LE TERRITOIRE D’APPLICATION DE LA CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME.
LE TERRITOIRE D’APPLICATION DE LA CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME. VAETERA ET NOVA (*) par Syméon KARAGIANNIS Professeur agrégé de droit public Université de Strasbourg III Parfois, on l’oublie. Parfois, on va jusqu’à le contester (1). Il n’empêche, quelle que soit leur originalité, les conventions interna- tionales de protection des droits de l’homme demeurent des conven- tions internationales, même si elles ont, en tant que telles, un «caractère particulier» (2). Il est donc naturel qu’on leur applique, en grande partie, les principes contenus dans la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 (3) ou, à tout le moins, ceux parmi les principes de la Convention qui refléteraient le droit coutumier (4). (1) Voy., pour quelques éléments du débat, Jean-François Flauss, «La protection des droits de l’homme et les sources du droit international. Rapport général», Société française pour le droit international, Colloque de Strasbourg, La protection des droits de l’homme et l’évolution du droit international, Paris, Pedone, 1998, pp. 1-119, spéc. pp. 39 et s. et Christos Rozakis, «The European Convention on Human Rights as an International Treaty», Droit et justice. Mélanges en l’honneur de Nicolas Valticos, Paris, Pedone, 1999, pp. 497-508. (2) Voy., entre plusieurs autres arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, Loizidou c. Turquie, arrêt du 18 décembre 1996, point 43. (3) Recueil des traités des Nations Unies, vol. 1155, p. 1331. (4) Ainsi clairement la Cour européenne des droits de l’homme dans ses d’ores et déjà célèbres arrêts du 21 novembre 2001 (McElhinney c. Irlande, point 36, Fogarty c. Royaume-Uni, point 35, Al-Adsani c. Royaume-Uni, point 55) mais déjà, plus anciennement, dans son arrêt Golder c. Royaume-Uni du 21 février 1975 (points 29 et s.) à un moment où la Convention de Vienne n’était pas encore en vigueur. Chaque → fois, sont surtout envisagées les dispositions de la Convention de Vienne relatives à (*) Cette étude trouve son origine dans une communication orale faite par l’auteur lors d’un colloque tenu à Caen en avril 2001 sur l’avenir de la Convention européenne des droits de l’homme. Le présent texte, bien plus étoffé, en diffère néanmoins subs- tantiellement dans la mesure où il s’efforce de prendre en compte les évolutions non négligeables, jurisprudentielles ou autres, qui ont entre-temps affecté la matière. 34 Rev. trim. dr. h. (61/2005) Il n’y a aucun doute que parmi ces principes coutumiers on doive ranger celui de l’article 29 de la Convention de Vienne qui énonce que, «à moins qu’une intention différente ne ressorte du traité ou ne soit par ailleurs établie, un traité lie chacune des parties à l’égard de l’ensemble de son territoire». Si cet article a pu être facilement adopté lors de la conférence de codification de Vienne, c’est, en grande partie, en raison de sa souplesse (5). Il contient un principe, qui correspond à la logique et à la bonne foi, en même temps qu’un tempérament de ce principe. Le principe, c’est l’application d’un traité sur l’ensemble du territoire des Etats parties; le tempéra- ment, c’est, le cas échéant, l’application du traité sur une partie seulement du territoire national des Etats parties. C’est assez naturellement que l’article 29 de la Convention de Vienne nous fournit deux des grands axes de cette étude : un prin- cipe (6), l’application de la Convention européenne des droits de l’homme sur l’intégralité du territoire des Etats parties (I), et les dérogations à ce principe, qui font que la Convention s’applique sur une partie seulement du territoire des Etats concernés (II). Toute- fois, l’on ne peut exclure que, exceptionnellement, un traité déploie certains de ses effets juridiques en dehors du territoire des Etats qu’il lie. L’extraterritorialité n’est pas bannie du droit international bien que, sagement, la Commission du droit international, respon- sable du projet de la Convention de Vienne sur le droit des traités, ait préféré ne pas envisager cette question compliquée sous l’angle (5) Voy. notre commentaire de l’article 29 in P. Klein et O. Corten (éds), Les Conventions de Vienne sur le droit des traités. Commentaire article par article (Bruxel- les, Bruylant, à paraître). (6) Comme le dit l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 8 juillet 2004 Ilascu et autres c. Moldova et Russie, «il est présumé» que la compétence juri- dictionnelle d’un Etat «s’exerce normalement sur l’ensemble de son territoire» (point 312). Lui faisant écho, la Cour internationale de justice ajoutera le lendemain (9 juillet 2004) que «si la compétence des Etats est avant tout territoriale, elle peut parfois s’exercer hors du territoire national» (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, §109). ← l’interprétation des traités. Leur souplesse permet à la Cour de rester fidèle à ce traité sur les traités tout en apportant sa touche personnelle, traduction de la mis- sion particulière dont elle est investie. Voy., à ce titre, François Ost, «Originalité des méthodes d’interprétation de la Cour européenne des droits de l’homme» in M. Del- mas-Marty (éd.), Raisonner la raison d’Etat, Paris, PUF, 1989, pp. 404-463, spéc. pp. 414 et s. et Patrick Wachsmann, «Les méthodes d’interprétation des conventions internationales relatives à la protection des droits de l’homme», Société française pour le droit international, Colloque de Strasbourg, La protection des droits de l’homme et l’évolution du droit international, Paris, Pedone, 1998, pp. 157-195, spéc. pp. 164 s. Syméon Karagiannis 35 de l’article 29. La Convention européenne des droits de l’homme trouve parfois à s’appliquer de manière «extraterritoriale». Il s’agit même là de l’un des principaux domaines où ses spécificités en tant que traité se remarquent (III). I. – Le principe : l’application sur l’ensemble du territoire des Etats parties Il est impossible de se faire une idée de l’application territoriale de la Convention européenne des droits de l’homme dans l’abstrait. Le caractère «fermé» (7) de la Convention nous oblige à nous inté- resser non seulement aux composantes du territoire des Etats par- ties (B), mais à ces Etats parties eux-mêmes (A). En effet, contrai- rement à d’autres conventions signées au sein du Conseil de l’Europe, la Convention européenne des droits de l’homme est ouverte à la signature des seuls membres de cette organisation (arti- cle 59, §1 de la Convention). Cela est peut-être regrettable dans la mesure où les droits de l’homme mériteraient, hélas!, d’être protégés par le mécanisme conventionnel davantage sur d’autres continents qu’en Europe même. A cet égard, le préambule de la Convention s’inscrit peut-être en faux lorsqu’il fait l’éloge de l’affiliation de la Convention avec la Déclaration universelle des droits de l’homme (considérants nos 2 et 3) (8). De même, le considérant n° 5 accentue le particularisme de la Convention lorsqu’il déclare que les gouver- nements contractants sont «animés d’un même esprit et possèd[e]nt un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques» (que d’autres, sous d’autres cieux, ne posséderaient donc pas). Concrète- ment, la question a été posée de savoir si d’anciennes colonies d’Etats membres du Conseil de l’Europe pouvaient, une fois deve- nues Etats indépendants, continuer à être volontairement liées par la Convention européenne des droits de l’homme. D’obscures raisons budgétaires avancées par l’Assemblée parlementaire sont venues à bout d’un tel projet que des esprits plus généreux semblent avoir parfois caressé. (7) Voy. M.-A. Eissen, «Surinam and the European Convention on Human Rights», British Yearbook of International Law, 1978, pp. 200-201. (8) Il n’est, pourtant, que justice d’observer que le caractère universel de la Décla- ration universelle est battu quelque peu en brèche par le dernier considérant de son préambule, qui semble bien établir une distinction entre «les populations des Etats membres eux-mêmes» et «celles des territoires placés sous la juridiction» de ces Etats (voy. aussi infra II, A). 36 Rev. trim. dr. h. (61/2005) A. – Quels Etats parties? Presque rien ne rapproche le champ d’application territoriale de la Convention, au moment où celle-ci entrait en vigueur en 1953, de son champ d’application actuel. Deux points seraient ici à étudier plus particulièrement. L’un continue de provoquer de-ci de-là quel- ques regrets que l’on espère ne point voir se transformer en remords (1). L’autre revêt, pour le moment, un caractère assez théo- rique. C’est cela surtout qui le rend rassurant (2). 1. Une expansion territoriale trop rapide? Le rêve du général de Gaulle d’une Europe allant de l’Atlantique à l’Oural a été largement dépassé. Celle-ci va de nos jours jusqu’aux îles Kouriles et au détroit de Behring et, si l’on englobe les Etats ayant le statut d’observateurs au Comité des ministres (Canada, Etats-Unis d’Amérique, Mexique, Japon) (9) (10), jusqu’à Tokyo. Et (9) Ainsi que le Saint-Siège (depuis 1970). De même, trois Etats non européens ont le statut d’observateurs à l’Assemblée parlementaire (Israël, Canada et Mexique) tan- dis qu’un récent accord en date du 27 avril 2004 établit une coopération entre l’Assemblée parlementaire et le Parlement du Kazakhstan. Depuis les récentes adhé- sions comme membres à part entière de la Bosnie-Herzégovine (24 avril 2002) et de la Serbie-Monténégro (3 avril 2003), il n’y a plus, parmi les Etats européens interna- tionalement «reconnus», que la Principauté de Monaco et la Biélorussie uploads/S4/ champ-d-x27-application-cedh.pdf
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- Publié le Oct 10, 2021
- Catégorie Law / Droit
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