LA PROTECTION DE L'ENFANT EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ TUNISIEN : L'EXEMPLE DE

LA PROTECTION DE L'ENFANT EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ TUNISIEN : L'EXEMPLE DE LA GARDE (OU HADHANA) RIDHA BOUKHARI* Institution particulière au droit musulman, la garde (ou hadhana) se compose principalement de deux éléments : la protection de l’enfant (direction et surveillance) et sa première éducation. Le droit musulman établit à propos de la hadhana un ordre de mérite qui profite à la mère et aux parents de la lignée maternelle. Une grande partie de la doctrine envisage la hadhana comme un démembrement de la tutelle (ou wilaya) sur la personne – laquelle est une prérogative reconnue de manière quasi-exclusive au père et à la lignée paternelle – ; cette perception met l'accent sur les problèmes de frontières entre les deux institutions. Dans le droit positif actuel, la question de la garde offre un terrain propice aux conflits d'intérêts entre les différentes parties concernées : le père, la mère et l'enfant. La matière recèle une forte impérativité en droit interne, ce qui explique son caractère indisponible. Sur la scène internationale, la volonté de favoriser l’enfant s'est traduite par l'adoption d'une règle de conflit à caractère substantiel qui conduit à l’application de la loi la plus favorable à l’enfant. Cependant, la jurisprudence tunisienne considère, depuis quelques temps, qu'il existe en matière de hadhana une réserve d’ordre public, qui justifie le refus de l’accorder au conjoint qui n’est pas de religion musulmane. L'ampleur de cette réserve se vérifie de manière particulière au stade de la réception des décisions étrangères. Ainsi, lorsque la garde est conférée par un tribunal étranger à la mère étrangère non-musulmane, les juridictions tunisiennes se préoccupent davantage de la tutelle exercée par le père tunisien. Particular institution of the Muslim legal system, the custody of the child (or hadhana) is made up for the most part of two elements: the child’s protection (direction and supervision) and the primary education. Regarding the hadhana, the Muslim law establishes a merit order in favor of the mother and the parents of maternal lineage. A major part of the doctrine considers the hadhana as a division of the guardianship (or wilaya) on the person, which is a known prerogative of the father and the parents of paternal lineage. This perception emphasizes the boundary problems between the two institutions. In the actual positive law, the custody question offers a favorable environment to the conflict of interests between all the parties involved: the father, the mother and the child. This subject holds an imperative character in internal law, which explains its unavailable character. On the international scene, the will to favor the child has been materialized by the adoption of a conflict rule of substantial character which leads to using the law most beneficial for the child. However, the Tunisian jurisprudence considers that there is a public order reservation which permits that the hadhana will be given to the partner of Muslim religion. The scope of the reservation can be confirmed when looking at the consideration of foreigners’ case law. In particular, when the custody is given by a foreign court to a non Muslim mother, the Tunisian jurisdiction has a tendency to favor the Tunisian father. * Maître de conférences en droit privé à la Faculté des sciences juridiques, économiques et de gestion de Jendouba (major de promotion au concours d’agrégation de 2009). Après des études à la Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, il a obtenu un doctorat en droit en février 2008 (mention : très honorable avec félicitations du jury) et un diplôme d’habilitation en juin 2009. Auditeur à l’Académie de droit international de La Haye en 1997, 1998, 1999 et 2005, l’auteur est spécialiste en droit international privé. 92 23.1 (2010) Revue québécoise de droit international L’article 54 du Code du statut personnel tunisien (CSP)1 définit la garde (ou hadhana) en ces termes brefs : « La garde consiste à élever l’enfant et à assurer sa protection dans sa demeure ». Cette définition ne permet cependant pas d’élucider entièrement la nature de la garde; aussi, la garde est-elle perçue tour à tour comme un droit de l’enfant2, une institution de protection de l’incapable3, un droit et un devoir du titulaire de la garde4, voire un droit respectivement reconnu à l’enfant, au père et à la mère5. Or, considérant sa finalité plutôt que sa nature, ne pourrait-on pas appréhender la garde comme une forme d’assurance sociale destinée à protéger l'enfant en bas âge? Un bon nombre d’auteurs6 envisagent la hadhana comme un démembrement de la tutelle (ou wilaya)7 sur l’enfant – laquelle est une prérogative reconnue de manière quasi-exclusive au père et à la lignée paternelle –; cette perception met l'accent sur les problèmes de frontières entre les deux institutions. Ce problème de frontières s’ajoute à l’incertitude qui entoure la qualification de la garde, ce qui explique la diversité des opinions consistant à la rattacher soit aux effets du divorce8, soit aux effets de la filiation9, voire même aux effets du mariage10. 1 Décret du 13 août 1956 (6 moharem 1376), portant promulgation du Code du Statut Personnel, J.O.R.T., 17 août 1956, 1544, art. 54 [CSP], entré en vigueur le 1er janvier 1957. 2 En ce sens, voir Wahba Alzuhaili, Al fikh al maliki al mouyassar, 2e éd., Damas, Beyrouth, Dar al kalim attaib, t. 2, 2002, à la p. 286; Muhammed Abu zahra, Al Ahwal al shaksiya, 3e éd., Le Caire, Dar al'fikr al'arabi, 1957 au para. 322 et aux para. 339 et s.; Cass. civ., 22 octobre 2004 (inédit) 3181 (inédit), dans cet arrêt, la cour déclare clairement que : « la garde est un droit de l’enfant ». 3 Maurice Nizard, Le droit international privé tunisien en matière de statut personnel, thèse, Faculté de droit et de sciences économiques, Paris, 1968 [non publiée] au para. 142; Taoufik Chabchoub, « La garde des enfants issus de mariage mixte », Conférence présentée à Tunis, 1982, cité par Dina Charif- Feller, La garde (Hadanah) en droit musulman et dans les droits égyptien, syrien et tunisien, Genève, Librairie Droz, 1996 à la p. 235. 4 Ali Bécheur, « La notion de garde dans le droit tunisien de la famille » (1968) 4 Rev. A.S.J.E.P. 1149 à la p. 1151; Philippe Malaurie et Hughes Fulchiron, Droit civil, La famille, Paris, Defrénois, 2004 aux para. 1229-1230. 5 Voir à titre d'illustration, Cass. civ., 4 janvier 1999, (1999) B.C.C. 331, no 69523 [Affaire 69523]; sur cette question, Ridha Boukhari, « Al' hadhana », dans Mohamed Kamel Charfeddine, dir., Cinquante ans de jurisprudence civile, Tunis, Centre de Publication Universitaire, 2010, aux pp. 1353 et s. 6 Sur ce point, des divergences existent entre ceux qui confèrent à la hadhana une autonomie par rapport à la wilaya et ceux qui considèrent qu'elle est un aspect de la wilaya sur la personne, voir sur cette question, Béchir Ferchichi, La tutelle des pères et mères sur leurs enfants mineurs dans les droits marocain et tunisien comparés, thèse en droit privé,Université de Tunis, 1983 [non publiée] aux pp. 337 et s.; Rachid Sabbagh, « L’évolution du droit de garde dans les pays du Maghreb » (1969- 1970) R.T.D. aux pp. 49 et s.; voir également les références citées par ces auteurs. 7 Selon la classification élaborée par les jurisconsultes musulmans, la wilaya a un objet double : tutelle sur la personne du mineur et tutelle sur ses biens. La tutelle sur la personne s'identifie à ce que certaines législations occidentales désignent sous le terme d’« autorité parentale »; dans les systèmes islamiques, elle découle des rapports ex lege que le père partage avec sa progéniture et confère à celui- ci, en sa qualité de chef de famille et de tuteur légal, un droit de gouvernement sur la personne de son enfant. En revanche, la tutelle sur les biens confère au tuteur les prérogatives d'administration et de gestion du patrimoine de son pupille. 8 Trib. 1er inst. Tunis, 6 juillet 1976, R.T.D. (1978) I 93 ( annotation Ali Mezghani). 9 Ibrahim Fadlallah, La famille légitime en droit international privé, Paris, Dalloz, 1977 à la p. 324; Nizard, supra note 92 à la p. 254. 10 Nizard, ibid. à la p. 254; Kalthoum Meziou, Les relations en droit international privé de la famille entre les systèmes tunisien et français: le cas du divorce des couples mixtes, thèse en droit privé, Université de Tunis, 1982 à la p. 92. La protection de l'enfant en droit international privé tunisien 93 En droit québécois, la garde est perçue comme un attribut de l'autorité parentale et ne s'exerce qu'à l'égard des enfants non émancipés (art. 598 et 602 du Code civil du Québec)11. En revanche, en droit français, la garde n'est plus envisagée comme un attribut de l'autorité parentale, la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale a en effet supprimé toute référence expresse à cet égard. Dès lors, la garde est plutôt perçue comme un instrument de protection de l'enfant12. Ce dernier aspect de la garde permet de la rapprocher de la hadhana. Institution particulière au droit musulman, la hadhana se compose uploads/S4/ 23-1-boukhari.pdf

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  • Publié le Jan 25, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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