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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 General Electric : 800 millions d’euros transférés de France vers des paradis fiscaux PAR FILIPPO ORTONA (DISCLOSE) ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 31 MAI 2022 L’usine General Electric de Belfort, le 24 septembre 2020. © Photo Sébastien Bozon / AFP Depuis le rachat de la branche énergie d’Alstom, en 2015, la multinationale américaine aurait mis en place un vaste système d’évasion fiscale entre la France, la Suisse et le Delaware. Avec la bénédiction de Bercy. Une enquête de notre partenaire Disclose. C’est un fiasco industriel qui n’en finit plus. Sept ans après la vente de la branche énergie d’Alstom à General Electric, le bilan de la multinationale américaine en France est désastreux: 5000emplois supprimés, dont 1400 au sein de l’usine de Belfort; un savoir-faire technologique laissé à l’abandon; une enquête préliminaire pour «prise illégale d’intérêts» contre Hugh Bailey, le directeur général de GE France… Et désormais, un scandale d’évasion fiscale. Selon notre enquête, qui s’appuie sur des rapports d’audits indépendants et plusieurs documents comptables internes au groupe, la multinationale américaine a mis en place un montage financier opaque entre son antenne française, la General Electric Energy Products France (GEEPF), et des filiales domiciliées en Suisse et dans l’État américain du Delaware. L’usine General Electric de Belfort, le 24 septembre 2020. © Photo Sébastien Bozon / AFP Objectif : échapper au fisc français en dissimulant les bénéfices liés à la vente de turbines à gaz produites à Belfort, en Bourgogne-Franche-Comté. D’après nos estimations, plus de 800millions d’euros ont disparu des caisses de GEEPF entre 2015 et 2020. Soit un manque à gagner pour les comptes publics de 150 à 300millions d’euros. Mediapart avait déjà analysé en 2019 la manière dont la politique financière de l’entreprise affaiblissait son site de Belfort. L’utilisation massive de flux financiers intragroupe et des «prix de transfert» avaient notamment été détaillés. Les révélations de Disclose confirment et approfondissent ces informations. Pour General Electric, la grande évasion débute fin 2015 par une astuce à la fois simple et discrète: le transfert des responsabilités commerciales de GEEPF vers une société créée pour l’occasion à Baden, en Suisse. Son nom: General Electric Switzerland GmbH (GES). Dès lors, l’usine de Belfort, annoncée à l’époque du rachat comme le futur siège mondial des activités de turbines du groupe, cesse d’être un «fabricant» pour devenir une «unité de fabrication» placée sous les ordres d’une société suisse. Cette «restructuration», précise le document, correspondrait à la «dernière année profitable» du site franc-comtois. Et pour cause: Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 avec ce montage, GE vient de lancer son entreprise de captation des profits issus de la vente de turbines et de pièces détachées made in France. Les bureaux de General Electric dans la ville de Baden (Suisse). © GoogleEarth Illustration en 2019. Cette année-là, un contrat est passé entre GEEPF et la société suisse GES pour la vente de turbines à gaz. Montant du marché: plus de 350millions d’euros. Alors que ces équipements ont été produits en France, GES s’approprie le statut de «fabricant», présentant le site de Belfort comme un banal «distributeur». L’intérêt de ce tour de passe-passe: permettre à l’antenne helvète de revendre les turbines au client final afin d’en percevoir les bénéfices. Dans le cadre de ces contrats, pas moins de 97% des bénéfices se sont envolés vers la Suisse, où le taux d’imposition sur les bénéfices se situe entre 17% et 22%, contre 33% en France. Contacté, General Electric n’a pas répondu à nos questions. Laisser-faire de l’État Un montage similaire implique la vente des pièces de rechange pour les turbines – l’essentiel des revenus du site de Belfort. D’après une estimation basée sur le rapport annuel du groupe General Electric, la combine aurait rapporté près de 1,5milliard d’euros à GES, sa filiale suisse, entre 2016 et 2019. Le tout avec la bénédiction du ministère de l’économie. Selon nos informations, General Electric, à la suite du rachat de la branche énergie d’Alstom, aurait bénéficié d’un protocole dit de «relation de confiance» avec l’administration fiscale française. Ce mécanisme prévoit que «l’entreprise fourni[sse] tous les éléments nécessaires à la compréhension de sa situation» fiscale, d’après un document de la direction générale des finances publiques, daté de 2013. En clair, la multinationale a fait valider son schéma fiscal, donc les liens entre ses filiales, par Bercy. En retour, elle a obtenu que les services du ministère n’effectuent pas de contrôle. Interrogé sur sa connaissance précise du mécanisme d’optimisation mis en place par General Electric, le ministère de l’économie et des finances n’a pas répondu à nos questions. Emmanuel Macron lors d’une visite sur le site de Belfort, le 10 février 2022. © AFP À Baden, au «8 Brown-Boveri Strasse », General Electric a domicilié trois autres filiales en affaires avec le «prestataire» français. Les deux premières, General Electric Global Services GmbH et GE Global Parts and Products GmbH, sont chargées de vendre les pièces de rechange fabriquées à Belfort. La troisième, baptisée General Electric Technology GmbH, a pour mission de collecter les droits des brevets liés aux turbines à gaz. Pour une raison simple, selon l’un des rapports d’audit consultés par Disclose: «Les revenus étrangers issus de brevets sont très peu taxés en Suisse.» Depuis 2015, 177millions d’euros de redevances technologiques ont quitté la France, direction Baden. Les millions envolés au Delaware Pour compléter sa stratégie d’optimisation fiscale, General Electric s’appuie sur une autre filiale du groupe, basée, cette fois, aux États-Unis. Monogram Licensing International LLC, c’est son nom, est domiciliée dans le Delaware, un État connu pour ne prélever aucun impôt sur les sociétés. Entre 2014 et 2019, elle aurait perçu près de 80,9millions d’euros de la part de GE France pour l’utilisation de la marque, du logo et des slogans publicitaires de General Electric. Selon le contrat en vigueur entre les deux sociétés, la France doit alors verser 1% de son chiffre d’affaires Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 annuel au Delaware. Pourtant, ce seuil a été franchi à plusieurs reprises. Sans aucune explication, souligne l’un des audits du groupe. © Document Disclose La captation massive des richesses produites par les ouvriers de Belfort pourrait s’avérer illégale, comme l’indique une convention fiscale internationale appelée BEPS, pour « Érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices» en français. Entré en vigueur en France en 2019, ce texte censé renforcer la lutte contre l’évasion fiscale stipule que les bénéfices des sociétés doivent être «imposés là où s’exercent réellement les activités économiques […] et là où la valeur est créée».En toute logique, dans le cas des turbines produites à Belfort, l’impôt devrait donc être prélevé en France; pas en Suisse. Salariés lésés En faisant disparaître 800millions d’euros des comptes de General Electric Energy Products France, la multinationale a donc échappé à l’impôt. Mais elle a aussi privé les salarié·es français·es d’une partie de leur participation dans l’entreprise. Un expert fiscaliste à qui nous avons soumis les bilans de General Electric à Belfort le confirme: en réduisant artificiellement les profits, l’industriel aurait privé ses employé·es de plusieurs milliers d’euros, entre 2015 à 2019, au titre de leur participation aux bénéfices de GEEPF. En décembre 2021, le syndicat SUD Industrie et le comité social et économique (CSE) du site de Belfort ont déposé plainte contre leur employeur pour «fraude au droit à la participation des salariés». Le système mis en place par le groupe a également grevé les finances locales. «À partir du moment où GE délocalise ses bénéfices, forcément elle paye moins d’impôts», explique Mathilde Regnaud, conseillère d’opposition à Belfort. En février dernier, estimant à 10millions d’euros «la perte cumulée de recettes» issues de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) entre 2017 à 2022, les élu·es du conseil communautaire de Belfort ont réclamé une analyse détaillée des «pertes fiscales subies par l’agglomération». Une demande qui pointe avant tout «la légalité […] des manœuvres d’optimisation fiscale» opérées par General Electric sur le territoire. En 2021, lesdites manœuvres auraient en partie provoqué l’augmentation des impôts fonciers sur la commune. Boite noire Disclose est un média et une ONG de journalisme d’investigation à but non lucratif, géré par une association. Cette enquête a été entièrement financé par des dons des lecteurs et le soutien de fondations philanthropiques. Directeur de la publication : Edwy Plenel Direction éditoriale : Carine Fouteau et Stéphane Alliès Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Capital social : 24 864,88€. Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel (Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, François Vitrani. Actionnaires directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, Marie- Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, Société des Amis de Mediapart, Société des salariés uploads/Finance/ article-1033250.pdf

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  • Publié le Mai 15, 2022
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