BITCOIN ET BLOCKCHAIN : QUELLES OPPORTUNITÉS ? JEAN-MARC FIGUET* D epuis l’avèn
BITCOIN ET BLOCKCHAIN : QUELLES OPPORTUNITÉS ? JEAN-MARC FIGUET* D epuis l’avènement de la monnaie comme intermédiaire des échanges entre agents économiques, ses formes ont évolué. Les métaux précieux ont été remplacés par les monnaies- papier convertibles en or qui elles-mêmes, depuis la fin des accords de Bretton Woods, ont été remplacées par les monnaies fiduciaires émises par les banques centrales. La monnaie n’a donc pas de forme particu- lière, mais évolue avec le temps. Le dénominateur commun est la confiance de la communauté des usagers qui confère à la monnaie une valeur d’échange permettant de conclure définitivement une transac- tion. Hicks (1967) considère que la forme importe peu. Ce qui importe finalement ce sont les fonctions que la monnaie assure : moyen de paiement, unité de compte et réserve de valeurs. Mishkin (2004, p. 44) définit d’ailleurs la monnaie comme « anything that is generally accepted in payment for goods and services or in the repayment of debts ». La monnaie peut être considérée comme une convention entre les agents puisque, selon Orléan (2004, p. 26), « la “substance” de la monnaie, c’est l’accord qui se fait autour d’elle pour la considérer comme richesse sociale à l’issue d’un processus autoréférentiel ». L’évolution technologique a conduit à la création et à l’émergence d’une nouvelle forme de monnaies : la monnaie virtuelle ou digitale, baptisée aussi crypto-monnaie ou monnaie marchandise synthétique (Selgin, 2013). Ces monnaies électroniques sont créées à partir d’un protocole cryptographique de pair à pair, donc sans banque centrale (Narayan et al., 2016). Au sens strict du terme, il s’agit de monnaies privées au sens de Hayek (1976, p. 13) : « The further pursuit of the * Professeur, Larefi, université de Bordeaux. Contact : jean-marc.figuetsu-bordeaux.fr. 325 suggestion that government should be deprived of its monopoly of the issue of money opened the most fascinating theorical vistas and showed the possibility of arrangements which have never been considered. » Hayek envisageait qu’un agent privé puisse émettre la monnaie légale à la place de l’État. Dans le cas des monnaies virtuelles, l’émetteur n’est pas le fait d’un agent, mais d’un réseau collaboratif ouvert à tous. Plusieurs centaines de ces monnaies sont actuellement en circulation, dont litecoin, peercoin, auroracoin, dogecoin, ripple, etc. Le site coinmarket.com recense, en avril 2016, plus de six cents monnaies virtuelles dont la capitalisation avoisinerait 8 Md$. La plus importante d’entre elles est le bitcoin dont la capitalisation serait supérieure à 6 Md$. Le bitcoin a été créé en 2008 par le collectif Satoshi Nakamoto pour qui : « A purely peer-to-peer version of electronic cash would allow online payments to be sent directly from one party to another without going through a financial institution. » (Nakamoto, 2008, p. 1). L’émergence de ces monnaies digitales constitue une innovation qui suscite l’intérêt des banquiers centraux et des régulateurs (Banque de France, 2013 ; EBA, 2014 ; BCE, 2015 ; CPMI, 2015), des banques commerciales (par exemple, Santander InnoVentures, 2015) et des économistes en tant qu’objet d’analyse (Blundell-Wignall, 2014 ; Böhme et al., 2015 ; Velde, 2015). La problématique est de définir la nature de ces crypto-monnaies et leur impact sur les systèmes moné- taires et financiers contemporains. Autrement dit, ces monnaies vir- tuelles remplissent-elles les fonctions traditionnellement attribuées à la monnaie ? Quels sont les bénéfices et les risques liés à leur utilisation ? Nous montrons que le bitcoin n’a pas aujourd’hui les attributs d’une monnaie traditionnelle. Néanmoins la technologie utilisée, la chaîne de blocs (blockchain), peut conduire à une évolution de l’organisation centralisée des paiements et des transactions financières. Le mouve- ment, qualifié de disruptif, posera cependant des problèmes opération- nels et juridiques que les régulateurs devront gérer. LE BITCOIN : UNE MONNAIE ? Après avoir rappelé les principes de fonctionnement de base du bitcoin, nous analysons ses caractéristiques monétaires. Les caractéristiques du bitcoin Une monnaie virtuelle est une suite de 0 et de 1. Dans le cas du bitcoin, le protocole cryptographique implique que seuls 21 millions d’entre eux seront créés d’ici à 2140. En mars 2016, plus de 15 millions sont en circulation. Chaque agent peut obtenir des bitcoins en les achetant sur des plateformes d’échange contre de la monnaie tradi- tionnelle (euro, dollar, etc.), en réalisant des transactions en bitcoins, REVUE D’ÉCONOMIE FINANCIÈRE 326 ou en participant à la surveillance du réseau et à la création de nouveaux blocs de transaction (activité de minage). La monnaie est stockée dans un porte-monnaie virtuel attaché à un compte. L’ensemble des comptes sont inventoriés dans la chaîne de blocs qui est un registre décentralisé et, a priori, infalsifiable du fait du protocole cryptographique. La chaîne de blocs est une technologie algorithmique qui établit la confiance entre deux parties inconnues sans intermédiaire de confiance. L’intérêt de ce système collaboratif ouvert est que n’importe qui peut consulter les transactions réalisées depuis l’origine, ce qui évite notam- ment le problème de la double dépense (Dwyer, 2014). Cette techno- logie est fondée sur un registre comptable en ligne (distributed ledger) accessible à tous les ordinateurs connectés qui vérifient l’origine des bitcoins et valide les transactions. Buterin (2015, p. 2) définit la chaîne comme « une couche informatique au-dessus de tout ordinateur y participant qui est un moyen de créer un système sûr à partir de composants individuels qui potentiellement ne le sont pas ». Le schéma 1 retrace les étapes d’une transaction en bitcoins. Les mineurs Les mineurs, dont une analyse détaillée est fournie par Velde (2015), jouent un rôle central. Ils valident les transactions dans un bloc en résolvant un problème mathématique reposant sur une fonction de hachage (dont le résultat est un hash). Les mineurs assurent le rôle de certificateurs. Toutes les dix minutes environ, une page est ajoutée (« miner un bloc ») à la chaîne de blocs existants. Le mineur le plus rapide pour résoudre le problème reçoit une prime de 25 bitcoins Schéma 1 Une transaction en bitcoins BITCOIN ET BLOCKCHAIN : QUELLES OPPORTUNITÉS ? 327 (coinbase). Cette prime constitue le processus de création monétaire : la monnaie virtuelle est créée en contrepartie du temps de calcul des ordinateurs. Il n’y a théoriquement ni barrière à l’entrée, ni barrière à la sortie dans ce système de pair à pair. Le marché des mineurs est un marché contestable au sens de Baumol et al. (1982). N’importe quel agent peut intégrer la chaîne en mettant la puissance de son ordinateur à disposition du réseau pour miner les prochains blocs. Pratiquement l’offre de bitcoins étant temporellement croissante à taux décroissant, le minage d’un bloc devient de plus en plus difficile selon la formule : La rentabilité de l’activité de minage est décroissante dans le temps. Par contre, le coût de production est croissant. Les mineurs doivent en effet investir dans des ordinateurs dont la puissance de calcul est de plus en plus importante pour augmenter la probabilité de résoudre les premiers le problème. Le marché des mineurs est passé par différentes phases. Au départ, des particuliers pouvaient miner. Mais la croissance de la complexité du problème à résoudre (donc de la puissance de calcul) a conduit à une concentration du marché dominé aujourd’hui par quelques pools (F2Pool, AntPool, BitFury, BTCChina Pool, BW.COM, etc.). Le risque serait désormais de voir un pool obtenir au moins 51 % de la puissance de calcul. Le pool pourrait alors systéma- tiquement encaisser la prime, dépenser plusieurs fois le même bitcoin, bloquer les transactions des tiers, réécrire la chaîne de blocs, donc provoquer l’effondrement de la valeur du bitcoin, etc., ce qui irait à l’encontre des objectifs d’un mineur rationnel, sans compter le coût exorbitant d’une telle attaque. Selon le site bitcoin.watch, la puissance totale du réseau bitcoin serait, en mars 2016, de l’ordre de 1 200 000 pétahash (1 péta = 1015) par seconde, ce qui en ferait aujourd’hui le réseau mondial le plus puissant. Cette course à la puissance est, selon Dupré et al. (2015, p. 6), « un élément destructeur de commun d’un point de vue écologique », car elle est énergivore. Pour les mineurs, le niveau des coûts n’est en rien problématique, car ils objectent que la production de moyens et de services de paiement traditionnels implique des coûts bien plus importants (coûts de production, de stockage, de surveillance, etc.) que ceux qu’ils supportent. Et l’émission décentralisée d’une monnaie virtuelle n’implique aucun revenu de seigneuriage, contrairement à l’émission centralisée d’une monnaie fiduciaire. Difficulté = Temps moyen (en s) × Taux de hachage/s (1) 232 REVUE D’ÉCONOMIE FINANCIÈRE 328 Les utilisateurs Pour se procurer des bitcoins, un agent doit télécharger un logiciel libre et ouvert (par exemple, Bittorrent) lui permettant de créer un compte à partir duquel il va échanger une monnaie légale contre des bitcoins, puis réaliser des transactions. À chaque compte sont associées deux clés. La première est totalement publique et permet de débiter ou créditer le compte. La seconde est purement privée et permet à son détenteur d’initier les transactions. Si l’agent décide de gérer seul son compte, son anonymat peut être préservé. Le protocole permet d’assurer la uploads/Finance/ 3470-bitcoin-et-blockchain-quelles-opportunites.pdf
Documents similaires








-
26
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 08, 2021
- Catégorie Business / Finance
- Langue French
- Taille du fichier 0.3869MB