Mr François Bonnieux L'économétrie en tant que discipline In: Économie rurale.

Mr François Bonnieux L'économétrie en tant que discipline In: Économie rurale. N°157, 1983. pp. 5-6. Citer ce document / Cite this document : Bonnieux François. L'économétrie en tant que discipline. In: Économie rurale. N°157, 1983. pp. 5-6. doi : 10.3406/ecoru.1983.2993 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ecoru_0013-0559_1983_num_157_1_2993 ECONOMIE RURALE n° 157, septembre-octobre 1983 L'ÉCONOMÉTRIE EN TANT QUE DISCIPLINE F. BONNIEUX INRA - RENNES Très en honneur au XVIIe siècle, l'économie statistique se,déve- loppe à partir de l'étude des problèmes agricoles. Toiis les manuels d'économie rurale font référence à la loi de King, ten tative pour déterminer le rapport entre le prix et la quantité offerte de blé (Milhau, 1954, pp. 235-45). Il faut toutefois insis ter davantage, comme le note J. Schumpeter (1914, p. 39), sur la contribution de W. Petty. Ce dernier, plus proche de nous dans sa démarche, insiste sur les questions de méthode et tente de dominer les faits statistiques avec plus de lucidité que ses con temporains. L'utilisation de données numériques, on parle alors d'arithmétique politique, demeure malgré tout extérieure à un raisonnement formulé exclusivement en termes littéraires. L'intérêt d'une formulation mathématique en économie est reconnue très tôt, en particulier dès 1711 par un auteur italien G. Ceva (Strotz, 1978). Bien que l'on puisse noter l'emploi de symboles algébriques chez certains auteurs au cours du XVIIIe siècle, cet intérêt ne s'est concrétisé que beaucoup plus tard. L'ap plication par Cournot de l'analyse mathématique au comporte ment des entreprises et à la stabilité de l'équilibre de concurrence parfaite marque l'origine de l'économie mathématique. Cette démarche lui a permis de poursuivre une recherche là où le lan gage littéraire devenait trop lourd et ne permettait plus de pro gresser. Comme le remarque J. Schumpeter (1914, p. 185), « cette méthode est presque unanimement reconnue et elle a, à peu près partout, des représentants, même en France, où elle s'est heur tée à une opposition particulièrement violente ». L'efficacité du détour par l'algèbre est expliquée par K. Marx dans sa lettre à Engels datée du 1 1 janvier 1858 (1). Alors que Cournot a appli qué les mathématiques de son temps, K. Marx n'en a pas fait un usage explicite. Il a par contre découvert de nouveaux problèmes mathématiques à l'intérieur de la théorie écono mique. Il les a résolus avec justesse par intuition, les théories mathématiques nécessaires n'ayant été développées qu'ultérieu rement. Pour répondre à la question de la reproduction et du développement du système capitaliste, il fait confiance à son « appréhension sociale scientifique » et obtient pratiquement la même solution que celle obtenue aujourd'hui en application rigoureuse du théorème de Frobenius Perron. Sur un autre plan pour montrer l'existence d'un équilibre de concurrence parfaite, Walras met au point une procédure de tâtonnement qui, refor mulée rigoureusement, est équivalente au théorème du point fixe de Brouwer. L'économie mathématique ne diffère pas dans son essence de la théorie en général et on ne peut pas lui opposer d'arguments particuliers. L'utilisation combinée d'une formalisation mathématique, d'hypothèses économiques et de données numériques selon une procédure d'inférence statistique n'intervient qu'assez tard. A ce titre, H. Moore est souvent cité comme un précurseur de l'éco- nométrie (2). Parmi d'autres économistes du début du siècle, il s'attache à déterminer empiriquement des lois de demande et publie en 1914 un ouvrage consacré aux cycles économiques, leur (1) Ce passage est emprunté à M. Morishima (1975) (2) On évoque parfois aussi les lois de Engel. loi et leur cause. Il ne semble pas que ses travaux aient eu à l'épo que une diffusion importante puisque leur synthèse intitulée « Synthetic economics » et publiée en 1929 ne fut vendue qu'à 873 exemplaires (Strotz, 1978) ! L'économétrie s'est constituée en tant que discipline avant la 2e guerre mondiale. Une date importante est celle de la fonda tion à l'initiative principalement de I. Fisher et de R. Frisch, de la Société d'Econométrie, le 29 décembre 1930. Cette création marque l'aboutissement d'un projet déjà ancien (Christ, 1983) et vise parmi ses objectifs à promouvoir une démarche construct ive et rigoureuse semblable à celle qui commence à dominer dans les sciences naturelles. Le faible développement de la théorie des probabilités et de la statistique mathématique ont sans aucun doute constitué un frein. Bien que la méthode des moindres carrés soit connue depuis la fin du XVIIIe siècle et que des modèles linéaires aient été ajustés au XIXe siècle, on ne dispose d'une théorie de l'échantillonnage qu'à partir de 1900. Un des premiers traités de probabilités, fondé sur une axiomatique rigoureuse paraît au début des années trente (Kolmogorov, 1933) et il faut attendre la même période pour disposer d'un ouvrage de synthèse sur la corrélation multiple (Ezekiel, 1930). C'est à cette époque que l'on acquiert une vision claire du modèle de la régression linéaire multiple. Sur cette base, l'étude de la demande des pro duits agricoles à partir de la régression prix-quantités se déve loppe pour culminer avec l'ouvrage classique de H. Schultz (1938). Des travaux sur l'offre de produits agricoles visent par ailleurs à relier les superficies aux prix décalés d'une année. Malgré des résultats satisfaisants, un certain nombre d'est imations surprenantes conduisent à poser le problème fondament al de l'identification qui ne sera résolu que plus tard. Il mérite qu'on s'y attarde, en l'illustrant de façon simple (Malinvaud, 1978, pp. 664-668). Considérons dans le plan prix-quantités, les courbes d'offre et de demande pour un bien donné. Si ces fonc tions sont stables, les observations faites sur le marché consi déré se distribuent autour du point d'intersection des deux cour bes, puisqu'elles correspondent à la situation d'équilibre. Les données ne permettent pas d'estimer les courbes d'offre et de demande, on dit que les relations structurelles, offre et demande ne sont pas identifiables. Supposons maintenant que la demande soit stable, mais que l'offre dépende en plus du prix du bien d'une autre variable, par exemple, les conditions climatiques. Dans le plan prix-quantités, la courbe d'offre se déplace en fonction des variations de la variable supplémentaire (conditions climatiques) et le point d'équilibre décrit la courbe de demande. Un ajust ement prix-quantités permet d'estimer la courbe de demande, la demande est identifiable mais l'offre ne l'est pas Cet exemp le aide à comprendre que lorsque l'offre est rigide, on puisse estimer les lois de demande par une régression prix-quantités. Les premiers travaux de modélisation macroéconomique quant itative sont entrepris par Tinbergen dans l'immédiat avant-guerre et portent sur les Pays-Bas et les Etats-Unis. Beaucoup d'éco- nomètres sont alors conscients des problèmes posés par le fait d'isoler une relation dans un modèle et de l'estimer indépendam ment des autres. Sans pour autant apporter une solution sati sfaisante à la simultanéité, différentes techniques multivariables sont essayées (analyse canonique, composantes principales...). -5- Le passage d'un modèle déterministe à un modèle probabi- liste va permettre un progrès méthodologique considérable. L'utilisation d'un modèle déterministe implique en effet que l'on puisse tenir compte de tous les éléments qui expliquent les fluc tuations du phénomène étudié. Ce n'est généralement pas le cas dans la mesure où tous les facteurs qui interviennent ne sont pas connus. Lorsqu'ils le sont, ils ne sont pas toujours observables. Enfin, quant à leur mesure, lorsqu'elle est possible, elle peut être entachée d'erreurs. Ces considérations fondent l'introduction de termes aléatoires dans les modèles économétriques. Cette con ception est clairement formulée en 1944 par Haavelmo (Malin- vaud 1978, p. 3). Il convertit le modèle à équations multiples de l'économie en un modèle statistique en introduisant des Varia bles aléatoires non observables. Le chemin parcouru est analo gue à celui qui a permis de passer de la relation linéaire au modèle de la régression. Les problèmes d'identification et d'estimation vont alors recevoir des solutions, sous l'impulsion en particul ier de la Cowles Commission (Koopmans, 1950). Le modèle économétrique est désormais vu comme un système de relations, entre des variables qui pour certaines sont aléatoi res, qu'il s'agit de préciser à la lumière d'observations. La con frontation entre le modèle et la réalité se déroule selon les prin cipes de l'induction statistique. Les observations sont donc con sidérées comme un échantillon tiré d'un univers décrit par la théo rie dont est issue le modèle. L'économétrie se constitue ainsi en discipline au carrefour de l'économie mathématique et de la statistique mathématique. Sa démarche la rend originale. On peut la décrire en distinguant deux phases. Une première Consiste à exprimer sous une forme mathématique un corps d'hypothèses économiques. C'est la spé cification qui aboutit à un modèle qui dépend en général de para mètres inconnus. La deuxième phase porte sur l'estimation des paramètres inconnus, auquels on donne des valeurs précises en respectant des critères statistiques. L'interprétation des résultats obtenus permet un retour critique aux hypothèses de départ. A ces étapes peut s'ajouter un travail de prévision. Tout comme l'économie mathématique, l'économétrie repose sur les prémisses fondamentales selon lesquelles il est possible d'adopter une formalisation mathématique de la théorie étudiée, ce qui en limite clairement le champ d'application. Les mathé matiques permettent d'assurer la cohérence interne du modèle économétrique. Selon la conception moderne (Malinvaud, 1978) l'économie mathématique n'appartient uploads/Finance/ demarche-econometrique 1 .pdf

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  • Publié le Mar 16, 2021
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