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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Ventes d’œuvres d’art à New York : comment les oligarques russes échappent aux sanctions PAR PATRICIA NEVES ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 30 MARS 2022 Arkady Rotenberg – à droite –, un ami d’enfance du président russe Vladimir Poutine, est soupçonné d’avoir potentiellement blanchi aux États-Unis, via le marché de l’art, 18 millions de dollars après avoir été sanctionné en 2014. © Photo Alexander Nemenov/AFP/POOL Le fisc américain enquête sur les oligarques russes. Ironiquement, c’est précisément aux États-Unis, grâce au manque de régulation du marché de l’art, que certains hommes du Kremlin ont pu contourner les sanctions prises après l’annexion de la Crimée. New York (États-Unis).– Chez Sotheby’s, à New York, la vente aux enchères qui a eu lieu le 8mai 2014 reste aujourd’hui encore dans les annales. À l’époque, l’événement a produit presque 60millions d’euros de résultat. Un record. Parmi les pièces mises sur le marché ce jour-là, des œuvres de maîtres impressionnistes. Au téléphone, un acheteur se montre particulièrement intéressé par une série de tableaux. Écouter l’article Dans sa liste, une œuvre du célèbre Marc Chagall ou encore une nature morte plus confidentielle du peintre français Georges Braque. Pour s’offrir ces toiles, l’acheteur qui attend au téléphone, un certain Gregory Baltser, est prêt à débourser beaucoup d’argent. Sept millions de dollars quasiment d’un seul coup. Dans la foulée, il a également tenu à s’offrir pour presque 55000dollars (45000 euros) La sieste, du peintre français Émile Othon Friesz. Dans le milieu, Gregory Baltser a alors bonne réputation, c’est un client sûr, «qui achète en son propre nom», a estimé le chef «compliance» de Sotheby’s auprès des autorités américaines. Les sept millions de dollars ne tardent d’ailleurs pas à arriver sur le compte en banque de la grande maison américaine de mise aux enchères, rachetée par Patrick Drahi en 2019. En un mois et en un seul virement, M.Baltser a tout payé. Seulement, tout le monde n’a pas la même version de ce qui s’est joué au cours de cette journée du 8mai 2014. Pour l’employée de Sotheby’s qui a accompagné Baltser au téléphone lors de la vente des tableaux, il était clair au contraire que ce citoyen américain domicilié à Moscou n’achetait pas pour son compte à lui. L’employée dit avoir entendu, derrière le combiné, «la voix d’un autre Russe en arrière-fond», qui semblait donner les ordres. Arkady Rotenberg – à droite –, un ami d’enfance du président russe Vladimir Poutine, est soupçonné d’avoir potentiellement blanchi aux États-Unis, via le marché de l’art, 18 millions de dollars après avoir été sanctionné en 2014. © Photo Alexander Nemenov/AFP/POOL « L’autre Russe», le véritable bénéficiaire des tableaux mis en vente par Sotheby’s, n’a été identifié qu’à l’été 2020. En remontant l’origine des fonds qui ont servi à payer les tableaux, le Comité d’enquête du Sénat américain est tombé sur Arkady Rotenberg, 70ans, un ami d’enfance du président russe Vladimir Poutine. Or Arkady Rotenberg, dont la fortune personnelle s’élève à près de 2milliards de dollars selon Forbes, n’est pas un inconnu. En Russie, il affirme être le propriétaire de l’immense palace sur la mer Noire qui appartiendrait en réalité, selon l’opposant AlexeïNavalny, à Vladimir Poutine. Aux États-Unis, il figure parmi les premiers hommes du Kremlin à avoir été sanctionnés par l’administration Obama, dès mars 2014, à la suite de l’annexion de la Crimée. Arkady Rotenberg a personnellement bénéficié de l’annexion. Parmi les gigantesques contrats publics que son ami Poutine lui a permis de remporter, on Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 trouve entre autres la construction du pont qui relie, par voie terrestre, la Russie à la Crimée annexée. Prix du contrat: 3,8milliards de dollars. Un projet cher à Poutine, qui est venu en personne inaugurer l’infrastructure à la fin des travaux. En tout, selon le Sénat américain, Arkady Rotenberg a potentiellement blanchi aux États-Unis, via le marché de l’art, 18millions de dollars après avoir été sanctionné en 2014. Et la situation a pu continuer. C’est du moins ce qu’indique l’Internal Revenue Service (IRS), le fisc fédéral américain. «En travaillant avec des entités chargées de l’application de la loi [...],l’IRS est déjà en train d’enquêter sur les oligarques russes et ceux qui facilitent le mouvement illégal d’argent ou d’actifs en leur nom», explique-t- il dans un rapport obtenu le 16mars par le New York Times. Depuis 2017, l’IRS dit avoir participé à une vingtaine d’enquêtes visant l’argent sale des «cronies» (copains) de Vladimir Poutine. Appelé à participer à la nouvelle task force, KleptoCapture, annoncée début mars par le président Joe Biden, visant spécifiquement les oligarques russes, l’IRS a plaidé le 16 mars devant le Congrès pour une rallonge budgétaire. D’après les estimations du Trésor américain, près de trois milliards de dollars par an pourraient être blanchis rien qu’à travers le marché de l’art. La culture du secret inhérente à ce marché, sa structure même et le manque de régulation en font un secteur de choix. « Divorce, dettes, décès»: piliers des ventes Outre les failles dans les processus de contrôle mis volontairement en place par les maisons comme Sotheby’s ou Christie’s, dans le marché secondaire de la revente d’œuvres d’art, plus de la moitié des transactions se réalisent via des ventes privées, parfois hors les galeries, foires ou mises aux enchères. «Ce genre de transactions privées se déroulent dans une sorte d’arrière-cuisine. Il arrive alors que la transaction n’apparaisse dans aucun registre»,explique à Mediapart John Zarobell, spécialiste du marché de l’art et professeur en relations internationales à l’université de San Francisco. « Si vous êtes sur le marché depuis longtemps,poursuit-il, vous savez probablement qui a acheté quoi. Disons que vous êtes un ancien des grandes maisons de mises aux enchères ou que vous aviez une galerie. Vous allez lire dans le journal par exemple qu’untel a divorcé. Vous savez qu’il a un très beau paysage fauviste dans sa salle à manger. Vous savez aussi que cet oligarque russe en cherche un. Qu’est-ce que vous faites? Vous mettez les deux en relation. Ce genre de deals arrive tout le temps.» «Divorce, dettes, décès, souligne John Zarobell, sont les trois principaux ressorts des ventes du marché de l’art aujourd’hui.» Le marché est tellement opaque qu’il arrive même, ironiquement, aux oligarques russes de s’en plaindre lorsqu’ils pensent s’être eux-mêmes fait avoir, à l’instar de l’oligarque bien connu en France, Dmitri Rybolovlev, qui a accusé son «art adviser», son conseiller en art, de l’avoir volé. Si le marché de l’art «était plus transparent», a regretté Rybolovlev après avoir porté plainte il y a presque sept ans, rien de tout ça ne lui serait arrivé. Aux États-Unis, plusieurs raisons permettent d’expliquer le manque de régulation du marché de l’art, encadré très tardivement y compris en Europe, en 2020 seulement. D’abord: un manque de volonté politique. Au-delà de «l’ethos qui prévaut aux États- Unis», c’est-à-dire que «tout ce qui n’est pas interdit est permis», il y a des motifs purement budgétaires, analyse Herbert Lazerow, professeur de droit à l’université de San Diego. « Vous n’avez pas assez d’argent ou d’agents pour appliquer tout ce que le Congrès vous a autorisé à faire»,explique-t-il à Mediapart. C’est ce qu’est venu rappeler l’Internal Revenue Service au Congrès le 16mars. L’IRS estime nécessaire d’augmenter les effectifs de son unité investigation (3000agents) de 40% dans les cinq prochaines années. Pour ces derniers, le défi est immense. La valeur totale des ventes dans le marché de l’art a atteint, malgré la pandémie, 50milliards de dollars en 2020. Outre les ventes privées, les ports francs – où l’art peut changer de main sans laisser de traces Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 –, le secteur semble de surcroît se déplacer sur des espaces moins régulés encore, en l’occurrence sur internet via les jetons non fongibles (NFT), titres de propriété d’objets d’art numériques par exemple, payés en cryptomonnaie sans contrôle aucun. Gregory Baltser, le bon client de Sotheby’s à New York, a, lui, vu son compte en banque fermé après avoir été payé 10000dollars par mois par Arkady Rotenberg, pour ses précieux services d’«art adviser». En 2014, pour régler la facture des tableaux, il avait utilisé un montage financier impliquant trois sociétés-écrans dont l’une immatriculée à Belize mais gérée en apparence depuis Londres par un citoyen britannique. Ces sociétés-écrans étaient alimentées par Milasi Engineering, un groupe appartenant à Arkady Rotenberg, l’ami d’enfance de Vladimir Poutine, rencontré au judo. Gregory Baltser n’a pas pour autant mis un terme à ses activités sur le marché de l’art. Il a seulement changé de banque. En 2018, il a commencé à opérer depuis Erevan, en Arménie. Directeur de la publication : Edwy Plenel Direction éditoriale : Carine Fouteau et Stéphane Alliès Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Capital social : 24 864,88€. Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des publications et agences de presse : 1214Y90071 et uploads/Finance/ los-oligarcas-rusos-evitan-las-sanciones-vendiendo-obras-de-arte-en-nueva-york.pdf

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  • Publié le Mai 11, 2022
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