HAL Id: hal-01670208 https://hal-univ-paris10.archives-ouvertes.fr/hal-01670208

HAL Id: hal-01670208 https://hal-univ-paris10.archives-ouvertes.fr/hal-01670208 Submitted on 21 Dec 2017 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Le droit à l’épreuve des bonnes mœurs. Puissance et impuissance de la norme juridique Danièle Lochak To cite this version: Danièle Lochak. Le droit à l’épreuve des bonnes mœurs. Puissance et impuissance de la norme juridique. Les bonnes moeurs, May 1993, Amiens, France. pp.15-53. ￿hal-01670208￿ LE DROIT A L'ÉPREUVE DES BONNES MŒURS PUISSANCE ET IMPUISSANCE DE LA NORME JURIDIQUE PAR Danièle LOCHAK Professeur à l'Université de Paris X - Nanterre Mettre l'accent, de façon primordiale, sur l'approche juridique des bonnes mœurs, ce n'est pas succomber au fétichisme du droit: c'est simplement prendre acte de ce que les bonnes mœurs ont partie liée, étroitement liée, avec le droit. Lorsqu'on parle des "bonnes" mœurs, on ne fait pas qu'ajouter un qualificatif à un substantif ; on modifie, ou tout au moins on resserre le registre dans lequel on s'exprime. Alors que les mœurs sont défmies dans tous les dictionnaires sans référence immédiate au droit, il est symptomatique que les "bonnes mœurs" soient toujours indiquées comme appartenant au lexique du droit. On lit ainsi dans le Grand Robert, sous "Mœurs": "2. Dr. Bonnes mœurs: "ensemble des règles imposées par la morale et auxquelles les parties ne peuvent déroger par leurs conven- tions" (Capitant). Loi qui intéresse l'ordre public et les bonnes mœurs. La clause contraire aux bonnes mœurs est illicite. Outrage aux bonnes mœurs. Certificat de bonne vie et mœurs: certlfu:at attestant la bonne conduite et la moralité d'un individu. Police des mœurs: police chargée de la recherche des infractions aux lois sur la prostitution. Brigade des mœurs. - Ellipt. Les mœurs". Ou encore, dans le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse: " - Dr. Bonnes mœurs : Règles morales dont la société ne permet pas qu'il puisse y être dérogé par la volon- té des parties. - Dr. pénal. Attentat aux mœurs [. ..J. Outrage aux bonnes mœurs." On est d'autant plus fondé à admettre qu'il s'agit d'une notion juridique qu'on en trouve l'origine dans le droit romain - à Rome, les boni mores, 16 LES BONNES MŒURS ensemble de principes de conduite impératifs se rattachant au droit, sont pla- cés en tête des ouvrages élémentaires didactiques des jurisconsultes - et qu'elle a été par la suite introduite dans le droit canonique après que les moralistes chrétiens l'aient reprise à leur comptel . Reste ce paradoxe, qui est au cœur de notre sujet: si la notion de bonnes mœurs appartient au lexique et au champ sémantique du droit, le droit n'en est pas moins incapable de défmir cette notion et il ne parvient à lui donner un contenu qu'en faisant en permanence référence à d'autres domaines du savoir, à d'autres normes, à d'autres champs conceptuels. D'un côté, donc, le droit est mis à contribution comme instrument de pro- motion des bonnes mœurs - plus exactement, pour les raisons qu'on explicitera plus loin, comme instrument de censure ou de répression des mauvaises mœurs (1). Mais de l'autre il s'abstient de définir ce dont il parle et qu'il pré- tend régir : les bonnes mœurs restent conceptuellement insaisissables (II). Peu importe, d'ailleurs, aussi longtemps que les "bonnes mœurs" vont de soi. C'est lorsqu'elles ne vont plus de soi que ce vide conceptuel pourrait commencer à faire problème; mais c'est précisément le moment où l'on constate la raréfac- tion progressive de cette notion et des notions voisines dans le corpus juri- dique, concomitante de la désuétude qui les affecte dans le langage courant : indice que le couple naguère encore si soudé que formaient les bonnes mœurs et le droit est en train de se désagréger lentement, discrètement, sous nos yeux (III). Puissance de la norme juridique pour cautionner l'existence des bonnes mœurs et mettre en place des dispositifs de répression et de censure des mau- vaises mœurs ; impuissance de la norme juridique à définir le contenu des bonnes mœurs autrement qu'en empruntant à la morale ou au sens commun; impuissance encore de la norme juridique à contenir l'inexorable libéralisa- tion des mœurs dans les sociétés contemporaines dont elle se borne à prendre acte. Tels sont quelques uns des enseignements que l'on peut tirer de l'analyse du traitement juridique des bonnes mœurs, qui offre ainsi l'occasion de mettre le droit "à l'épreuve". 1 - LE DROIT, INSTRUMENT DE CENSURE DES MAUVAISES MŒURS Lorsqu'on évoque le rôle que le droit est appelé à jouer dans le domaine des bonnes mœurs, il faut toujours garder à l'esprit que l'essentiel de l'incul- cation des "bonnes mœurs", c'est à dire, en pratique, des mœurs définies comme bonnes par les couches dominantes, aux couches dominées, à l'inté- rieur du processus global de "civilisation des mœurs" décrit par Norbert 1. Voir sur ce point Guyader (J.), "Les bonnes mœurs du clergé au XVè siècle", infra. LE DROIT A L'ÉPREUVE DES BONNES MŒURS 17 Elias2 , s'est opéré historiquement par d'autres vecteurs que le droit: l'hygiène sociale, l'école, l'usine, l'habitat... , et a fait appel à d'autres acteurs que la justice: les pédagogues, les médecins, les urbanistes, les "philanthropes", les travailleurs sociaux... 3• Le droit, en effet, n'est qu'un instrument très imparfait de normalisation des conduites et des comportements, comme le rappelait Michel Foucault dans La volonté de savoir à propos d'une question qui touche de près à celle qui nous occupe ici : la sexualité4• Fonctionnant selon une logique de l'interdit: affirmer que ça n'est pas permis, et de la censure: empêcher que ça soit dit, le droit, discours normatü et prescriptü, est "hors d'état de rien produire", à l'opposé des méthodes "disciplinaires" qui s'assignent pour objectü de faire entrer de force les comportements dans un modèle préétablis. Dans ces limites, le droit n'en a pas moins un rôle à jouer dans la censure des mauvaises mœurs. D'abord parce que dans un Etat de droit l'interdit et la répression doivent se couler, au moins formellement, dans le moule du droit qui seulles légitime, passer par les instances respectivement habilitées à énon- cer la norme d'une part, sanctionner sa violation de l'autre: c'est sur le droit, de fait, que prennent appui les instances de censure, qu'elles soient admi- nistratives, judiciaires, ou encore religieuses lorsqu'il s'agit d'appliquer le droit canon. Ensuite parce que la force du droit ne réside pas seulement dans le caractère impératü de ses prescriptions, mais tout autant dans sa capacité à imposer comme objective, évidente, incontestable l'image de l'ordre social qu'il dessine, laquelle incite à se conformer aux normes qu'il édicte avant et indépendamment de tout usage ou menace d'usage de la forcé. Inscrire sous 2. La société de cour, montre Elias, née de la "curialisation des guerriers", est la pépiniè- re des nouveaux modes de comportement fondés sur l'autocontrainte, la répression de l'émo- tivité, le conditionnement uniforme des conduites, qui se diffusent progressivement dans l'ensemhle de la société. Et même si les couches inférieures citadines et rurales continuent à céder plus facilement à leurs émotions et à leurs pulsions, si leurs comportements sont moins rigoureusement réglés que ceux des couches supérieures correspondantes, le contraste va en s'atténuant. Pour Elias, cependant, ce n'est pas là un effet d'une volonté délibérée ou d'un effort d'inculcation unilatérale, mais une conséquence, par une sorte d'ajustement méca- nique, des transformations de l'existence sociale et de l'interdépendance croissante entre les différents segments et couches de la société. Voir La dynamique de l'occident, trad. fr. Calmann-Lévy, 1975, rééd. Presses Pocket, p. 207 et s. 3. Ces processus indirects de normalisation des mœurs ont été mis en lumière de façon par- ticulièrement suggestive dans une série de travaux historiques et sociologiques importants. On pense notamment aux travaux réalisés sous l'égide du CERFI dans les années 70 : "Le petit tra- vailleur infatigahle", Recherches nO 25/1976, par Lion Murard et Patrick Zylherman ; "Disciplines à domicile", Recherches nO 28/1977, par Isaac Joseph et Philippe Fritsch; "L'haleine des fauhourgs", Recherches nO 29/1977, sous la direction de Lion Murard et Patrick Silherman. Voir aussi Donzelot (J.), La police des familles , Ed. de Minuit, 1977. 4. Gallimard, 1976, p. 109 et s. 5. On renvoie sur ce point à Surveiller et punir, Gallimard, 1975. 6. Sur les ressorts de l'efficacité du discours juridique, voir Loschak (D.), "Le droit, dis- cours de pouvoir", Itinéraires. Mélanges Léo Hamon, Economica, 1982, pp. 429-444, et id. "Droit, normalité, normalisation", in Le droit en procès, CURAPP-PUF, 1983, pp. 51-78 18 LES BONNES MŒURS une forme ou sous une autre dans la loi l'obligation de respecter les bonnes mœurs, c'est donc, sinon donner force de loi à une impossible définition des bonnes mœurs, du moins faire admettre uploads/S4/ lochak-bonnes-moeurs-curapp-1994.pdf

  • 27
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Jul 26, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
  • Taille du fichier 1.8268MB