AJDA AJDA 2017 p.2137 Retrait d'une renonciation d'une personne privée à exerce

AJDA AJDA 2017 p.2137 Retrait d'une renonciation d'une personne privée à exercer un recours contre l'administration Antoine Durup de Baleine, Premier conseiller à la cour administrative d'appel de Nantes Renonciation sur renonciation d'une personne privée à former une action indemnitaire contre l'administration vaut-elle ? Cette question inhabituelle se présentait dans l'affaire sur laquelle a statué l'arrêt présenté de la cour administrative d'appel de Nantes du 22 juin 2017. Les faits étaient très simples. Une petite commune du Finistère avait délivré un permis de construire à un couple de particuliers. Quelques semaines plus tard, un tiers avait saisi le tribunal administratif de Rennes en lui demandant d'annuler cette autorisation. A peine trois semaines après l'introduction de ce recours, ce couple adressa au maire une lettre dans laquelle, après avoir rappelé que son permis de construire venait d'être frappé d'un recours alors pendant, il écrivait que « A l'issue du jugement, nous nous engageons à ne porter aucun recours devant les tribunaux contre vous-même et contre la mairie de Saint-Jean-Trolimon et ceci peut importe la décision du tribunal même si elle devait nous être défavorable » (sic). Deux ans plus tard, le TA annula le permis de construire, pour un motif de légalité interne (TA Rennes, 28 oct. 2011, n° 0903874, Association Défense de l'environnement bigouden [DEB]). Deux mois après l'intervention de ce jugement, ce couple de particuliers, après avoir en vain adressé une demande indemnitaire préalable à la commune, devait saisir le TA de Rennes d'un recours de plein contentieux indemnitaire tendant à la réparation du préjudice imputé à la faute résidant dans l'illégalité de ce permis de construire. En défense, la commune opposa cette lettre que lui avait adressée ce couple, pour en conclure que cette action indemnitaire était irrecevable. Par un jugement n° 1200978 du 21 février 2014, le TA de Rennes n'eut aucune difficulté à accueillir cette fin de non-recevoir. Il retint que « cette lettre qui n'est assortie d'aucune condition, ne présente aucune équivoque ou ambiguïté quant à la renonciation de M. et Mme B. à toute action en justice dirigée contre la commune de Saint-Jean-Trolimon ; qu'en conséquence, cette correspondance doit être regardée comme une renonciation de M. et Mme B. à rechercher la responsabilité de la commune dans l'hypothèse de l'annulation par le TA du permis de construire délivré le 11 mai 2009 ; qu'ainsi la fin de non-recevoir soulevée par la commune de Saint-Jean-Trolimon tirée de l'absence de droit à agir des requérants doit être accueillie ». Sur appel des intéressés et sur renvoi après cassation par le Conseil d'Etat d'un premier arrêt en raison de son irrégularité (30 janv. 2017, n° 396165, Commune de Saint-Jean-Trolimon), la CAA de Nantes a inversé la solution. Elle a retenu que « cet acte unilatéral de renonciation ne saurait être regardé, alors qu'il n'a pas donné lieu à une contrepartie ni à une acceptation formelle de la commune, comme revêtant la nature d'une transaction ou d'un acte contractuel qui aurait définitivement lié M. et Mme B. en ce qui concerne l'exercice de leurs droits à un recours en réparation du préjudice causé par l'intervention de la décision illégale de délivrance d'un permis de construire mentionnée au point 1 ; que ces derniers pouvaient donc, à tout stade de la procédure, revenir sur l'engagement figurant dans leur courrier du 3 septembre 2009 et solliciter la condamnation de la commune à procéder à cette réparation ; qu'en conséquence, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a accueilli la fin de non-recevoir opposée par la commune sur le fondement de l'existence d'une renonciation définitive de leur part à exercer tout recours et a déclaré irrecevable leur demande ». La solution, généreuse et qui exhale un léger parfum d'une équité qui commanderait au juge administratif de tendre une main secourable à un plaideur imprudent, peut faire hésiter. Nul doute, en effet, qu'il est loisible à toute personne privée de renoncer à exercer une action en justice contre toute autre personne, publique ou non, du moment qu'aucune règle de droit n'y fait obstacle. En contentieux administratif, la solution est si vraie que c'est par exception à elle qu'une jurisprudence traditionnelle retient que, le recours pour excès de pouvoir étant un recours « d'ordre public » et non un litige « entre parties » (dans le contentieux des décisions individuelles, on n'en finirait pas de faire la liste des solutions qui sont autant de démonstrations qu'il s'agit bien d'un litige entre parties...), une renonciation à l'exercer, qu'elle prenne une forme unilatérale ou non (ainsi, dans une transaction), est inopposable. Elle est tenue pour non écrite et le juge administratif n'en tient aucun compte (sur tout cela, l'on renvoie le lecteur à R. Chapus, Contentieux administratif, Montchrestien, 13e éd., 2008, p. 232 et p. 390). L'on ne saurait, sans doute, gager que cette solution, pour traditionnelle qu'elle soit, soit promise à un très grand avenir (elle est en tout cas nécessairement battue en brèche par l'article L. 600-8 du code de l'urbanisme, qui explique l'intéressante solution de TA Cergy- Pontoise 8 janv. 2015, n° 1209831, AJDA 2015. 993 , note S. Merenne ). L'arrêt Ligue d'escrime du Languedoc-Roussillon (CE 18 nov. 2011, n° 343117, Lebon T. 1087 ; AJDA 2012. 399 ) enfonce également un coin sérieux dans l'idée que l'on ne pourrait transiger sur l'exercice d'un recours pour excès de pouvoir (sur l'ensemble de la question, v. F. Alhama, Transaction et renonciation à l'exercice du recours pour excès de pouvoir, RFDA 2017. 503 ). Pour le reste et comme le résume le professeur Chapus, « on peut renoncer à poursuivre la reconnaissance d'un droit subjectif [...], parce que c'est une question d'ordre personnel » (préc., p. 232). Ainsi, non seulement une personne privée peut valablement - librement est le juste mot - renoncer à engager une action indemnitaire contre une personne publique, mais l'on peut même renoncer au bénéfice de la chose jugée en plein contentieux administratif indemnitaire (CE 22 juin 1963, Ministre de l'intérieur c/ Darcel, Lebon 394 ; 31 mars 1978, n° 07010, Ministre de la santé c/ Eplé) comme pécuniaire (ainsi, dans le contentieux des pensions, CE 7 oct. 1970, n° 78496, Ministre de la défense nationale c/ Hanriot-Colin, Lebon 556). Bien entendu, le juge administratif doit écarter une telle renonciation s'il ressort du dossier soumis à son appréciation qu'elle a été consentie à la faveur d'une manoeuvre coupable ou dolosive de la part de la personne publique bénéficiaire, par exemple en échange d'une promesse illicite d'exercer dans tel sens une compétence d'action unilatérale. Dans ce cas, le consentement de l'auteur de la renonciation doit être regardé comme vicié et cette dernière tenue pour nulle. Mais l'arrêt présenté ne se fonde point sur une considération de cette nature. Il n'était, en effet, pas prétendu que M. et Mme B. auraient adressé cette lettre à la commune dans des conditions qui auraient vicié leur consentement. L'on pourrait également songer à l'hypothèse dans laquelle une personne privée renoncerait à exercer une action indemnitaire contre une personne publique dans une matière où la responsabilité de l'administration serait régie par un régime législatif spécial dont il se déduirait qu'il existerait en cette matière une sorte d'ordre public de protection, exclusif d'une renonciation unilatérale à engager la responsabilité de la puissance publique. Mais rien de tel en matière d'urbanisme et l'arrêt du 22 juin 2017 ne se fonde pas, non plus, sur une considération de ce genre. Acceptation de la renonciation par son bénéficiaire ? Il se fonde, d'abord, sur le constat que la lettre de M. et Mme B. s'engageant à ne former aucun recours contre la commune n'avait donné lieu de la part de cette dernière à aucune « acceptation formelle ». La solution n'est pas évidente. Qu'est-ce qui distingue une acceptation d'une « acceptation formelle » ? Même si l'arrêt ne le précise pas, c'était évidemment à la demande de la commune que les auteurs de cette lettre la lui avait adressée (parce que, sinon, l'on ne sait pourquoi ils auraient pris l'initiative de lui adresser ce courrier insolite). Le constat d'une manifestation claire d'une volonté de ne pas faire, non illicite et non viciée, n'est-il pas suffisant, lorsque cette manifestation est portée par son auteur à la connaissance du créancier de l'obligation de ne pas faire, pour que ce créancier puisse s'en prévaloir ? A tout le moins, il nous semble que les auteurs de cette lettre avaient créé au bénéfice de la commune une apparence dont cette dernière pouvait légitiment se prévaloir. L'administration qui reçoit une telle lettre peut légitimement espérer qu'elle ne fera pas l'objet d'une action indemnitaire. Admettre qu'en dépit de cela l'auteur de cet engagement puisse unilatéralement s'en dégager sans autre forme que, précisément, en engageant cette action, revient à ignorer cette espérance légitime. L'on n'est pas absolument certain que cela soit bien compatible avec le principe de sécurité juridique, comme avec une exigence de loyauté dans le commerce juridique portant sur un droit, ici celui de rechercher la responsabilité de l'administration, qui est uploads/S4/ document-20190709-040754.pdf

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  • Publié le Mai 02, 2021
  • Catégorie Law / Droit
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