© Jurisdoctoria n° 1, 2008 L’accès aux normes de l’Union, composante de leur ap

© Jurisdoctoria n° 1, 2008 L’accès aux normes de l’Union, composante de leur application directe AURÉLIEN RACCAH Doctorant en droit, Institut Universitaire Européen as plus que son Discours préliminaire au Code civil, la pensée de Portalis n’a guère subi l’altération du temps lorsqu’il demandait « Quelle est la nation à laquelle des lois simples et en petit nombre aient longtemps suffi ? »1. Deux siècles de réglementation l’auraient même raffermie. Bien que justifiée, l’inflation normative dans les États dits « de droit » ne va néanmoins pas sans maux. L’accessibilité d’un droit, à la fois unique par son système et multiple dans ses sources, s’avère être un défi majeur pour satisfaire son exigence d’effectivité. L’Union européenne n’y échappe pas, loin s’en faut. La production accrue de normes communautaires s’accompagne inexorablement d’une responsabilisation des composantes de la société : personnes physiques ou morales, publiques ou privées… Bruxelles n’en néglige aucune. De manière générale, « une interruption de l’accroissement de la production normative n’est pas en vue »2. Accentuée par cette tendance, la multiplication des sources de droit nuit à la compréhension des obligations de chacun. En ce sens et en vue de leur effectivité, produire des normes en droit inclurait la prise de mesures assurant leur connaissance, via un effort accru en faveur de leur publicité et de leur clarté. Si l’UE3 et certains de ses États membres 1 Jean-Étienne PORTALIS, Discours préliminaire au projet du Code civil, 1er pluviôse an IX (21 janvier 1801), Bordeaux, éd. Confluences, 2004, p. 19. 2 Christian TOMUSCHAT, « Normenpublizität und Normenklarheit in der Europäischen Gemeinschaft », in Wilhelm GREWE e.a., Europäische Gerichtsbarkeit und nationale Verfassungsgerichtsbarkeit, Nomos, 1981, p. 462: « Ein Abbruch des Wachstums der Normenproduktion ist nicht in Sicht ». 3 De nombreuses mesures ont ainsi été adoptées pour améliorer la transparence de l’action législative de l’Union. Suite à la déclaration n° 17 relative au droit d’accès à l’information annexée au Traité de Maastricht et à plusieurs Conseils européens, la Commission et le Conseil ont approuvé, le 6 décembre 1993, un code de conduite concernant l’accès du public aux documents du Conseil et de la Commission, visant à fixer les principes régissant l’accès aux documents qu’ils détiennent. Cf. CJCE, 6 mars 2003, Interporc/Commission, P 92 Aurélien Raccah © Jurisdoctoria n° 1, 2008 semblent accorder à la transparence une véritable branche du droit protégeant l’accès aux droits des administrés4, nous la distinguerons de l’accès au droit comme composante même de la norme, et plus précisément, de sa conformité. Plus que l’accès « matériel » aux normes, le débat juridique porte plutôt sur l’accessibilité à la « substance » normative, c’est-à-dire sur la qualité de la norme. Accordons-nous préliminairement à considérer qu’une norme juridique se caractérise par sa finalité, c’est-à-dire le but poursuivi, sa validité, en ce qu’elle tire son habilitation d’une norme supérieure préexistante, sa conformité, via des moyens (organes d’application, procédures et mesures juridiques adéquates) appropriés à sa finalité, et sa sanction qui permet d’assurer son application. Quant à l’effectivité du droit – à distinguer de l’efficacité qui relève d’une appréciation d’ordre moral – elle poursuit l’objectif de l’existence des trois critères précédemment énoncés. En d’autres termes, l’effectivité consiste, dans un système donné, en l’assurance d’une application de chaque norme, valide en droit, conforme à sa finalité et, à terme, sanctionnée en cas de mauvaise exécution, voire de non-exécution. Au sein de l’UE, le principe d’effectivité trouve son expression dans l’article 10 CE invitant les États membres à prendre « toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant » des dispositions des traités, des directives, des règlements et des décisions de l’Union. La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) lui a ajouté l’interprétation suivante : « les règles du droit communautaire doivent déployer la plénitude de leurs effets, d’une manière uniforme dans tous les États membres, à partir de leur entrée en vigueur et pendant toute la durée de leur validité »5. Plénitude et uniformité des normes juridiques appartiennent à la définition du principe d’effectivité. Elles constituent des caractéristiques en dépit desquelles le droit ne saurait exister. Un droit qui ne aff. C-41/00 P. Cf., en ce sens, la directive 2003/98/CE du Parlement et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public. 4 Dans l’Europe des 15, douze États membres disposent de règles propres à l’accès aux documents administratifs. Sept en font un droit constitutionnellement protégé (Suède, Finlande, Pays-Bas, Belgique, Espagne, Portugal et Grèce), les autres ayant simplement légiféré en la matière. En Allemagne, les Länder avaient pris le pas à partir de 1998, avant que ne soit publiée une loi fédérale du 5 septembre 2005 relative à la liberté d’information – Gesetz zur Regelung des Zugangs zu Informationen des Bundes oder Informationsfreiheitsgesetz (IFG). En France, le droit à la transparence administrative repose principalement sur trois lois : Loi n° 78- 17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés 1978 ; Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public ; Loi du 11 juillet 1979 n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public. Cf. Frank RIEMANN, Die Transparenz der Europäischen Union, Dunckler & Humblot, Band 146, 2004, pp. 23-40 – Teil I Grundlegung zum Zugangsrecht. 5 CJCE, 9 mars 1978, Amministrazione delle finanze dello Stato / Simmenthal, Rec. 1978, p. 629, point 14. L’accès aux normes de l’Union, composante de leur application directe 93 © Jurisdoctoria n° 1, 2008 déploierait pas pleinement ses effets et dont l’application serait variable, ne serait pas valable. Le développement de l’application directe des règlements et décisions6, d’une part, des directives et dispositions des traités « inconditionnelles et suffisamment précises »7, d’autre part, s’inscrit clairement dans cette perspective8. Issue d’un raisonnement jurisprudentiel combinant primauté et effet direct, la théorie de l’applicabilité directe du droit communautaire qualifie ces dispositions de « source immédiate de droits et d’obligations » pour « tous les organes de l’administration, y compris les autorités décentralisées, telles les communes »9. Soulignons à cet effet que la notion d’« effet direct » se distingue de celle l’« application directe ». L’« effet direct » renvoie aux droits des particuliers d’invoquer immédiatement le bénéfice des droits créés par l’UE, tandis que l’« application directe » concerne l’obligation des autorités administratives de mettre en œuvre directement les normes visées. Cette approche doit conduire lesdits organes, en cas de conflit de normes, à écarter les normes nationales contraires pour se fonder directement sur les normes de l’Union10. La transcription systématique du droit dérivé de l’Union par des actes nationaux est jugée superflue et nuisible. Engels aurait dit que « l’État n’est pas aboli, il s’éteint »11. 6 Article 249 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). 7 CJCE, 5 avril 1979, Ministère public contre Tullio Ratti, aff. 148/78, Rec. 1979, p. 1629, point 20 ; CJCE, 26 janvier 1984, Clin-Midy./Belgique, aff. 301/82, Rec. p. 251, point 29 ; CJCE, 7 juillet 1981, Rewe, aff. 158/80, point 43. 8 Pour une première approche juridique de l’applicabilité directe, voir Léontin-Jean CONSTANTINESCO, L’applicabilité directe dans le droit de la CEE, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, Paris, 1970, 145 p. (réédité en 2006, édition Bruylant, Bruxelles). 9 CJCE, ibid., aff. 103/88, point 32. 10 Dans son arrêt Simmenthal précité, la CJCE a souligné que les normes communautaires « directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des États membres […] de rendre inapplicable de plein droit du fait même de leur entrée en vigueur toute disposition contraire de la législation nationale existante ». Cf. le développement à l’égard de la mise à l’écart de la norme nationale par les autorités décentralisées : CJCE, 29 avril 1999, Erich Ciola/Land Vorarlberg, aff. C-224/97 ; CJCE, Kühne & Heitz NV/Productschap voor Pluimvee en Eieren, aff. C-453/00. En outre, la Cour rappelle régulièrement que des mesures de transposition ne doivent par être systématiques. Cf. CJCE, 23 mai 1985, Commission/Allemagne, aff. 29/84, point 23: « La transposition d’une directive n’exige pas nécessairement une action législative dans chaque État membre. En particulier, l’existence des principes généraux de droit constitutionnel ou administratif peut rendre superflue la transposition par des mesures législatives ou réglementaires spécifiques à condition, toutefois, que ces principes garantissent effectivement la pleine application de la directive par l’administration nationale et qu’au cas ou la directive vise à créer des droits pour les particuliers, la situation juridique découlant de ces principes soit suffisamment précise et claire et que les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits et, le cas échéant, de s’en prévaloir devant les juridictions nationales ». Cf. CE, 6 février 1998, M. Tête et association de sauvegarde de l’ouest lyonnais, n° 138777, Rec. p. 30 ; BVerfGE 73, Solange II, 339/368. 11 Friedrich ENGELS, Anti-Dühring, Éd. sociales, 1878, p. 319. 94 Aurélien Raccah © Jurisdoctoria n° 1, 2008 Cependant, une telle mise à l’écart uploads/S4/l-x27-acces-aux-normes-de-l-x27-union-composante-de-leur-application-directe.pdf

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  • Publié le Jui 05, 2021
  • Catégorie Law / Droit
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