LA CONCURRENCE : DISCOURS ET PRATIQUES, HIER ET AUJOURD'HUI Jean-Pierre Hirsch

LA CONCURRENCE : DISCOURS ET PRATIQUES, HIER ET AUJOURD'HUI Jean-Pierre Hirsch Altern. économiques | « L'Économie politique » 2008/1 n° 37 | pages 66 à 76 ISSN 1293-6146 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2008-1-page-66.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Altern. économiques. © Altern. économiques. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Q uiconque connaît un peu l’histoire des deux derniers siècles a de quoi s’étonner lorsqu’il voit ressurgir, dans un monde totalement différent, des discours sur la concur- rence assez semblables à ceux des premiers temps de l’industrialisation. La perplexité s’accroît lorsqu’on voit s’affirmer au même moment deux tendances fortes, mais tout à fait contradic- toires, des sociétés contemporaines : la concurrence est une valeur aujourd’hui partout saluée et dont la place s’affirme au sein de nos institutions (en Europe comme au Japon et aux Etats-Unis), alors qu’elle ne paraît pas tellement appréciée par les principaux acteurs du monde des affaires. Tout se passe comme si, dans la majorité des cas, les entrepreneurs s’efforçaient non pas d’être les plus compétitifs, mais d’échapper à la concurrence, ce qui est assez différent. On observera en premier lieu la valorisation croissante de la concurrence, et pas seulement sa reconnaissance comme un ressort essentiel des activités humaines. Cette dernière cause est entendue depuis longtemps : l’Occident est pénétré des analyses d’un Hobbes ou d’un Darwin… Mais limiter les effets dévastateurs de la compéti- tion a constitué longtemps une raison d’être des institutions politi- ques, et davantage avec les progrès de la démocratie. Il semblerait La concurrence : discours et pratiques, hier et aujourd’hui [1] [1] L’Economie politique remercie les éditions LGDJ de l’avoir autorisée à reproduire cette version remaniée et actualisée de l’entrée « Concurrence » parue dans le Dictionnaire historique de l’économie- droit, XVIIIe-XXe siècle, sous la direction de Alessandro Stanziani, éd. LGDJ, 2007. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:13 - © Altern. économiques Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:13 - © Altern. économiques Janvier-février-mars 2008 ››› ››› p. 67 Qu’est-ce que l’économie de marché ? L’Economie politique désormais que l’évolution des institutions vise à lui offrir le plus grand champ possible et, cessant de la contenir dans des limites raisonnables, de vouloir combattre, au contraire, tout ce qui y fait obstacle. Le sens commun en vient un peu partout à affirmer que la concurrence est bienfaisante pour tous les acteurs du monde écono- mique : pour les nouveaux entrants dans une activité, c’est bien sûr la condition même de leur entrée. Mais les discours dominants font aussi valoir que la concurrence assure toujours aux consommateurs les prix les plus bas et surtout que, à moyen terme, elle répand ses bienfaits sur les producteurs et les vendeurs les mieux installés. Deux arguments s’additionnent : l’un, vieux de trois siècles, aussi ancien que l’économie politique, pose que seule la concurrence, assurant un prix juste, « naturel », permet aux diverses activités de se servir mutuellement de débouchés et ainsi d’obtenir le plus grand développement possible [2] ; l’autre, un peu moins ancien, fait valoir que la concurrence est l’aiguillon indispensable de l’innovation… Sans juger de la pertinence de ces discours, on notera seule- ment que les milieux d’affaires n’en paraissent pas convaincus, à regarder les pratiques des acteurs les plus puissants : le paysage est dominé par les fusions, réalisées ou projetées, par des ententes, par des monopoles de fait appuyés sur des pratiques de ventes liées, résistant vigoureusement à des condamnations assez molles. Ainsi l’éditeur de logiciels Microsoft a-t-il été poursuivi pour abus de posi- tion dominante, notamment parce qu’il imposait son Media Player aux acheteurs de son système d’exploitation ; mais il échappe aux poursuites de la justice américaine, et les sanctions décidées par la Commission européenne, au terme d’une longue bataille, restent assez dérisoires [3]. Plus répandus sont des oligopoles qui laissent de moins en moins de place aux opérateurs modestes, a fortiori aux nouveaux entrants. Ainsi la France assiste-t-elle actuellement à une concentration de la presse, des médias et de l’édition entre les mains de trois ou quatre poids lourds, en violation, pour ce qui est de la presse, d’ordonnances qui, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, protégeaient une concurrence anciennement proclamée, celle-là, comme une condition de la liberté. Peut-être ne faisons-nous là que répéter les analyses d’un Adam Smith qui, quoique pénétré des bienfaits de la libre concurrence, notait que les marchands tendaient toujours au monopole et que les réunions de gens du même métier aboutissaient généralement à « une conspiration contre l’intérêt public ou à quelque dispositif pour faire monter les prix » [4]. Mais sans doute le monde a-t-il, depuis, Jean-Pierre Hirsch [2] C’est l’argumentation qu’on trouve en tout cas dans la Dissertation sur la nature des richesses publiée par le magistrat français Boisguilbert en 1712. [3] Dès 2004, un juriste jugeait l’amende infligée à Microsoft si modeste que « par rapport au profit que Microsoft tire de son monopole, il ne serait même pas rationnel que la firme y mette fin » (Le Monde, 26 mars 2004). La condamnation à Luxembourg en 2007 ne corrigera pas les abus du passé, et on a observé que les contentieux n’abordaient pas même la question de la vente liée, manifeste dès l’achat d’un ordinateur. [4] Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776, point de vue longuement développé dans le livre IV, ch 2 (cf. trad. Germain Garnier, 1843, t. II, p. 52-63). Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:13 - © Altern. économiques Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:13 - © Altern. économiques L’Economie politique n° 37 p. 68 Qu’est-ce que l’économie de marché ? L’Economie politique bien changé… En tout cas, aujourd’hui, la plupart des organisations patronales disent qu’il n’y a rien de mieux que la concurrence. Comment rendre compte de cette contradiction, sans nier la portée des discours, surtout lorsque ces discours sont suivis de transformations effectives dans les institutions ? Il importe de ne pas avoir une vision schématique des positions en présence : un peu d’usage de l’histoire nous rend attentifs à la fluctuation constante des attitudes et aux divisions qui traversent aussi bien les milieux du commerce et de l’industrie que les diverses instances des pouvoirs politiques. Et les historiens peuvent peut-être éclairer la question en se demandant comment les entrepreneurs français se sont accommodés de la concurrence au cours de notre histoire « contemporaine ». Ceci impose de lever d’abord deux difficultés. N’est-ce pas l’oubli de ces deux points qui rend parfois inintelligible la question de la concurrence ? La concurrence n’est qu’un élément dans le tissu complexe des relations commerciales : contrairement aux théoriciens néo- classiques, les historiens sont habitués à voir dans la concurrence un processus compliqué, très éloigné de la réalisation de l’équi­ libre général par le seul mécanisme des prix et des quantités. Les entrepreneurs, chacun le pense maintenant, ne disposent que d’une information imparfaite. Mais en outre ils sont conscients de la variation constante des rapports qu’ils entretiennent avec leurs confrères/concurrents, amis/adversaires : le concurrent d’hier est le partenaire de demain et inversement. Les praticiens disent mieux que les observateurs ne sauraient le faire ce jeu continu de conflits et d’alliances : le financier américain George Soros explique combien comptent, au-delà de la réussite des « transactions » ponctuelles, les « relations » nouées avec les partenaires dans le long terme. Il se rappelle ses premières expériences dans l’univers de la finance : « Le problème n’était pas de savoir ce que l’on connaissait mais qui l’on connaissait. » En 1836, le négociant en draps français André de Neuflize disait encore mieux ce grave dilemme du commerce : « Il est impolitique de se mettre en rivalité avec des personnes de la bienveillance desquelles on a besoin » [5]. Changements d’échelle et changements des règles du jeu : concurrence ou coopération s’exercent à plusieurs niveaux. On distingue évidemment concurrence intérieure et compétitivité exté- Jean-Pierre Hirsch [5] George Soros, La Crise du capitalisme mondial. L’intégrisme des marchés, uploads/Finance/ leco-037-0066.pdf

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  • Publié le Mai 11, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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