1 Art, méthodes et techniques de la traduction juridique Commentaires inspirés

1 Art, méthodes et techniques de la traduction juridique Commentaires inspirés par le livre de Susan SARCEVIC : New Approach to Legal Translation, The Hague, London, Boston, Kluwer Law International, 1997, 308 p. ISBN 90 411 0401 1. Linguiste et universitaire d’origine américaine, Susan Sarcevic a consacré une grande partie de sa vie professionnelle, donc de sa recherche, à analyser, explorer le texte juridique sous tous ses angles et particulièrement en situation de traduction en milieu bilingue et multilingue. Si elle s’exprime sur la traduction juridique généralement en jurilinguiste, elle parle aussi en traductologue. Aussi New Approach to Legal Translation est-il important pour le monde de la jurilinguistique et pour celui de la traduction juridique en particulier. Il s’inscrit dans une lignée déjà longue d’ouvrages traitant de traduction spécialisée, même si la jurilinguistique et la traductologie, jeunes disciplines s’il en est, reposent encore sur des bases fragiles dont l’autonomie reste contestée. La première a jailli fort opportunément de l’ornière où la confrontation historique des deux langues - le français et l’anglais, en l’occurrence - avait enlisé la traduction des textes juridiques, dont celle des lois en particulier, finalement supplantée – mais pour combien de temps ? - par la corédaction, en situation bi et multilingue. La seconde - la traductologie -, tout aussi récente, est née du besoin naturel chez l’être humain de se pencher sur sa pratique et d’y réfléchir pour la perfectionner et, éventuellement, la transcender. La pratique du texte juridique, quelles qu’en soient l’origine et la finalité, et celle du texte à traduire ne pouvaient échapper au mouvement général de théorisation des savoir-faire. La rencontre des deux nouvelles disciplines appliquées au service du texte juridique a porté fruit, et 2 le niveau de la réflexion s’est élevé. Dans ce long processus, le Canada a joué – mais qui l’ignore encore à ce jour ? - un rôle de pionnier, tant en jurilinguistique qu’en traductologie. Sans l’apport canadien à la traduction, Susan Sarcevic n’aurait sans doute pas produit le même livre, car du Canada, de ses méthodes et de ses pratiques, il en est souvent question dans son étude. Malgré sa relative brièveté (quelque 300 pages très denses), New Approach to Legal Translation est un traité de traductologie et de jurilinguistique tout à la fois. Les deux « approches » sont en effet désormais indispensables pour qui veut aborder la traduction du langage du droit d’une façon moins conventionnelle que celle que les juristes pratiquent le plus généralement1, soit rechercher l’esprit du texte - comme un Rossel le voyait déjà, en Suisse, au début du XXe siècle2 - plutôt que la lettre. Enfin, elle a cherché à définir les traits qui font du texte juridique un cas particulier. Il ressort assez clairement de son analyse que c’est la fonction de ce type de texte qui en constitue la caractéristique, quelle que soit la fonction (communicative, informative, conative, impérative, etc.) envisagée par les différents théoriciens et les controverses que ce terme a pu déclencher. Un tel débat, même s’il présente un certain intérêt pour les théoriciens et si tant est que l’on puisse s’entendre sur une fonction caractérisant indiscutablement le texte juridique, peut finir par lasser le profane. Le langage du droit, donc le texte juridique qu’il produit, est dans la langue, française, anglaise ou autre. Or, les linguistes s’accordent à reconnaître la fonction référentielle comme étant la fonction la plus importante du langage humain, lequel regroupe toutes les langues. Les autres fonctions en découlent. A partir de là, toute autre fonction découle du domaine, du contexte et de la destination du texte. Si l’on circonscrit le texte juridique essentiellement à la loi et au contrat (mais quid de la décision de justice ?), comme la plupart des linguistes le font, il est clair qu’une telle typologie sommaire appelle la fonction classique de régulation (sociale). On parle aussi, à ce propos, de texte impératif, ou encore de texte normatif. Peut-on dire, comme le fait l’auteur (p. 11), que la loi ou le contrat sont des textes 3 essentiellement normatifs, et qu’ils appartiennent comme tels à cette seule catégorie; que la décision de justice et les actes de procédure seraient principalement descriptifs et, en partie seulement, prescriptifs ? Une longue expérience de la traduction de textes juridiques m’invite à voir une réalité moins nettement tranchée. Dira-t-on d’une loi portant sur l’éclairage de telle ville par becs de gaz, que le législateur décrit avec force détails, qu’il s’agit là d’un texte essentiellement normatif ? Ou encore d’un contrat d’exploitation pétrolière, de pose de gazoduc ou de construction d’une base militaire, entre autres exemples, que l’aspect descriptif y est secondaire ? Par ailleurs, pourra-t-on dire, par exemple d’un arrêt de la Cour de cassation, qu’il s’agit d’un texte essentiellement descriptif, et accessoirement prescriptif ? On voit là les limites des typologies reposant sur des présupposés linguistiques et non sur des réalités juridiques, lesquelles sont, comme presque toujours, ni plus ni moins tranchées que celles que l’on rencontre dans tous les domaines de l’activité humaine. Sans doute trouvera-t-on, au sommet de la hiérarchie des textes normatifs que sont les constitutions et les traités, davantage de normes que de descriptions et dans la plupart des jugements - et tout particulièrement dans la tradition anglo- américaine - davantage de descriptions que de normes. Cette proportion toutefois est fort variable selon les cas. Il serait d’ailleurs utile autant qu’intéressant, pour étayer ou infirmer de telles affirmations, de mener, à partir d’un corpus bien délimité de textes appartenant à l’une et à l’autre catégories, une étude statistique rigoureuse sur la question. La réflexion de Susan Sarcevic est la synthèse de l’essentiel de ce qui a été dit ou publié sur la question de la traduction juridique depuis que ce sujet a commencé à intéresser traductologues et jurilinguistes. L’auteur situe clairement son travail dans une perspective de communication (“legal translation is regarded as an act of communication ”) (p. 3). Aussi toute démarche théorique en matière de traduction juridique doit-elle être axée sur la pratique (“practice oriented ”). Peu de jurilinguistes, à ma connaissance, contesteront ce postulat. Ensuite, le but avoué de cet ouvrage est de tenter de corriger l’idée et la perception, erronées autant que traditionnelles, que les juristes – mais les linguistes n’en sont pas exclus – se font de la traduction 4 juridique et de donner à celle-ci la place et la visibilité qui lui reviennent de droit, compte tenu de son impact dans le monde, au sein du grand ensemble des spécialités que l’on pourrait regrouper sous le terme générique de traduction (médicale, technique, commerciale…). Enfin, on ne doit pas s’attendre à trouver, dans cet ouvrage, de recettes applicables aux diverses situations possibles ni de méthode(s) miraculeuse(s) permettant au traducteur de mieux traduire le texte juridique. L’auteur reconnaît elle-même avec humilité qu’il n’existe peut-être pas de méthode qui s’impose per se et qu’il est sans doute préférable de s’en remettre aux méthodes particulières et aux techniques en usage dans telle culture et langue juridiques, ainsi que le Canada, entre autres, en a apporté la preuve. L’auteur propose plutôt à la réflexion du lecteur, donc du traducteur, un cadre théorique qui devrait permettre à ce dernier de participer plus activement à la communication juridique dans son ensemble. On peut dire d’emblée que ce but est atteint. En divisant son livre en deux grandes parties assez équilibrées, une théorique (1-4) et une pratique (5-8), l’auteur fournit ample matière à réflexion à la fois au théoricien et au praticien, la pratique justifiant ici encore sa théorisation. Dans le premier chapitre, la traduction juridique est replacée dans le contexte général de la traduction et située dans le débat théorique opposant linguistes et juristes. Les deux sont renvoyés dos à dos, les premiers étant accusés de ne pas avoir perçu la fonction communicative propre aux textes juridiques, et les seconds d’oublier le texte pour ne voir dans le texte à traduire que des mots. Or, la traduction, juridique ou autre, fait intervenir bien d’autres éléments ou aspects d’un texte. En fait, l’unité de base, en traduction, c’est le texte lui-même, et non sa terminologie (p. 5), comme la linguistique contemporaine l’a démontré depuis un certain nombre d’années déjà. Il en découle que ces textes peuvent être classés selon une typologie particulière, définie par les traductologues (p. 6) selon la fonction que le texte sera appelé à remplir dans le cadre général de la communication: textes religieux, littéraires, techniques, scientifiques, etc. et dans ses sous-ensembles, les textes de spécialité (pp. 7-8), parmi lesquels on trouve le texte 5 juridique et son langage particulier: le langage du droit. A ce sujet, l’auteur précise (p. 9) qu’elle ne s’est pas attachée, dans son ouvrage, à décrire ce langage et ses caractéristiques, mais plutôt à analyser ce que Gérard Cornu appelle “le langage du droit en action” (p. 9). Plus loin (p. 12 et s.), l’auteur aborde la question de la traduction juridique sous ses aspects théoriques et résume brièvement, mais clairement et avec justesse, l’état de la réflexion en la matière. Cette uploads/S4/ gemar-pdf.pdf

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  • Publié le Mai 23, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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