vingt-sixième série du langage Ce sont les événements qui rendent le langage po

vingt-sixième série du langage Ce sont les événements qui rendent le langage possible. Mais rendre possible ne signifie pas faire commencer. On commence toujours dans l'ordre de la parole, mais non pas dans celui du langage, où tout doit être donné simultanément, d'un coup unique. Il y a toujours quelqu'un qui commence à parler ; celui qui parle, c'est le manifestant ; ce dont on parle, c'est le désigné ; ce qu'on dit, ce sont les significations. L'événement n'est rien de tout cela : il ne parle pas plus qu'on en parle ou qu'on ne le dit. Et pourtant il appartient tellement au langage, il le hante si bien qu'il n'existe pas hors des propositions qui l'expriment. Mais il ne se confond pas avec elles, l'exprimé ne se confond pas avec l'expression. Il ne lui préexiste pas, mais lui pré-insiste, ainsi lui donne fondement et condition. Rendre le langage possible signifie ceci : faire que les sons ne se confondent pas avec les qualités sonores des choses, avec le bruitage des corps, avec leurs actions et passions. Ce qui rend le langage possible, c'est ce qui sépare les sons des corps et les organise en propositions, les rend libres pour la fonction expressive. C'est toujours une bouche qui parle ; mais le son a cessé d'être le bruit d'un corps qui mange, pure oralité, pour devenir la manifestation d'un sujet qui s'exprime. C'est toujours des corps et de leurs mélanges qu'on parle, mais les sons ont cessé d'être des qualités attenant à ces corps pour entrer avec eux dans un nouveau rapport, celui de la désignation, et exprimer ce pouvoir de parler et d'être parlé. Or la désignation et la manifestation ne fondent pas le langage, elles ne sont rendues possibles qu'avec lui. Elles supposent l'expression. L'expression se fonde sur l'événement comme entité de l'exprimable ou de l'exprimé. Ce qui rend le langage possible, c'est l'événement, en tant qu'il ne se confond ni avec la proposition qui l'exprime, ni avec l'état de celui qui la prononce, ni avec l'état de choses 212 DU LANGAGE désigné par la proposition. Et, en vérité, tout cela ne serait que bruit sans l'événement, et bruit indistinct. Car non seulement l'événement rend possible, et sépare ce qu'il rend possible, mais distingue dans ce qu'il rend possible (cf. la triple distinction dans la proposition de la désignation, de la manifestation et de la signification). Comment l'événement rend-il le langage possible ? Nous avons vu quelle était son essence, pur effet de surface, impassible incorporel. L'événement résulte des corps, de leurs mélanges, de leurs actions et passions. Mais il diffère en nature de ce dont il résulte. Aussi s'attribue-t-il aux corps, aux états de choses, mais non pas du tout comme une qualité physique : seulement comme un attribut très spécial, dialectique ou plutôt noématique, incorporel. Cet attribut n'existe pas hors de la proposition qui l'exprime. Mais il diffère en nature de son expression. Aussi existe-t-il dans la proposition, mais non pas du tout comme un nom de corps ou de qualité, pas du tout comme un sujet ou prédicat : seulement comme l'exprimable ou l'exprimé de la proposition, enveloppé dans un verbe. C'est la même entité qui est événement survenant aux états de choses et sens insistant dans la proposition. Dès lors, dans la mesure où l'événement incorporel se constitue et constitue la surface, il fait monter à cette surface les termes de sa double référence : les corps auxquels il renvoie comme attribut noématique, les propositions auxquelles il renvoie comme exprimable. Et ces termes, il les organise comme deux séries qu'il sépare, puisque c'est par et dans cette séparation qu'il se distingue lui-même des corps dont il résulte et des propositions qu'il rend possibles. Cette séparation, cette ligne-frontière entre les choses et les propositions (manger- parler) passe aussi bien dans le « rendu possible », c'est-à-dire dans les propositions mêmes, entre les noms et les verbes, ou plutôt entre les désignations et les expressions, les désignations renvoyant toujours à des corps ou objets consommables en droit, les expressions, à des sens exprimables. Mais la ligne-frontière n'opérerait pas cette séparation de séries à la surface si elle n'articulait enfin ce qu'elle sépare, puisqu'elle opère d'un côté et de l'autre par une seule et même puissance incorporelle, ici définie comme survenant aux états de choses et là comme insistant dans les propositions. (Ce pourquoi le langage lui-même n'a qu'une 213 LOGIQUE DU SENS puissance, bien qu'il ait plusieurs dimensions). La ligne- frontière fait donc converger les séries divergentes ; mais ainsi elle ne supprime ni ne corrige leur divergence. Car elle les fait converger non pas en elles-mêmes, ce qui serait impossible, mais autour d'un élément paradoxal, point qui parcourt la ligne ou circule à travers les séries, centre toujours déplacé qui ne constitue un cercle de convergence que pour ce qui diverge en tant que tel (puissance d'affirmer la disjonction). Cet élément, ce point est la quasi-cause à laquelle les efiets de surface se rattachent, en tant précisément qu'ils diffèrent en nature de leurs causes corporelles. C'est ce point qui est exprimé dans le langage par les mots ésotériques de divers types, assurant à la fois la séparation, la coordination et la ramification des séries. Ainsi toute l'organisation du langage présente les trois figures de la surface métaphysique ou transcendantale, de la ligne incorporelle abstraite et du point décentré : les effets de surface ou événements ; à la surface, la ligne du sens immanente à l'événement j. sur la ligne, le point du non-sens, non-sens de surface coprésent au sens. Les deux grands systèmes antiques, épicurisme et stoïcisme, ont tenté d'assigner dans les choses ce qui rend le langage possible. Mais ils le firent de manière très différente. Car, pour fonder non seulement la liberté, mais le langage et son emploi, les Epicuriens dressèrent un modèle qui était la déclinaison de l'atome, les Stoïciens, au contraire, la conjugaison des événements. Il n'est donc pas étonnant que le modèle épicurien privilégie les noms et les adjectifs, les noms étant comme des atomes ou des corps linguistiques qui se composent par leur déclinaison, et les adjectifs, des qualités de ces composés. Mais le modèle stoïcien comprend le langage à partir de termes « plus fiers » : les verbes et leur conjugaison, en fonction des liens entre événements incorporels. La question de savoir ce qui est premier dans le langage, des noms ou des verbes, ne peut pas être résolue d'après la maxime générale « au commencement il y a l'action », et pour autant qu'on fait du verbe le représentant de. l'action première, et de la racine le premier état du verbe. Car il n'est pas vrai que le verbe représente une action ; il exprime un événement, ce qui est tout différent. Et pas davantage le langage ne se développe à partir de 214 DU LANGAGE racines premières ; il s'organise autour d'éléments formateurs qui en déterminent le tout. Mais si le langage ne se forme pas progressivement d'après la succession d'un temps extérieur, on ne croira pas pour autant que la totalité en soit homogène. Il est vrai que les « phonèmes » assurent toute distinction linguistique possible dans les « morphèmes » et les « sémantèmes », mais, inversement, ce sont les unités signifiantes et morphologiques qui déterminent dans les distinctions phonématiques celles qui sont pertinentes pour une langue considérée. Le tout ne peut donc pas être décrit par un mouvement simple, mais par un mouvement d'aller et de retour, d'action et de réaction linguistiques, qui représente le cercle de la proposition '. Et, si l'action phonique forme un espace ouvert du langage, la réaction sémantique forme un temps intérieur sans lequel l'espace ne serait pas déterminé conformément à telle ou telle langue. Or, indépendamment des éléments et du seul point de vue du mouvement, les noms et leur déclinaison incarnent l'action, tandis que les verbes et leur conjugaison incarnent la réaction. Le verbe n'est pas une image d'action extérieure, mais un processus de réaction intérieur au langage. C'est pourquoi, dans son idée la plus générale, il enveloppe la temporalité interne de la langue. C'est lui qui constitue l'anneau de la proposition en ramenant la signification sur la désignation, et le sémantème sur le phonème. Mais aussi bien c'est de lui qu'on infère ce que l'anneau cache ou enroule, ce que l'anneau révèle une fois fendu et déplié, déroulé, déployé en ligne droite : le sens ou l'événement comme exprimé de la proposition. Le verbe a deux pôles : le présent, qui marque son rapport avec un état de choses désignable en fonction d'un temps physique de succession ; l'infinitif, qui marque son rapport avec le sens ou l'événement en fonction du temps interne qu'il enveloppe. Le verbe tout entier oscille entre le « mode » infinitif qui représente le cercle une fois déplié 1. Sur ce processus de retour ou de réaction, et la temporalité interne qu'il implique, cf. l'œuvre de Gustave Guillaume (et l'analyse qu'en fait E. Ortigues dans Le Discours uploads/Finance/ 26e-serie-du-langage.pdf

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  • Publié le Mar 17, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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