LA COMPTABILITÉ EST-ELLE ENCORE “L ’ALGÈBRE DU DROIT” ? (1) C et exposé (1) est
LA COMPTABILITÉ EST-ELLE ENCORE “L ’ALGÈBRE DU DROIT” ? (1) C et exposé (1) est placé sous le signe d’un double paradoxe : d’abord parce que, dans un colloque sur la fiscalité, je vais vous parler de droit, ensuite parce qu’il y a quelque risque pour un expert-comptable à parler du droit, transgressant ainsi la sacro-sainte frontière entre les gens du chiffre et ceux du droit. Je vais m’y essayer prudemment, d’abord en explicitant un peu le titre de mon intervention qui est “la comptabilité est-elle encore l’algèbre du droit ? ”. Les plus anciens d’entre nous savent que je fais référence à un ouvrage d’un de nos grands anciens, Pierre Garnier, qui a publié un ouvrage de comptabilité générale il y a relativement longtemps, dont le sous-titre était “la comptabilité algèbre du droit et méthode d’observation des faits économiques”. A la question « la comptabilité est-elle encore l’algèbre du droit ? », j’aurais envie de répondre « non, elle est devenue une méthode d’observation des faits écono- miques », ce qui prouve bien l’ambiguï- té de notre doctrine. Contrairement à Dominique Villemot qui a rendu son rapport sur IAS et Fiscalité, je n’ai pas encore rendu le rapport sur IAS et Droit ; je resterai donc prudent dès lors que, peut-être, certaines de mes conclusions ne seront pas reprises par l’assemblée plénière du Conseil natio- nal de la comptabilité. Je propose que nous organisions l’ex- posé autour de trois thèmes : ■Comment cadrer le sujet ? ■Quels sont les constats résultant de l’analyse des normes ? ■Quelles sont les conséquences de ces constats ? La question qui nous était posée était de savoir, dans l’hypothèse où demain on devrait appliquer les normes IAS/IFRS aux comptes sociaux, quelles en seraient les conséquences juridiques. On s’aper- çoit d’abord que, quand on pose la ques- tion en ces termes, on la pose au futur alors qu’on devrait la poser au présent, et ce pour deux raisons : • la première, c’est que, comme vous l’ont indiqué mes prédécesseurs, il est hypothétique d’attendre un “grand soir fiscalo-comptable” dans lequel nous pas- serions de l’obscurité à la lumière, d’un ancien droit comptable à un nouveau droit comptable. Ce n’est pas du tout ce qui se passera : ce qui se passe, c’est que très progressivement, et volontai- rement, le Conseil national de la comp- tabilité fait évoluer le fond de nos règles comptables pour les faire converger avec les règles IFRS chaque fois que c’est pos- sible ; • la deuxième raison pour laquelle ce n’est pas hypothétique et futur, c’est que ces normes s’appliquent aux comptes consolidés, lesquels, contrai- rement à ce qu’on dit trop souvent, ne sont pas sans conséquence juridique. Par exemple en droit des sociétés puisque, dans le droit français, ils doivent faire l’objet d’une approbation par les actionnaires. Ces normes ne sont pas non plus sans conséquence sur le droit des contrats puisque, la plupart des grands groupes le savent, les covenants qui sont inscrits dans leurs contrats de Spécial IAS/IFRS R.F .C. 380 Septembre 2005 18 De quoi parlons-nous ? Dominique LEDOUBLE Expert-comptable Président d’honneur de l’Ordre des experts-comptables Président de la Commission IAS-Droit du Conseil national de la comptabilité Résumé de l’article Dans le système juridique français, les liens entre le droit et la compta- bilité sont étroits ; l'introduction des règles IFRS, généralement fondées sur une approche financière et non juridique des opérations, pour l'éta- blissement des comptes sociaux de toutes les entreprises, aura donc de nombreuses implications, tant sur le fond du droit positif (en droit des sociétés ou droit social par exemple) que sur son interprétation (en droit pénal des affaires notamment). Il reste à anticiper quelles seront les réactions des entreprises, des admi- nistrations ou des magistrats, princi- paux acteurs concernés. 1. Cet exposé est une adaptation de la confé- rence prononcée par Dominique LEDOUBLE au colloque “Fiscalité-Comptabilité-IAS” organisée le 19 mai 2005 par le DESS 221 “Fiscalité de l’entreprise” de l’Université Paris 9-Dauphine, sous la présidence de P.F. RACINE, président de la Cour administrative d’appel de Paris. financement sont généralement calcu- lés non sur les comptes sociaux mais sur les comptes consolidés. L’imprégnation française des comptes me faisait penser à la phrase du Général de Gaulle qui disait « la Russie boira le communisme comme le buvard boit l’encre ». Je pense que cette une formule s’applique assez bien à la façon dont nous nous impré- gnons progressivement des normes. Comment avons-nous travaillé ? Nous avons pris l’ensemble des normes, puis nous avons dit à des groupes de tra- vail qui étaient formés de comptables et de juristes : « vous allez étudier ces normes, les unes derrière les autres, vous les juristes, nous allons vous les expliquer et vous allez nous dire ce qu’elles vous inspirent, en droit des sociétés, en droit social et nous allons faire l’inventaire de vos remarques ». Ça n’est évidemment qu’un premier inventaire puisque le sujet est extrême- ment vaste et que nous nous sommes limités aux entreprises industrielles et commerciales. Il reste donc le champ immense des banques et des compa- gnies d’assurances et l’ensemble de la sphère financière que nous n’avons pas abordés pour le moment. Nous ne sommes pas allés en profondeur non plus, c’est-à-dire que nous n’avons pas décliné notre constat général par branche professionnelle. Là aussi, on s’aperçoit que l’incidence des normes IFRS peut être très différente suivant qu’on est dans le pétrole ou l’épicerie fine. Quels sont les constats qui résultent de ce travail ? Un changement de paradigme Les constats généraux sont les suivants : • un premier, que l’on connaissait dès le départ mais dont nous avons analysé les conséquences : une plus forte décon- nection entre le droit et des normes comptables qui, évidemment, ne peu- vent pas se rapporter à un droit puis- qu’elles sont d’origine internationale ; • les différences viennent aussi du fait qu’un certain nombre de paramètres techniques retenus par les normes inter- nationales sont différents de ceux qui sont retenus dans nos conceptions habi- tuelles. Nous changeons de paradigme, pour prendre un mot un peu pompeux, c’est- à-dire que nous passons d’un système patrimonial à un système, disons, à base économique. C’est-à-dire pour simpli- fier que nous passons : • d’un système dans lequel le bilan est la représentation chiffrée d’un patri- moine à un système dans lequel le bilan est la représentation d’une situation éco- nomique, • d’un système dans lequel le compte de résultat est la représentation chiffrée de l’ensemble des contrats et des opéra- tions qui ont été passées par l’entrepri- se à un système dans lequel c’est l’en- semble des performances de l’entreprise que l’on essaie de mesurer. L’autonomie des règles comptables Il résulte de ce glissement une forte déconnection, une forte autonomie des règles comptables nouvelles par rapport à l’ensemble des branches du droit. Les relations entre les deux disciplines sont extrêmement variées : • des situations dans lesquelles les normes comptables renvoient expres- sément à la situation juridique. C’est par exemple le cas de ce qu’on appelle la dé- comptabilisation, la défaisance, dans laquelle on a fondé la règle comptable sur le renvoi à la situation juridique ; • des situations dans lesquelles les règles comptables utilisent des concepts juri- diques mais ce sont des faux amis : en réalité, on ne met pas la même chose derrière les mots. • des situations dans lesquelles le régu- lateur comptable dit « oui, il y a une situa- tion juridique, elle est ce qu’elle est, mais ce n’est pas ça qui m’intéresse. Ce qui m’intéresse, c’est l’analyse économique des choses ; si elle coïncide avec l’analyse juridique, c’est très bien mais si elle ne coïncide pas avec l’analyse juridique, il faudra s’en écarter ». Ceci n’est pas absolument nouveau. Ce qui est nouveau, c’est son caractère sys- tématique. De nouvelles définitions du bilan et du compte de résultat Quand vous définissez un actif comme un élément dont vous contrôlez les avan- tages économiques futurs, quand vous retenez une définition aussi abstraite et générale, vous en tirez la conclusion que ça n’a pas grand-chose à voir avec le fait de classer nos immobilisations en les rac- crochant à un droit de propriété. Sur les passifs, les différences sont un tout petit peu moins accusées mainte- nant, ne serait-ce que parce que c’est nous qui avons fait le chemin vers les IFRS avec le règlement du CRC sur les passifs. Par contre, nous observons encore de très fortes différences s’agissant de la nature des capitaux propres puisque, dans le droit français, le capital c’est la garantie du créancier. Il y a donc implicitement, dans la notion françai- se du capital, la notion de fixité du capital. Les normes IFRS vous disent que les capitaux propres sont un élé- ment résiduel, c’est la différence qui reste entre les actifs et les passifs ; cette différence varie tout le temps et de plus, on peut y toucher directement dans l’année et pas seulement au moment des assemblées générales. Se posent alors uploads/Finance/ la-comptabilite-l-x27-algebre-du-droit-pdf.pdf
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- Publié le Dec 22, 2021
- Catégorie Business / Finance
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