Critique économique n° 28-29 • Printemps-été 2012 77 Résumé L’originalité théor

Critique économique n° 28-29 • Printemps-été 2012 77 Résumé L’originalité théorique de la finance comportementale consiste notamment en la prise en compte des comportements individuels ne répondant pas à ceux attendus par l’hypothèse de rationalité induite par la théorie des marchés efficients. Cela se traduit également dans une modélisation particulière. Cette modélisation a pris forme grâce à la Théorie comportementale du portefeuille (Behavioral Portfolio Theory ou BPT) introduite par Shefrin et Statman (2000). Dès lors, elle offre la possibilité à ce cadre cognitif alternatif à la Théorie de l’efficience des marchés financiers de passer d’un statut explicatif à un statut opératoire par le développement de ces outils de modélisation. En effet, par ce biais, la finance comportementale dépasse la critique du simple exposé de biais comportementaux. Elle permet une tentative d’utilisation empirique de ces éléments théoriques comme par exemple dans le processus de prise de décision d’investissement des fonds de pension. Ces derniers deviennent des investisseurs institutionnels de plus en plus importants dans les économies émergentes développant leur espace financier, comme au Maroc. Cette contribution offre un développement détaillé du modèle BPT en lien avec l’état de l’art de la finance comportementale. Mots-clés : modélisation ; finance comportementale ; théorie de l’efficience des marchés financiers. Classification JEL : G11, G14. Abstract The theoretical originality of the Behavioral finance is mainly characterized by the fact that it incorporates individual behaviors that are different from the hypothesis of rationality as stated by the Efficient Market Theory. It is therefore translated likes a particular modeling. This modeling is represented by the Behavioral Portfolio Theory as introduced by Shefrin & Statman (2000). It thus allows to this alternative cognitive frame of the Efficient Market Hypothesis to develop from a status of explanatory theory to a status of operatory device. By doing so, La finance comportementale : un enjeu pour les fonds de pension * Nicolas Moumni (nicolas.moumni@ u-picardie.fr) Caroline Duneufgermain Faculté d’Economie et de Gestion, Amiens * Ce texte a fait l’objet d’une communication à la deuxième session de l’Ecole académique organisée à Rabat les 26 et 27 mars 2010 par le Collège Etudes stratégiques et développement économique de l’Académie Hassan II des Sciences et Techniques. 78 Critique économique n° 28-29 • Printemps-été 2012 Nicolas Moumni et Caroline Duneufgermain the Behavioral Theory outpasses the main criticism, i.e. being a simple presentation of the different behavioral biases. It hence allows to empirically winging a set of theoretical elements in different decision-making processes like those modeling pension funds for example. This class of institutional investors became more and more important in emerging economies that experience an intensive development of their financial system as Morocco. This contribution offers a detailed development of BPT’s model linked with Behavioral finance’s bibliography. Introduction Suite au Prix Nobel d’économie attribué en 2002 à D. Kahneman et A. Tversky pour leur contribution au développement de la Théorie des perspectives (1979), la finance comportementale a reçu ses lettres de noblesse sur la scène scientifique internationale. Cette théorie prend en compte dans la modélisation des choix individuels, différents « biais » psychologiques qui affectent les agents économiques face à une décision risquée. Elle se développe ainsi comme une alternative à la Théorie standard, considérant l’hypothèse de rationalité des agents sous une forme moins radicale et offrant la place principale à la psychologie des agents économiques. Grâce notamment à la théorie comportementale du portefeuille (Behavioral Portfolio Theory) développée par Shefrin et Statman (2000), cette théorie alternative a la possibilité de passer d’un statut explicatif à un statut opératoire par le développement d’outils de modélisation. Bien que les outils prennent une forme assez semblable à ceux employés par la théorie standard, un certain nombre d’écarts face à ce modèle dominant vient traduire la prise en compte de l’aspect psychologique des agents dans le cadre cognitif alternatif. Malgré ses failles, la théorie dominante régit l’extrême majorité des fonds de pension internationaux. Dès lors, l’originalité de la modélisation de la finance comportementale serait intéressante pour ces investisseurs institutionnels qui s’inscrivent incontestablement dans la gestion internationale et de plus en plus dans les pays qui connaissent un développement attractif de leur espace financier, comme au Maroc. La présente contribution s’articule autour de deux axes. Le premier est consacré à une revue de littérature sur la finance comportementale ; le second est un exposé des principes particuliers de modélisation, développée particulièrement par la théorie comportementale du portefeuille, et de ses différentes étapes de résolution. Cette modélisation, de par cette forme innovante, peut avoir un intérêt pour les fonds de pension dans le cadre de leur gestion. Critique économique n° 28-29 • Printemps-été 2012 79 La finance comportementale : un enjeu pour les fonds de pension 1. Bref aperçu de l’état de l’art dans la littérature Durant la période de l’Après-guerre, le Capital Asset-Pricing Model (CAPM) représente certainement l’une des trois contributions majeures de la recherche académique aux techniques de gestion des portefeuilles. 1.1. De l’efficience à la finance comportementale Depuis les années soixante-dix, la théorie de l’efficience a dominé, en milieu académique, le cadre d’analyse des déterminants des cours des actions, en particulier, et des marchés financiers en général. Mais depuis la résurgence des bulles, des krachs, des crises financières et, semble-t-il, d’un excès de volatilité boursière (1), la recherche universitaire a étendu son champ pour intégrer certains des apports des sciences sociales comme la psychologie, la sociologie humaine ainsi que les résultats établis par l’expérimentation en laboratoire du comportement des intervenants en bourse. Toutefois, comme on le sait, Keynes (1936), dans ses travaux sur la finance, avait déjà utilisé le concept de psychologie de masse. S’apparentant à la tradition keynésienne, non forcément dominante, un courant qualifié de post-keynésien développe la même optique en soulignant l’importance du caractère autoréférentiel de l’évaluation des actions et la nature stratégique de la rationalité des acteurs. Dans la même direction, la finance comportementale, dont l’audience s’élargit aujourd’hui, tente d’améliorer les réponses apportées aux problèmes soulevés par la récurrence des anomalies et des inefficiences sur les marchés financiers. 2. Les fondements théoriques des marchés efficients La théorie des marchés financiers est fondée sur trois principales hypothèses. Il s’agit de la maximisation de l’espérance d’utilité, de l’efficience des marchés financiers et de l’absence d’opportunité d’arbitrage. Ces trois hypothèses fournissent le cadre de référence théorique pour l’explication du fonctionnement des marchés financiers, de la justification de l’évolution des prix et de l’évaluation des actifs et des produits dérivés financiers. Durant la seconde moitié des années soixante, le modèle de portefeuille initié par Markowitz (1952) et étendu au Modèle d’équilibre des actifs financiers (MEDAF) ou Capital Asset Pricing Model (CAPM), notamment par Sharpe, Lintner et Treynor, était devenu un cadre de référence majeur pour expliquer l’évolution des prix des actions. Ce modèle est fondé sur l’hypothèse, forte, selon laquelle il y a une équivalence mathématique entre la relation linéaire du rendement/bêta individuel et l’efficience de la moyenne-variance du portefeuille de marché. Cette efficience est établie ex-ante par les outils mathématiques qui sont, en définitive, les principaux sous-bassement de l’Asset Pricing Theory (Roll, 1977). (1) Sur cette question, le lecteur peut se référer, avec beaucoup d’intérêt, notamment, aux rapports du CMF de décembre 2002, de l’AFG de juin 2003 et à celui du CAE de novembre 2004. 80 Critique économique n° 28-29 • Printemps-été 2012 Nicolas Moumni et Caroline Duneufgermain Suivant la formulation de Shiller (2) (2003), l’efficience des marchés financiers est fondée sur l’hypothèse selon laquelle le prix (Pt) d’une action, compte tenu de toutes les informations disponibles à un moment donné, est égal à la valeur actualisée des flux des dividendes futurs distribués par l’entreprise (Pt*). Pt* n’étant pas connu à l’instant t, il doit être prédit, et d’après l’efficience informationnelle, il est égal à la valeur optimale de celle-ci. Cette théorie postule que le marché véhicule une information non biaisée sur la valeur fondamentale des entreprises cotées (Pt*). A contrario, tout mouvement imprévu trouve son origine dans les nouvelles informations sur la valeur fondamentale (Pt*) de l’action. Ce cadre d’analyse implique que les prix des titres évoluent selon la logique des marchés au hasard (random walk). La relation de base du modèle d’efficience (3) simplifié s’écrit comme suit : Pt = Et Pt* où Et représente l’anticipation mathématique conditionnelle (espérance mathématique) de l’information publique disponible à l’instant t. Cela signifie que l’espérance mathématique (considérée comme la meilleure prévision) du prix anticipé est le prix observé à l’instant t. La théorie de l’efficience financière part du principe selon lequel les titres ont une valeur objective appelée valeur intrinsèque ou valeur fondamentale (Fama, 1965). L’autre pilier de la théorie de l’efficience financière réside dans la rationalité des acteurs du marché. En effet, les investisseurs sont supposés non seulement connaître les vrais modèles de détermination des prix (modèles stochastiques par exemple), mais aussi capables de faire les meilleures estimations des valeurs intrinsèques des actions. De plus, leur rationalité financière les conduit à chercher à maximiser leurs gains en bourse. Ils ont donc intérêt à anticiper correctement la valeur fondamentale de l’action. Il s’agit d’hypothèses assez fortes pour être considérées uploads/Finance/ 1966-6876-1-pb.pdf

  • 119
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Jan 12, 2022
  • Catégorie Business / Finance
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.1368MB