Reflets de la Physique n° 40 26 La collaboration scientifique franco-argentine es
Reflets de la Physique n° 40 26 La collaboration scientifique franco-argentine est très vivante aujourd’hui, tant à l’échelle de grands projets bi- ou multinationaux qu’à celle d’échanges de quelques chercheurs. Nous rappellerons d’abord la place privilégiée occupée de tout temps par les relations scientifiques franco-argentines, s’appuyant sur une forte influence culturelle française en Argentine. Nous présente- rons ensuite, à titre d’exemple, une coopération développée depuis une trentaine d’années jusqu’à la formation d’un Laboratoire international associé. Enfin, nous examinerons les perspectives et les modalités ouvertes aujourd’hui pour les coopérations scientifiques avec ce pays. Nous remercions Étienne Guyon et Charles de Novion pour leurs suggestions. Les acronymes suivis d’un astérisque sont explicités dans le glossaire, p. 29. La coopération scientifique franco-argentine Une longue histoire Déjà, au 19e siècle Il y eut tout d’abord, en Argentine, les grands voyageurs du dix-neuvième siècle, généralement envoyés en mission par l’Académie des sciences ou le Muséum, afin de récupérer des échantillons de la flore et de la faune. Les cas les plus connus sont ceux d’Aimé Bonpland (compagnon d’Alexandre de Humbold lors de l’expédi- tion mémorable de 1799 à 1804, dans plusieurs autres régions d’Amérique, voir figure 1) et d’Alcide d’Orbigny, qui arri- vent en mission scientifique avant Charles Darwin [1]. En 1817, le botaniste Aimé Bonpland (1773-1858) est nommé profes- seur d’histoire naturelle à Buenos Aires et, dès son arrivée, commence à explorer l’Amérique du Sud. Le naturaliste Alcide d’Orbigny, envoyé par le Muséum, part en 1826 passer sept ans dans cette région (voir figure p. 30). Durant son voyage, il va collecter, observer, décrire des échantillons dans tous les domaines de la zoologie des invertébrés comme des vertébrés, de la botanique, de l’anthropologie et de l’eth- nologie. Les formidables collections qu’il rassemble, riches de presque 9000 espèces, très souvent nouvelles, sont expédiées directement au Muséum. L’Argentine accède à l’indépendance en 1816 et se constitue en République, sous sa forme actuelle, en 1853. Elle crée ses premières institutions scientifiques en faisant appel à plusieurs universitaires et scientifiques français. C’est ainsi qu’en 1857 Auguste Bravard, géologue et paléontologue, est nommé directeur du Musée National de la Confédération Argentine à la ville de Parana, et Francis Beuf, lieutenant de l’armée française et directeur de l’observatoire de la Marine de Toulon, devient le premier directeur de l’Observatoire Astronomique de La Plata, fondé en 1881. En même temps, Amédée Jacques, normalien et philosophe, devient le Directeur du Colegio Nacional de Buenos Aires (fig. 2), le lycée le plus pres- tigieux d’Argentine [2]. José Eduardo Wesfreid(1) (wesfreid@pmmh.espci.fr), Irene Ippolito(2), Marta Rosen(2) et Jean-Pierre Hulin(3) (1) Laboratoire PMMH, ESPCI, 10 rue Vauquelin, 75231 Paris Cedex 05. (2) Grupo de Medios Porosos, Facultad de Ingeniería, Universidad de Buenos Aires, Paseo Colon 850, Buenos Aires (Argentine). (3) Laboratoire FAST, Bâtiment 502, Campus Paris-Sud, 91405 Orsay. 1. Alexandre von Humboldt et Aimé Bonpland observant une pluie de météores à Cumana, sur la côte nord de l’Amérique du Sud, le 12 novembre 1799. © Rue des Archives / The Granger Collection (0008924). Article disponible sur le site http://www.refletsdelaphysique.fr ou http://dx.doi.org/10.1051/refdp/201440026 27 Refl ets de la Physique n° 40 Puis, au 20e siècle Plus récemment, Paul Langevin s’est fortement investi sous ces latitudes. Au cours de deux voyages, en 1927 et 1928, il se rend à Buenos Aires pour donner, chaque fois, une série de neuf conférences, à l’invitation de l’Institut de l’Université de Paris à Buenos Aires [3] (fi g. 3a). Cette institution, antenne informelle de la Sorbonne en Argentine, organisait régu- lièrement dans ce pays des missions d’un ou deux mois des plus éminents scientifi ques français. L’Argentine, pays riche à l’époque, aimait également montrer son opulence en invitant des visiteurs illustres. P. Langevin donna ainsi une série complète de cours à la Faculté des Sciences sur la relativité et la physique moderne, mais aussi à la Faculté de Philosophie. Le moment était particulièrement bien choisi car, déjà en 1925, Albert Einstein s’était rendu en Argentine, et avait donné des conférences sur le même sujet, bien que la communauté des physiciens de l’époque fût très réduite (c’est seulement en 1944 qu’est fondée l’Association Physique de l’Argentine). La répercussion des cours de Langevin fut considérable et donna lieu, le lendemain de chaque conférence, à une chronique régulière dans le quotidien La Prensa. La répercussion sociale ne fut pas moindre et Le Courrier de La Plata, quotidien français 4Science et société 2. Le Colegio Nacional Central de Buenos Aires, en 1918. de Buenos Aires, couvrit régulièrement les déplacements de Langevin (fi g. 3b) qui allaient d’une visite à l’Hôpital Français jusqu’à un dîner en ville. Les relations du scientifi que français avec ses homologues argentins allaient plus loin que des missions. Le professeur Horacio Damianovich, de la ville de Santa Fé, fut visiteur au Collège de France, et c’est avec lui que Langevin organisa à Paris, la réunion internationale de Chimie Physique en 1928. Ce congrès, sous la présidence de Jean Perrin, fut l’un des premiers à réunir, à Paris, des chercheurs allemands et alliés, remettant ainsi en cause le boycott décidé par la Conférence des Académies des Sciences interalliées, au lendemain de la Première Guerre mondiale [4]. Langevin se félicite que « cette initiative née en Argentine, [soit] une contribution au rap- prochement de scientifi ques [et rappelle] le rôle de la science comme facteur de paix ». >>> 3. (a) Visite par Paul Langevin (6e à partir de la gauche) du port de la ville de Rosario, en Argentine, avec des membres de la Faculté de Sciences de l’Université Nationale du Littoral. (Source : Archivo General de la Nación - Argentine, gentillesse de Maria Fuentes). 3. (b) Article du Courrier de la Plata du 17 juillet 1928, annonçant l’arrivée de Paul Langevin à Buenos Aires. Des échanges dans les deux sens La route de la science n’a pas du tout été à sens unique entre la France et l’Argentine : ainsi, Florentino Ameghino, paléontologue et anthropologue argentin, qui effectua de très nombreuses découvertes de grands animaux fossiles en Argentine, séjourne en France entre 1878 et 1881, où il rédige avec Henri Gervais, du Muséum, sa première monographie sur ces mammifères [5]. Il explora également les traces de l’homme quaternaire dans les carrières de Chelles, en 1880 [6]. En 1931, deux Argentins, Fernando Pérez, créateur d’une méthode d’analyse des peintures par lumière rasante et ambassa- deur d’Argentine en Italie, et Carlos Mainini, professeur à l’Université de Buenos Aires et attaché scientifique à Paris, furent à l’origine de la création du Laboratoire de Recherches du Louvre (aujourd’hui Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France – C2RMF) et en devinrent les animateurs [7] (fig. 4). Plusieurs fois dans l’histoire, la mobilité scientifique entre la France et l’Argentine a également été motivée par des raisons politiques. C’est ainsi que A. Bravard et A. Jacques, partisans de la Révolution de février 1848, s’exilent en Argentine après le coup d’état bonapartiste de décembre 1851. Dans l’autre sens, la France a accueilli un groupe de scientifiques argentins à la suite du coup d’État de 1966 et, plus particuliè- rement, de la « Nuit des Longs Bâtons », où l’armée a investi et occupé l’Université Argentine. La répression s’est alors abattue sur les enseignants de la Faculté des Sciences, motivant la démission de 80% des enseignants et l’exil de 301 d’entre eux. Plusieurs de ces chercheurs ont joué, en France, un rôle important dans la création de l’école moderne de biophysique et bio- logie moléculaire. Le dernier coup d’État, le plus sanglant de l’histoire argentine, a provoqué en 1976 l’exil de nombreux chercheurs argentins vers la France. L’un d’eux, Eduardo Pasquini, physicien à Saclay, rentra en Argentine au cours de la dicta- ture et est, depuis, porté disparu, comme 31 autres physiciens, suite à son arrestation par les forces de répression [8]. À Paris, un « Comité pour la libération des physiciens argentins emprisonnés » est constitué, présidé par Alfred Kastler, prix Nobel. Un exemple de coopération C’est pendant la période de reconstruction de la démocratie, qui suivit la chute de cette dictature en 1983, que démarra en 1985 une coopération entre la Faculté d’Ingénierie de l’Université de Buenos Aires (UBA) et plusieurs laboratoires français. Cette action porte sur la physique de l’hydrodynamique et des milieux désordonnés, et donne une idée des différents modes de coopération possibles. À cette époque, le Groupe de milieux poreux (GMP) de cette faculté venait juste d’être créé et recherchait des coopérations extérieures : les difficultés pratiques pour monter une activité expé- rimentale étaient innombrables mais, par contre, des jeunes chercheur(se)s enthou- siastes en stage de fin d’études universitaires représentaient un apport inestimable. Des accords ponctuels de deux ans entre le CNRS et son équivalent argentin, le CONICET*, ainsi que des participations argentines à quelques écoles d’été (Cargèse, Les Houches) facilitèrent le démarrage de la coopération entre un laboratoire de l’École Supérieure de Physique et Chimie Industrielles (PMMH-ESPCI*) et le GMP sur des problèmes d’instabilités hydrody- namiques et de dispersion de traceurs dans les milieux poreux. Des missions de seniors dans les deux sens uploads/Finance/ la-cooperation-scientifique-franco-argentine-une-longue-histoire.pdf
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- Publié le Jan 18, 2022
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