L'alliage entre le droit religieux et le droit positif dans les pays arabes 200
L'alliage entre le droit religieux et le droit positif dans les pays arabes 2008 par Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh Docteur en droit, responsable du droit arabe et musulman à Institut suisse de droit comparé, Lausanne. Professeur invité aux Facultés de droit d'Aix-Marseille III et de Palerme. Dernier ouvrage: Introduction à la société musulmane: fondements, sources et principes, Eyrolles, Paris, 2005 Email: saldeeb@bluewin.ch. Mes écrits dans: http://www.sami-aldeeb.com/ et http://groups.yahoo.com/group/sami/. Les opinions exprimées dans ce texte n'engagent que leur auteur. 1 Introduction Les mouvements islamistes réclament l'application du droit musulman non seulement dans les pays musulmans, mais aussi dans les pays occidentaux où vivent des minorités musulmanes1. Cette question suscite un débat au Canada2 ainsi qu'au Royaume Uni. En février 2008, l’archevêque de Canterbury et chef de l’Église anglicane, Rowan Williams, s’est dit favorable à l’instauration de la Shari'ah dans son pays. Ces propos ont été salués par les musulmans et fortement critiqués par les milieux chrétiens et les autorités britanniques3. Si une application du droit musulman devait avoir lieu dans les pays occidentaux, le législateur de ces pays devrait trouver un mécanisme visant à gérer la cohabitation entre le droit musulman qui se veut d'origine divine (infaillible, immuable et supérieur à tout autre droit, selon la doctrine musulmane) et le droit positif étatique (un droit humain, faillible et en continuelle transformation). Il est alors intéressant de voir comment se passe cette cohabitation entre le droit musulman et le droit positif étatique dans les pays musulmans. I. La place du droit musulman dans les pays arabes La religion musulmane proclame la soumission à la volonté de Dieu telle qu'exprimée dans le Coran et les récits de Mahomet, les deux sources principales du droit musulman qui appartiennent au septième siècle. Le Coran exige non seulement des musulmans, mais aussi des juifs et des chrétiens, d'appliquer les lois contenues dans leurs livres sacrés respectifs, qualifiant de mécréants, d'injustes et de pervers ceux qui ne les appliquent pas (Coran 5:42-50). L'homme ne peut à cet égard intervenir dans le 1 A propos d’un colloque organisé par la Commission internationale des juristes, l'Université du Koweït et l'Union des avocats arabes, Koweït, 9-14 décembre 1980, on lit: "Le Colloque recommande à tous les États de respecter les droits des minorités dans l'exercice de leurs traditions culturelles et de leurs rites religieux, ainsi que le droit de se référer dans leur statut personnel à leurs croyances religieuses" (Les droits de l'homme en Islam, Commission internationale des juristes, Genève 1982, par. 28). Le Conseil européen des fatwas et de la recherche, créé à Londres en 1997, composé actuellement de 38 membres, dont une majorité réside en Occident, a publié à l'issue des travaux de sa 2e session tenue à Dublin en 1998, un communiqué final comportant une série de recommandations, réaffirmées lors de sa 3e session tenue à Cologne en 1999. La deuxième de ces recommandations dit, sans aucune ambiguïté: "Le Conseil recommande aux musulmans résidant en Europe d'œuvrer inlassablement en vue d'obtenir des pays dans lesquels ils résident la reconnaissance de l'islam en tant que religion, ainsi que l'exercice - pour les musulmans en tant que minorité religieuse à l'instar des autres minorités religieuses - de tous leurs droits relatifs à l'organisation de leur statut personnel en matière de mariage, de divorce et d'héritage. […] À cet effet, le Conseil recommande aux musulmans la création d'institutions légales afin de prendre en charge l'organisation de leur statut personnel, conformément aux dispositions de la législation islamique et dans le respect des lois en vigueur" (Conseil européen des fatwas et de la recherche: Recueil de fatwas, série no 1, Tawhid, Lyon, 2002, p. 39). 2 Voir l'article Rise of Sharia in Canada sparks protests, 9 sept. 2005 dans le site Timesonline: http://www.timesonline.co.uk/tol/news/world/us_and_americas/article564685.ece (consulté le 19 mars 2008). 3 Voir Full text of Archbishop's Lecture - Civil and Religious Law in England: a religious perspective, 8 février 2008, dans le site Timesoline: http://www.timesonline.co.uk/tol/comment/faith/article3333953.ece (consulté le 19 mars 2008) 2 processus législatif que pour combler les lacunes de la loi divine, pour l'interpréter ou pour en déduire par analogie des normes visant à régir des situations qui ne sont pas expressément prévues par cette loi4. Toutefois, le droit musulman occupe peu d'espace dans les pays arabes. Les constitutions des pays arabes, à l'exception de celle du Liban et de la Syrie, indiquent l'Islam comme religion d'État, et la plupart d'entre elles ajoutent que le droit musulman ou les principes du droit musulman constituent une source principale, voire la source principale du droit. Malgré ces affirmations, le système juridique de ces pays comporte principalement des lois inspirées par le droit occidental, à commencer par la constitution elle-même, le code civil, le code pénal, le code de procédure civile et pénale, le droit administratif, etc. À côté de ces lois, ces pays ont gardé des normes musulmanes dans le domaine du statut personnel et, pour certains, du droit pénal comme c'est le cas en Arabie Saoudite. Les pays qui ont des communautés religieuses non-musulmanes ont aussi maintenu leurs lois de statut personnel ainsi que leurs propres tribunaux, si l'on excepte l'Égypte qui a aboli ces tribunaux en 1955. Cette situation dichotomique crée des tensions dans le monde arabe. On peut à cet égard distinguer trois courants: - Un premier courant veut un retour pur et simple au droit musulman et le rejet des lois non-musulmanes. - Un deuxième courant veut le maintien du statu quo - Enfin un troisième courant veut évacuer les normes islamiques restantes qui sont en contradiction avec les droits de l'homme. Afin de limiter notre propos, nous nous concentrerons dans cet article sur la situation en Égypte, le pays arabe le plus important sur le plan juridique. Dans ce pays, la législation mentionne le droit musulman en tant que source de droit, notamment dans quatre textes législatifs. 1) Il y a avant tout la constitution égyptienne dont l'article 2 disposait initialement: "L'Islam est la religion d'État. Les principes du droit musulman sont une source principale de législation". En 1980, la dernière partie de cet article a été amendée pour devenir: "Les principes du droit musulman sont la source principale de législation". 2) Sur le plan pénal, le code pénal indique à son article 60: L'acte accompli de bonne foi dans l'exercice d'un droit reconnu par le droit musulman ne tombe pas sous l'application de la loi pénale. 3) Sur le plan du statut personnel, la loi 462/1955 qui a supprimé tous les tribunaux religieux dont l'article 6 al. 1er dispose: Dans les litiges de statut personnel et des waqfs qui relevaient de la compétence des tribunaux religieux, les sentences seront prononcées selon la teneur de l'article 280 du décret-loi concernant l'organisation de ces tribunaux. 4 Sur la conception musulmane de la loi, voir Aldeeb Abu-Sahlieh, Sami A.: Introduction à la société musulmane: fondements, sources et principes, Eyrolles, Paris, 2005, p. 15-22. 3 L'article 280 du décret-loi 78/1931 dont fait mention l'article 6 énonce: Les décisions sont prises conformément aux dispositions de cette ordonnance et aux plus autorisées des opinions d'Abu-Hanifah, sauf en ce qui concerne les cas régis par une loi des tribunaux religieux. La loi 462/1955 et le décret 78/1931 ont été abrogés par la loi 1/2000 dont l’article 3 al. 1er dispose: Les décisions sont prises conformément aux lois de statut personnel et des waqfs en vigueur. En ce qui concerne les questions non réglées par un texte de ces lois, on applique les opinions les plus autorisées de l’école d’Abu-Hanifah. 4) Il y a enfin le Code civil égyptien (ci-après: CCég), lequel a inspiré les codes civils de onze pays arabes5, le projet islamique égyptien de 1982 et l'Ordonnance (la loi) civile uniforme du Conseil de coopération pour les États arabes du Golfe de 1997 (ci-après: Loi uniforme CCG). Dans le code civil égyptien et les codes qu'il a inspirés, le droit musulman occupe deux fonctions: il comble les lacunes, et il est la source de certaines institutions. C'est ce que nous verrons dans les points suivants. II. Contraintes internationales et contraintes religieuses La Convention de Montreux6, signée le 8 mai 1937, a aboli les capitulations7, fixant une période transitoire du 15 octobre 1937 au 14 octobre 1949. Le 15 octobre 1949, l'Égypte a récupéré sa compétence judiciaire sur tout le territoire égyptien. Dans ce même jour, est entré en vigueur le CCég, promulgué le 29 juillet 1948. Il remplaça le code civil mixte et le code civil indigène8 d'inspiration française promulgués respectivement le 28 juin 1875 et le 20 octobre 1883. La Convention de Montreux imposait à l'Égypte que les capitulations ne soient pas remplacées par un système juridique discriminatoire adopté dans un esprit de revanche contre les étrangers, et que l'Égypte opte pour le respect des principes généralement adoptés dans la législation moderne. Mais en tant que pays musulman, l'Égypte ne pouvait pas faire une totale abstraction des normes islamiques du fait que chez les musulmans, le droit musulman fait partie de la foi musulmane. Face à ces deux contraintes, la Commission chargée de rédiger le uploads/S4/ french-l-x27-alliage-entre-le-droit-religieux-et-le-droit-positif-dans-les-pays-arabes.pdf
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- Publié le Jui 17, 2022
- Catégorie Law / Droit
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