un jeu d’acteurs ouvert. Par ailleurs, au sein même des opérateurs intégrés, les activités de négoce et de commercialisa- tion sont gérées de manière séparée des activités de gestion des infrastructures (dans une perspective d’assurer un accès non dis- criminatoire à celles-ci). En second lieu, ce nouveau monde a vocation à être régulé par le marché, notamment par les prix tels qu’ils se forment sur les mar- chés financiers du gaz (NBP britannique, Zeebrugge en Belgique...). Sur des horizons de deux à trois ans, les différents ser- vices de modulation temporelle peuvent être valorisés à partir des prix à terme de ces marchés : par exemple, pour le service de modu- lation saisonnière à partir du différentiel entre le prix du gaz livrable sur les mois d’hiver et celui du gaz livrable sur les mois d’été. Bien loin d’être intégrées dans la stratégie d’optimisation d’un opérateur intégré, les décisions d’investissement dans les diffé- rentes formes de stockage souterrain, font désormais plutôt l’objet de problématiques de décision relativement distinctes, reposant sur des hypothèses concernant la valorisation qui pourra en être faite “sur le marché”3. Pour les stockages à capacité de soutirage rapide, le nouvel envi- ronnement de marché semble être relativement propice à l’inves- tissement. En plus de ses usages fondamentaux au service du mar- ché final, ces stockages permettent de surcroît de saisir les oppor- tunités d’arbitrage que génère la volatilité des marchés. L’investissement unitaire par cavité saline reste limité (autour de quelques dizaines de millions d’Euros), avec une durée de déve- loppement entre un et cinq ans. Une partie de cet investissement est composée du coût du gaz coussin : il s’agit d’un volume de gaz injecté au moment du développement, pour y demeurer pen- dant toute la vie du stockage (pour une cavité saline, le ratio de gaz coussin par rapport au volume utile de gaz est uploads/Finance/ stock2006-12.pdf

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  • Publié le Aoû 07, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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