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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/304673740 INTERDITS SOCIAUX ET DÉLITS : NÈGRE ET JUIF DANS DES DISCOURS DE DÉRISION Article · January 2011 CITATION 1 READS 305 3 authors, including: Some of the authors of this publication are also working on these related projects: Enonciation et marques d’oralité dans la diachronie du français View project 7e Ecole d'été de linguistique légale View project Dominique Lagorgette Université Savoie Mont Blanc 73 PUBLICATIONS 143 CITATIONS SEE PROFILE All content following this page was uploaded by Dominique Lagorgette on 01 July 2016. The user has requested enhancement of the downloaded file. ISSN 0226-7144 © 2011 Département de langues, linguistique et traduction, Université Laval LANGUES ET LINGUISTIQUE, no 34, 2011 : p. 27-36 INTERDITS SOCIAUX ET DÉLITS : NÈGRE ET JUIF DANS DES DISCOURS DE DÉRISION Dominique Lagorgette Université de Savoie Diane Vincent Université Laval Geneviève Bernard Barbeau Université Laval Résumé La capacité de déterminer quand un acte est juridiquement condamnable est au cœur du traitement des « délits d’humour », qu’il s’agisse d’humour vexatoire, de dérision, d’ironie, de satire, tous des discours qui visent à faire rire un auditoire en ridiculisant un individu ou un groupe. Quand l’humour est-il perçu comme une (mauvaise) blague, une injure, une atteinte à l’intégrité des personnes ? Quand le fait de taquiner, de ridiculiser, de se moquer de quelqu’un devient-il socialement inacceptable ou juridiquement hors la loi ? Qu’advient-il, dans l’espace public, quand les paroles dites humoristiques sont simultanément applaudies et décriées ? Cet article pose la question des limites et des répercussions sociales de l’humour vexatoire. Si la question juridique est de faire l’évaluation du seuil de dangerosité de l’humour ou du farceur, le problème linguistique est de considérer les outils dont nous disposons pour assister le juriste dans cette tâche. À partir de deux discours médiatiques ayant suscité un débat social, nous nous proposons d’identifier les composantes sociodiscursives susceptibles de transformer un discours d’opinion (humeur ou humour) en un affrontement verbal. En filigrane, c’est la tension entre les propos haineux et la critique sociale fondatrice de la démocratie qui est sous observation, de même que la pertinence d’intervenir dans le débat juridique sur cette question. 28 INTERDITS SOCIAUX ET DÉLITS : NÈGRE ET JUIF DANS DES DISCOURS DE DÉRISION Dominique Lagorgette Université de Savoie Diane Vincent Université Laval Geneviève Bernard Barbeau Université Laval Les usages sociaux sont régis par un ensemble de règles implicites et explicites qui visent à assurer l’harmonisation des rapports entre les individus, selon le principe que les comportements normaux, donc normés, sont les plus susceptibles d’assurer le bien- être collectif. Il en va de même des usages sociaux de nature langagière, que les normes relèvent de la bienséance (parler au bon moment, ne pas dévoiler de secret, ne pas dire de gros mots), de croyances religieuses (ne pas blasphémer) ou de l’appareil juridique (l’injure, la diffamation ou la menace constituent des délits). Or, les usages sociaux sont changeants, adaptables et adaptés en fonction de pressions internes (par exemple, la baisse de la croyance religieuse aura des répercussions sur la perception du blasphème) et externes (l’arrivée massive d’une population étrangère amènera certains interdits religieux). Les sensibilités individuelles sont aussi de nature variable, tout comme l’intensité des réactions que suscite la transgression des interdits. L’appareil de contrôle des transgressions, qu’il soit de nature juridique ou sociale, doit donc s’ajuster à un ensemble complexe de paramètres. L’interdit est aussi complexe parce qu’il est imbriqué dans un réseau de discours préalables. En amont sont sous-entendus des comportements qui ont eu des conséquences suffisamment négatives pour les bannir, que ces conséquences soient réelles ou fantasmées. Ces discours préalables permettent aussi d’anticiper un double embranchement en cas de transgression : le poids des sanctions doit être évalué parallèlement aux bénéfices qui peuvent en être tirés. C’est selon cette logique que tout un ensemble de discours doit être abordé, par exemple les discours humoristiques et les billets d’humeur qui sont fondés sur la transgression, observable sur le plan stylistique et rhétorique : les auteurs escomptent que les bénéfices seront plus élevés que les coûts. Or, les bénéfices comme les coûts peuvent se mesurer de façon différente sur le plan social et juridique. Pierre Rainville (dans ce volume) l’aura montré, le juridique doit rester en phase avec ses propres codes et, bien qu’à l’écoute de la société, doit se méfier des sautes d’humeur de cette dernière et de ses jugements intempestifs. C’est ce dont nous allons traiter ici, à partir de deux « affaires médiatiques1 » (Vincent, Turbide et Kavanagh, 2011). La capacité de déterminer quand un acte est juridiquement condamnable est au cœur du traitement de délits d’« humour », qu’il s’agisse d’humour vexatoire, de dérision, d’ironie, de satire, tous des discours qui visent à faire rire un auditoire en ridiculisant un individu ou un groupe (Rainville, 2005). Quand l’humour est-il perçu comme une (mauvaise) blague, une injure, une atteinte à l’intégrité des personnes ? Quand le fait de taquiner, de ridiculiser, de se moquer de quelqu’un devient-il socialement inacceptable ou juridiquement hors la loi ? Qu’advient-il, dans l’espace public, quand les paroles dites humoristiques sont simultanément applaudies et décriées ? Cet article pose la question des limites et des répercussions sociales de l’humour vexatoire2. Si la question juridique est de faire l’évaluation du seuil de dangerosité de l’humour ou du farceur (Rainville, dans ce volume), le problème linguistique est de considérer les outils dont nous disposons pour assister le juriste dans cette tâche (Lagorgette, 2010 ; Vincent, 2010). 1 Par affaire médiatique, nous entendons ici des événements qui non seulement font la manchette, mais [qui] imposent une (re)lecture dialectique des faits qui se concrétise dans la montée de la tension entre des communautés imaginées (Vincent, Turbide et Kavanagh, 2011, ms). 2 Cette recherche a été rendue possible grâce à une subvention du CRSH, programme Fonds d’initiatives internationales. D. Lagorgette, D. Vincent et G. Bernard-Barbeau (2011) 29 Dans cette perspective, il s’agit véritablement de linguistique appliquée, et le problème posé concerne l’interprétation potentiellement multiple du sens des énoncés, des intentions qui sont sous-jacentes à leur production et des valeurs qu’ils véhiculent. Or, le sens, comme les intentions et les valeurs, repose sur une accumulation de « détails3 » (phonétiques, morphologiques, syntaxiques, lexicaux, etc.) qui, bien qu’intuitivement perceptibles, requièrent une analyse fine pour convaincre « l’adversaire ». De plus, ces détails participent à une superposition de niveaux d’interprétation (par exemple, un trait phonétique peut être révélateur à la fois d’un accent particulier, d’un ton ironique et d’un défi lancé à l’interlocuteur). C’est la raison pour laquelle l’analyse doit être multidimensionnelle et souvent multidisciplinaire (Vincent, 2011). Qui plus est, l’interprétation du discours ne peut pas faire l’économie des niveaux contextuels, c’est-à-dire sociolinguistique, culturel et pragmatique, qui définissent chaque situation d’énonciation. Sur le plan éthique comme sur le plan méthodologique, le travail d’expertise doit être balisé (Shuy, 2006 ; Lagorgette, 2010 ; Vincent, 2010) selon des règles définies dans un univers de confrontation agressive d’interprétations concurrentes. Le linguiste engagé dans cette voie n’est en effet plus seul avec son objet d’étude (Lagorgette, 2010 : 86), il subit la pression de deux parties irrémédiablement antagonistes. À partir de deux discours médiatiques ayant suscité un débat social : 1. l’émission de télévision Bye Bye 2008 au Canada et l’utilisation controversée du mot nègre ; 2. la chronique de Siné dans le journal satirique Charlie Hebdo en France et l’utilisation controversée du mot juif ; nous nous proposons d’identifier les composantes sociodiscursives susceptibles de transformer un discours d’opinion (humeur ou humour) en un affrontement verbal. En filigrane, c’est la tension entre les propos haineux et la critique sociale fondatrice de la démocratie qui est sous observation, de même que la pertinence d’intervenir dans le débat juridique sur cette question. 3 Depuis les premières Lectures de Sacks, les conversationnalistes se consacrent à tout ce qui façonne la conversation, reposant sans cesse cette question formulée par Sacks (1992 : xviii) : Se pourrait-il que la parole soit organisée à un tel niveau de détail ?. Ce qui est présenté ici est un condensé d’études réalisées entre 2008 et 2010 sur ces deux affaires médiatiques. Notre objectif général était alors d’expliquer le contexte sociodiscursif qui fait basculer l’interprétation de discours satiriques soit du côté du jeu, soit du côté de l’agression verbale. La pertinence de notre posture de recherche tient 1) aux données considérées : les réactions en chaîne aux discours d’humoristes perçus comme potentiellement racistes ou antisémites, réactions diffusées dans les médias et sur Internet ; 2) à la mise en relation des réactions citoyennes et des interprétations institutionnelles ou juridiques. D’entrée de jeu, signalons que les deux affaires ont provoqué des réactions similaires de confrontation entre deux parties, ceux qui reconnaissent l’offense et ceux qui la nient, chacun dénonçant violemment les positions des autres. La différence principale entre les deux affaires tient toutefois au fait qu’il n’y a pas eu de poursuite judiciaire dans le cas du Bye Bye, l’affaire se limitant au contexte institutionnel du diffuseur de l’émission, alors uploads/S4/ dominique-lagorgette-etal1.pdf
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- Publié le Mar 30, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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