CONSEIL D’ETAT statuant au contentieux N° 449764 __________ ORDRE DES AVOCATS D

CONSEIL D’ETAT statuant au contentieux N° 449764 __________ ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE MONTPELLIER __________ Ordonnance du 3 mars 2021 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS LE JUGE DES RÉFÉRÉS Vu la procédure suivante : Par une requête, enregistrée le 16 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’Ordre des avocats du barreau de Montpellier demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : 1°) d’ordonner la suspension de l’exécution de l’article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020, tel que modifié par les décrets n° 2020-1582 du 14 décembre 2020 et n° 2021-31 du 15 janvier 2021, en tant qu’il ne prévoit pas de dérogation au couvre-feu instauré de 18 heures à 6 heures du matin afin d’effectuer des déplacements pour se rendre chez un professionnel du droit, pour un acte ou une démarche qui ne peuvent être réalisés à distance ; 2°) d’ordonner la suspension de l’exécution de la décision du 25 janvier 2021 du garde des sceaux, ministre de la justice, par laquelle il infirme l’existence implicite d’une dérogation au couvre-feu pour effectuer des déplacements pour se rendre chez un professionnel du droit, pour un acte ou une démarche qui ne peuvent être réalisés à distance ; 3°) d’enjoindre au Premier ministre de modifier l’article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 afin d’inclure parmi les dérogations au couvre-feu les déplacements chez un professionnel de droit. Il soutient que : - la condition d’urgence est satisfaite dès lors que, d’une part, l’instauration d’un couvre-feu sans dérogation pour les déplacements chez un professionnel du droit, en ce qu’il empêche les personnes travaillant la journée de consulter un avocat, porte atteinte au droit au recours effectif devant un juge, à la possibilité d’assurer de manière effective sa défense devant le juge et au droit d’accès à la justice et, d’autre part, elle méconnaît la liberté d’entreprendre eu égard au préjudice économique important qui découle de l’impossibilité de recevoir un client après 18 heures ; - il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ; N° 449764 2 - les dispositions contestées, interdisant de se déplacer durant le couvre-feu pour se rendre chez un professionnel du droit méconnaissent le droit d’accès à un avocat dès lors que, d’une part, ce droit est privé de toute effectivité en ce que le client ne peut pas opter pour une rencontre avec son avocat en présentiel s’il occupe un emploi en journée, préalablement à une audience ou encore s’il ne dispose pas de moyens informatiques suffisants pour lui permettre de recourir à la visioconférence et, d’autre part, le nécessaire recours à la visioconférence après 18 heures n’est pas assorti de garanties suffisantes en ce qu’il ne permet pas de s’assurer de la qualité de la transmission, de la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client, du fait que ce dernier ne se trouve pas sous influence ou de pouvoir certifier son identité ; - elle méconnaît la liberté d’entreprendre dès lors que les clients pouvant se déplacer pour se rendre chez leur avocat en journée sont, en règle générale, sans emploi et admissibles au bénéfice de l’aide juridictionnelle, laquelle ne suffit pas à garantir la stabilité économique d’un cabinet d’avocats ; - elle méconnaît le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale dès lors que, d’une part, les avocats doivent désormais recevoir leurs clients le week-end ou à des heures matutinales et, d’autre part, les personnes qui travaillent en journée ont un accès restreint à un avocat et, de fait, à l’exercice de leur droit de divorcer et de leurs droits parentaux. Par un mémoire en intervention, enregistré le 22 février 2021, la Conférence des Bâtonniers, les Ordres des avocats du barreau de Guyane, du barreau de Melun, du barreau de Périgueux, du barreau de Reims et du barreau de Seine-Saint-Denis concluent à ce qu’il soit fait droit à la requête de l’Ordre des avocats du barreau de Montpellier. Ils soutiennent que leur intervention est recevable et s’associent aux moyens de la requête. Par un mémoire en intervention, enregistré le 22 février 2021, le Conseil national des barreaux, le Syndicat des avocats de France et la Fédération nationale des unions des jeunes avocats concluent à ce qu’il soit fait droit à la requête de l’Ordre des avocats du barreau de Montpellier. Ils soutiennent que leur intervention est recevable et s’associent aux moyens de la requête. Par un mémoire en intervention, enregistrée le 24 février 2021, les Ordres des avocats du barreau de Paris, du barreau de Béziers, du barreau de Meaux, du barreau de La Rochelle-Rochefort et du barreau de Toulon concluent à ce qu’il soit fait droit à la requête de l’Ordre des avocats du barreau de Montpellier. Ils soutiennent que leur intervention est recevable et s’associent aux moyens de la requête. Par un mémoire en défense, enregistré le 24 février 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que l’épidémie de Covid-19 évolue de façon préoccupante au niveau national et international notamment du fait de l’émergence de nouveaux variants et que, ce faisant, l’instauration d’un couvre-feu sans dérogation pour les déplacements chez un professionnel du droit est nécessaire et proportionnée. La requête a été communiquée au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice, qui n’ont pas produit d’observations. N° 449764 3 Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - la Constitution, et notamment son Préambule ; - la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; - les lois n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 et 2021-160 du 15 février 2021 ; - le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ; - le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ; - le code de justice administrative ; Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, l’Ordre des avocats du barreau de Montpellier, la Conférence des Bâtonniers, les Ordres des avocats du barreau de Guyane, du barreau de Melun, du barreau de Périgueux, du barreau de Reims, du barreau de Seine-Saint-Denis, le Conseil national des barreaux, le Syndicat des avocats de France et la Fédération nationale des unions des jeunes avocats, les Ordres des avocats du barreau de Paris, du barreau de Béziers, du barreau de Meaux, du barreau de La Rochelle-Rochefort et du barreau de Toulon et d’autre part, le Premier ministre, le garde des sceaux, ministre de la justice, ainsi que le ministre des solidarités et de la santé ; Ont été entendus lors de l’audience publique du 25 février 2021, à 15 heures : - les représentants de l’Ordre des avocats du barreau de Montpellier ; - Me Mathonnet, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat des intervenants ; - les représentants des intervenants ; - les représentants du garde des sceaux, ministre de la justice ; - le représentant du ministre des solidarités et de la santé ; à l’issue de laquelle le juge des référés a clos l’instruction. Considérant ce qui suit : 1. Aux termes de l’article L. 521-2 du même code : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (…) ». Sur les interventions : 2. La Conférence des Bâtonniers, les Ordres des avocats du barreau de Guyane, du barreau de Melun, du barreau de Périgueux, du barreau de Reims, du barreau de Seine-Saint-Denis, le Conseil national des barreaux, le Syndicat des avocats de France, la Fédération nationale des unions des jeunes avocats, les Ordres des avocats du barreau de Paris, du N° 449764 4 barreau de Béziers, du barreau de Meaux, du barreau de La Rochelle-Rochefort et du barreau de Toulon justifient d’un intérêt suffisant au soutien de la requête. Leurs interventions sont donc recevables. Sur le cadre juridique du litige : 3. Aux termes de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 : « L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». L’article L. 3131-13 du même code dispose que : « L’état d’urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur uploads/S4/ ordonnance-de-refere-du-3-mars-2021-n0-449764.pdf

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  • Publié le Apv 01, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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