1 Paolo Alvazzi del Frate Univ. Rome III – paolo_alvazzi@uniroma3.it Aux origin

1 Paolo Alvazzi del Frate Univ. Rome III – paolo_alvazzi@uniroma3.it Aux origines du référé législatif : interprétation et jurisprudence dans les cahiers de doléances de 1789* [résumé provisoire sans bibliographie] Dans mon intervention je me propose de rechercher les origines du référé législatif dans les cahiers de doléances de 1789. Dans la première partie de mon exposé je décrirai le système du référé législatif, ses racines historiques et ses liens avec la doctrine juridique du XVIIIe siècle. Dans la deuxième partie je voudrais souligner la contribution des cahiers de doléances de 1789 dans l’institution du système du référé législatif par l’Assemblée constituante en 1790. Dans mes conclusions, je chercherai à démontrer que cette institution dérive aussi bien de la pensée des Lumières du XVIIIe siècle que de la tradition juridique de l’Ancien Régime. Cela peut expliquer le vaste consensus qui l’entourait auprès de la Constituante. I Le référé législatif fut institué par la Constituante avec les lois du 16-24 août 1790 (art. 12, tit. IIe) et du 27 novembre-1 décembre 1790 (art. 21). Le référé était articulé en deux institutions différentes : à savoir le « référé facultatif » – demandé par un juge du fond en cas de doute interprétatif ou de lacune législative – et le « référé obligatoire » - provoqué par un conflit entre l’interprétation du Tribunal de Cassation et celle du juge de renvoi. Les deux référés dérivent des mêmes principes. C’est pour cela que je me propose de considérer les origines historiques communes. Le référé législatif est composé de deux aspects, à savoir : 1) l’interdiction pour le juge de développer une activité interprétative pour prononcer un jugement (on peut parler d’interdiction d’interpréter). 2) l’obligation de se référer au législateur toutes les fois que le juge croit nécessaire d'interpréter la loi ou d’en faire une nouvelle. Il s’agit, dans le premier cas, d’un doute sur l’interprétation d’une loi existante ; tandis que dans le deuxième, de la mise en lumière d’une lacune législative. * Texte de la conférence auprès de la “Société d’Histoire du droit”, Paris 18 novembre 2006. cf. P. Alvazzi del Frate, Giurisprudenza e référé législatif in Francia nel periodo rivoluzionario e napoleonico, Turin 2005. 2 Il faut tout d’abord préciser que pour la doctrine juridique de l’Ancien Régime, le terme « interprétation » correspondait à cette ample fonction du juge que le ius commune définissait comme interpretatio : il s’agissait d’une activité non seulement interprétative, mais aussi normative. Le juge avait en effet le pouvoir de résoudre les doutes interprétatifs, de combler les lacunes normatives, d’élargir ou de limiter le champs d’application de la loi. On distinguait l’application de l’interprétation et on affirmait, comme le faisait Rodier dans ses Questions sur l’Ordonnance de Louis XIV : « c’est aux juges à appliquer la loi aux différentes causes qui se présentent; mais c’est au seul Législateur, c’est-à-dire au Roi, à l’interpréter »1. Aujourd’hui on considère que le terme « interprétation » ne définit que l’attribution d’une signification au texte législatif. Il n’y a pas de lois « claires », ni « obscures », toutes les lois doivent être interprétées parce que l’interprétation est une phase nécessaire de l’application de la loi à l’espèce. Donc, il n’y a pas d’application sans interprétation Le fondement théorique du référé législatif dérive de la conception de la rigide séparation des phases de la création de la règle juridique (législation) et de son application à l’espèce concrète (juridiction). Dans cette perspective l’interprétation de la loi est considérée comme une activité de création de droit, à savoir une activité normative. Si l’interprétation est une forme de création de la règle juridique, elle doit être interdite au juge et confiée exclusivement au législateur. Le législateur seul a donc le pouvoir d’interpréter la loi, comme l’affirmait la célèbre maxime du droit romain Eius est interpretari, cuius est condere leges. La seule forme d’interprétation possible est celle législative ou authentique, parce que fournie par le législateur, avec une loi interprétative qui a une validité générale. Une fois résolu le doute interprétatif par le législateur, le juge pourra juger l’affaire en appliquant la loi interprétative. Le mécanisme théorique était simple et cohérent. Il avait le but de garantir la « pureté » de la loi et d’empêcher le risque d’une « corruption » du sens de la loi même opérée par le juge et la jurisprudence. Le référé législatif ne fut pas une création tout à fait nouvelle de la Constituante. Les racines du référé législatif sont anciennes et se trouvent dans : le droit justinien, le droit canon, le droit français. a) en droit justinien existaient déjà les institutions de l’interdiction de l’interpretatio et de la relatio ad Principem, à savoir l’obligation de se 1 M.-A. Rodier, Questions sur l’Ordonnance de Louis XIV, du mois d’avril 1667, rélatives aux usages des Cours de Parlement, et principalement de celui de Toulouse, n. éd., Toulouse 1679, p. 11. 3 référer à l’Empereur en cas de doute interprétatif. Cette obligation était prévue par plusieurs constitutions. Entre autres par la const. (de l’an 529), De legibus et constitutionibus principum et edictis (C. 1.14.12) : « leges condere soli imperatori concessum est, et leges interpretari solum dignum imperio esse oportet ... tam conditor quam interpres legum solus imperator iuste existimabitur » ; et par la const. Tanta, (in Dig.): « Si ... ambiguum fuerit visum, hoc ad imperiale culmen per iudices referatur, et ex auctoritate Augusta manifestetur, cui soli concessum est leges et condere, et interpretari ». b) en droit canon l’interprétation authentique a, depuis le Concile de Trente, un rôle très important. La Bulle Benedictus Deus de 1563 de Pie IV, imposa au juge l’interdiction d’interpréter et l’obligation de se référer au Pape - à savoir au législateur - en cas de doute interprétatif. Ensuite, en 1564 une Congrégation pour l’exécution et l’interprétation des dispositions du Concile fut créée avec le Motuproprio de Pie IV Alias nonnullas, [avec la Bulle Immensa aeterni Dei de Sixte V, de 1587 la Congrégation devient la Congregatio pro executione et interpretatione Concilii Tridentini, à laquelle « [si] dubietas aut difficultas emerserint, interpretandi facultatem, nobis tamen consultis, impartimur »]. c) en droit français. Il faut rappeler l’Ordonnance civile de 1667 qui, avec l’Art. 7 du Titre Ier, avait établi que : « Si dans les jugemens des procès qui seront pendants en nos cours de parlement, et autres nos cours, il survient aucun doute ou difficulté sur l’exécution de quelques articles de nos ordonnances, édits, déclarations et lettres-patentes, nous leur défendons de les interpréter: mais voulons qu’en ce cas elles aient à se retirer pardevers nous, pour apprendre ce qui sera de notre intention ». Il s’agissait – encore une fois – de l’interdiction d’interpréter et de l’obligation de se référer au législateur. Les hommes de la Constituante admirent les origines romaines et monarchiques du référé législatif. Robespierre lui-même en 1790 proposait d’adopter « cette maxime, qui n’était point étrangère au droit public de Rome, et que notre ancien gouvernement même avait adoptée: la législation romaine posait en principe que l’interprétation des lois appartenait à celui qui a fait la loi: ejus est interpretari legem, qui condidit legem. On a senti que si une autre autorité que celle du législateur pouvait interpréter les lois, elle finirait par les altérer et par élever sa volonté au-dessus de la sienne ». Sur le modèle de l’Ordonnance civile, il y avait eu en Europe des réformes qui établirent l’interdiction d’interpréter et l’obligation de se référer au législateur. On peut citer, parmi d’autres, le projet du code civil 4 de Prusse de Frédéric II de 17492; ou les Leggi e Costituzioni du Royaume de Sardaigne de Charles Emmanuel III de 1770 ; ou encore le Dispaccio reale du Roi de Naples Ferdinand IV de 1774. Le but de ces réformes était toujours le même: empêcher à la jurisprudence de jouer un rôle de source du droit en confiant au législateur seul l’interprétation de la loi. Pour conclure cette première partie consacrée à l’Ancien Régime, je voudrais citer Philippe-Antoine Merlin qui, dans son Répertoire universel, nous donne cette définition du référé au législateur. Il s’agit du : « jugement par lequel, avant de prononcer sur une question qui leur paraissait insoluble, d’après l’ambiguïté ou l’insuffisance de la loi dont elle dérivait, les juges ordonnaient qu’il en serait référé à l’autorité investie du pouvoir législatif. […] il arrivait assez souvent que les cours renvoyaient les parties à se pourvoir par-devers le roi pour avoir une interprétation de la loi de laquelle dépendait la contestation soumise à leur examen »3. Quant à la contribution de la doctrine juridique des Lumières elle est trop évidente pour être démontrée. Il suffit de rappeler la diffusion de la conception de la fonction juridictionnelle comme ‘syllogisme judiciaire’ et le fait que le terme interprétation fut considéré synonyme de corruption de la loi. A ce propos on peut citer Montesquieu qui considérait la fonction juridictionnelle «en quelque façon, nulle», parce que le juge n’a pas le droit d’interpréter la loi, mais seulement uploads/S4/ refere-legislatif-cahiers1789.pdf

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  • Publié le Oct 11, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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