CHAPITRE 3 Les expériences étrangères Que peut-on apprendre des expériences étr

CHAPITRE 3 Les expériences étrangères Que peut-on apprendre des expériences étrangères? À vrai dire, peu de chose et c’est déjà un enseignement. Il n’est pas de modèle que la France pourrait importer clés en main. Le malaise des acteurs est présent à des degrés divers dans tous les pays, ce qui explique l’intérêt que le mouvement des étudiants français a sus- cité. Et on y trouve les mêmes ingrédients : le débat intellectuel entre «orthodoxie» et «hétérodoxies»; le même flou caractérisant l’usage de ces termes; la question de l’abstraction et de l’usage immodéré des mathématiques; le problème du déclin des effec- tifs, etc. Mais il s’avère quasi impossible de comparer les systèmes natio- naux tant ils procèdent de philosophies différentes. Ce qui carac- térise nombre d’expériences étrangères, c’est la très grande hétérogénéité des formations. On y trouve le pire comme le meilleur, notamment aux États-Unis. Cette variété vient évidem- ment de l’autonomie des université en ces pays. En France, le caractère national des diplômes oblige à une certaine centralisa- tion. Mais, on l’a vu au chapitre précédent, cette centralisation n’empêche pas l’hétérogénéité et parfois elle la favorise. Les diplômes sont nationaux, mais certains lieux d’enseignement sont uniques – les grandes écoles – et d’autres dérogatoires par rapport à la loi commune, par exemple les IUP . Si donc il n’est pas facile de procéder à un état des lieux de l’enseignement de l’économie à l’étranger, il est relativement aisé d’y repérer les centres d’excellence et de tenter en les décrivant de souligner les «meilleures pratiques», pour parler un langage euro- péen. Mais comme ces lieux sont aux systèmes nationaux dans lesquels ils s’insèrent ce que les grandes écoles sont en notre pays, on perçoit bien, pour dire les choses sans détour, qu’une des rai- sons de leur succès est une «affaire de gros sous». UNE VUE D’ENSEMBLE Nous avons choisi dix universités dans quatre pays européens (Belgique, Espagne, Grande-Bretagne et Pays-Bas) et aux États- Unis. Ce choix, qui pourrait paraître arbitraire, fut déterminé par les contacts personnels que nous avions en ces universités et par la disponibilité d’informations précises sur leurs départements d’économie. Ces informations étaient dans tous les cas dispo- nibles sur Internet et parfois complétées par des rapports d’auto- évaluation dont copie nous a été remise. Ces universités sont : 1) Belgique – Université Libre de Bruxelles, université de Liège; 2) Espagne – UAB (Universita Autonoma Barcelona), CEMFI (Centro de Estudios Monetarios y Financerios); 3) États-Unis – Princeton, Chicago, MIT (Massachusetts Institute of Techno- logy) ; 4) Royaume-Uni – Warwick, LSE (London School of Economics); 5) Pays Bas –Tilburg. LE RECRUTEMENT DES ENSEIGNANTS Toutes les universités considérées, qu’elles soient publiques ou privées, ont une totale liberté de recrutement et, mis à part en Belgique, sont libres de déterminer les salaires des enseignants. En Belgique les établissements disposent d’une certaine autonomie, L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR DE L’ÉCONOMIE EN QUESTION 108 en jouant sur le niveau d’ancienneté au moment de l’embauche. Les salaires, ensuite, évoluent automatiquement jusqu’à ce qu’une promotion soit décidée au niveau de l’Université. En économie, plus peut-être qu’en d’autres disciplines, le «marché» des enseignants chercheurs apparaît comme mondia- lisé. Les départements d’économie se perçoivent en concurrence accrue sur ce «marché». Dans la plupart des cas, ils recrutent leurs jeunes enseignants au niveau du doctorat (PhD, philosophy doc- tor) et les procédures pour ce faire sont normalisées : des annonces ciblées de façon générale – poste à pourvoir en macro-économie, en micro-économie, en économie internationale, etc., pour un candidat sans ancienneté (assistant professor ou lecturer), avec ancienneté (associate professor, full professor) – sont publiées sur divers supports (Internet, The Economist, etc.). Les dossiers des candidats sont envoyés à un comité de sélection; des rencontres sont organisées, notamment pendant les congrès de l’American Economic Association ou de l’European Economic Association. Les candidats sélectionnés sont ensuite invités à présenter un séminaire par les départements demandeurs qui assument les frais de transport. Les termes du contrat sont enfin négociés : salaire, budget de recherche, durée du contrat, critères d’évaluation qui présideront après la période d’essai à l’obtention d’un contrat per- manent (tenure). Cette liberté, qui pourrait se traduire par une dérive de type localiste ou mandarinal, donne au contraire d’assez bons résultats, en tout cas pour ce qui concerne les universités considérées, comme l’atteste le classement sur des critères de recherche décrit plus bas. Cela provient notamment de l’existence d’incitations directes à recruter et animer des équipes de recherche compétitives, dont l’évaluation se fait de façon régulière. Dans les cas extrêmes a été mis en place un système d’évaluation clair et parfois impi- toyable (cf. l’exemple anglais), dont le résultat détermine le mon- tant des subventions destinées au département. En d’autres cas, la motivation est de rester compétitif dans l’obtention de crédits de recherche attribués par diverses institutions publiques, para- publiques ou privées, ces dernières portant un jugement précis, révisé au cours du temps, sur la qualité de la recherche des équipes. LES EXPÉRIENCES ÉTRANGÈRES 109 Il existe à l’évidence un décalage de conception entre la France et les départements étrangers considérés. Chaque système a des inconvénients, mais la rigidité du système français semble empê- cher les universités d’établir une véritable politique de recrute- ment. En théorie pourtant, rien n’empêche les départements français de se montrer plus volontaires dans leur politique. Ils peuvent, comme ailleurs, rechercher plus activement de jeunes candidats lorsqu’ils ont des postes de maîtres de conférences à pourvoir. Le principe de recrutement étant celui de la cooptation, ils peuvent aussi tenter d’attirer des économistes confirmés en poste dans d’autres universités, françaises ou étrangères. Certes, ils n’ont, semble-t-il, aucune marge de manœuvre dans le recrute- ment des jeunes agrégés, sauf à ne point proposer de postes au concours. Mais il est possible, comme on le verra dans le dernier chapitre, d’améliorer le fonctionnement du système sur ce point. Le vrai problème est qu’en pratique ils n’ont aucunement les moyens d’une telle politique. Elle implique, en effet, que les départements puissent avoir une certaine flexibilité dans l’alloca- tion des ressources mises à leur disposition : crédits de recherche et de participation à des colloques, secrétariat, bureaux, etc., sans compter la possibilité d’améliorer dans certaines limites les rému- nérations, surtout lorsqu’il s’agit de recruter des enseignants étran- gers. Autrement, les efforts déployés risquent de se retrouver bien mal récompensés. Les jeunes seront attirés par les lieux déjà établis en termes de réputation, qui n’ont pas vraiment besoin de conduire une politique active. Alors que les départements moins réputés savent que leurs efforts seront vains. Tout cela ne concourt pas à la dynamique du système, et conduit au contraire à une rou- tine qui ne peut que favoriser le localisme. Si l’on n’a pas les moyens de la concurrence, la seule ressource est de se replier sur son marché local. Le recrutement d’enseignants étrangers (ou français à l’étran- ger) est évidemment celui qui pâtit le plus du système. Peu de candidats étrangers se présentent aux concours d’agrégation, pro- bablement en raison du coût qu’impliquent ses épreuves, en termes de séjour et de voyages, mais probablement aussi parce que la pro- cédure de recrutement est insuffisamment connue et comprise à L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR DE L’ÉCONOMIE EN QUESTION 110 l’étranger. Elle a en effet quelques avantages sur les pratiques d’autres pays, notamment celui d’assurer la titularisation. Il n’y a, par contre, aucune difficulté procédurale à recruter des professeurs déjà en poste à l’étranger. Pourtant les recrutements de ce type sont rares, pour ne pas dire exceptionnels. Cela n’est pas spécifique à la France et semble être une caractéristique de l’ensemble des pays européens. L’asymétrie est frappante avec les États-Unis, où les uni- versités puisent fréquemment dans le réservoir européen, en offrant des chaires prestigieuses (et très bien rémunérées) aux pro- fesseurs de nos pays. Elles n’hésitent pas non plus, pour accroître leur attrait, à offrir d’autres avantages, tels que crédits de recherche, ou emplois pour les conjoints. Le jeu est évidemment inégal avec les établissements européens et surtout français, qui, dans le cadre actuel, n’ont aucun moyen de résister à une telle concurrence. Les différences de salaires sont trop considérables, même au niveau «junior», pour empêcher une telle asymétrie. Les universités euro- péennes ne parviennent ni à attirer des professeurs américains, ni même à retenir leurs meilleurs étudiants 1. L’ENSEIGNEMENT DE L’ÉCONOMIE Les filières d’enseignement de l’économie sont caractérisées, on l’a vu, par une assez grande hétérogénéité des expériences, entre pays bien sûr, mais aussi bien au sein de chacun d’entre eux. Cer- tains premiers cycles sont totalement pluridisciplinaires, comme au MIT, ou centrés sur l’économie, les statistiques et les mathé- matiques, comme à Chicago. D’autres mêlent étroitement écono- mie et gestion, comme à l’Université Libre de Bruxelles, ou sont au contraire assez spécialisés, comme à Tilburg. Partout, en revanche, on considère qu’il existe un corpus théorique de base (micro-économie, macro-économie et méthodes quantitatives) qui doit être maîtrisé par les étudiants. Presque partout, on incite aussi les étudiants à réfléchir aux aspects philosophiques, épisté- mologiques ou politiques de leur formation. Le corpus théorique de base est le uploads/Finance/ les-experiences-etrangeres-chapitre-3.pdf

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  • Publié le Jui 18, 2022
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