45 PREMIÈRE PARTIE LE DROIT INTERNATIONAL DANS SON ENVIRONNEMENT CHAPITRE II OR

45 PREMIÈRE PARTIE LE DROIT INTERNATIONAL DANS SON ENVIRONNEMENT CHAPITRE II ORIGINES ET ÉVOLUTION Voyons rapidement comment l'environnement international a sécrété le droit international qui est parvenu jusqu'à nous. Ici aussi, la littérature révèle de grandes controverses sur les origines de ce système. I. Le droit international : générique ou spécifique ? 1. Ubi societas, ibi jus A cet égard, il faut préciser ce que nous entendons ici par droit international. S'agit-il du droit international dans un sens générique, englobant tous les systèmes historiquement connus de droit entre communautés humaines organisées, ou d'un certain droit interna- tional dans le sens d'un ordre ou d'un système juridique spéci- fique ? En effet, selon la fameuse maxime romaine, ubi societas, ibi jus, là où il y a société, c'est-à-dire un réseau de rapports sociaux relati- vement stables, le droit fait son apparition d'une manière ou d'une autre. Et c'est un fait historique que chaque fois que des communau- tés humaines se sont organisées et que ces communautés sont entrées en contact de manière récurrente, qu'il soit pacifique ou violent (pro- bablement violent d'abord, pacifique ensuite), certaines normes ont, consciemment (par accord) ou inconsciemment (par voie coutu- mière) fini par faire leur apparition, normes que nous pouvons consi- dérer d'une certaine manière comme des règles de droit internatio- nal. Ainsi, l'un des premiers traités que nous connaissons est celui conclu par Ramsés II avec le roi des Hittites, au XIIIe siècle avant 46 Georges Abi-Saab Jésus-Christ. Nous connaissons également les rapports juridiques qui se sont tissés entre les cités grecques allant des formes de coopéra- tion les plus étroites, telles les ligues amphictyoniques, à certaines règles qui n'entrent enjeu qu'en cas de guerre; de même que les ins- titutions de droit international qui se sont développées entre les princes ou «Etats» du sous-continent indien, ainsi qu'en Chine et en terre d'Islam; pour ne pas mentionner le jus gentium du droit romain. Il s'agit là de systèmes ou «types historiques de droit inter- national» ", qui ont existé dans un certain espace et pour un certain temps. Mais est-ce la même chose que le droit international que nous vivons, ou s'agit-il de maillons d'une même chaîne qui mène à ce droit? Il est vrai que dans tous ces systèmes historiques nous trouvons certaines règles ou institutions qui se ressemblent, dont le noyau dur et le dénominateur commun sont les traités et les immunités des émissaires, règles ou institutions fondées sur le respect de la parole donnée. Mais la similitude des solutions substantielles données aux mêmes problèmes ne justifie pas l'amalgame, car elle ne signifie pas nécessairement identité de systèmes juridiques. Celle-ci présuppose en premier lieu l'identité de la base idéologique ou de la source de légitimité de l'ordre juridique (ou le fondement de sa force obliga- toire, sa Grundnorm si l'on veut) dans le milieu social où il s'applique, et qui explique son ancrage ou son acceptation dans son environnement; ce qui relève sociologiquement des systèmes de croyance (belief systems). Elle suppose en second lieu une identité des structures et des mécanismes de gestion juridique. Or, ces élé- ments ne sont évidemment pas les mêmes dans les différents sys- tèmes historiques susmentionnés. 2. Les origines historiques du système actuel du droit international Il est très difficile, voir impossible, de fixer le point de départ pré- cis d'un système juridique, qu'il soit interne ou international. Car, en général, un tel système émerge à travers une évolution plus ou moins longue, bien que des étapes et des tournants décisifs jalonnent le cycle de vie de tout système juridique. Et même en essayant d'iden- 11. Paul Vinogradoff, «Historical Types of International Law», Bibliotheca Visseriana, 1 (1923), pp. 1-70. Cours général de droit international public Al tifier ces points saillants, il faut distinguer entre, d'une part, la matière première du droit que sont les relations juridiques elles- mêmes ou la pratique qui s'installe et qui est une donnée objective et, d'autre part, la réflexion juridique qui est la systématisation et l'explication théorique de cette pratique déjà existante ou appelée de ses vœux à exister par cette réflexion, en d'autres termes, le discours juridique ou la doctrine, qui est nécessairement subjective. Ces deux phénomènes ou types d'activités juridiques ne se dérou- lent pas nécessairement en même temps ni au même rythme; et la dialectique qui s'engage entre eux explique en bonne partie la dyna- mique de l'évolution du droit. Ce qui explique aussi le caractère nécessairement artificiel de toute datation ou périodisation aussi utile soit-elle pour les besoins de l'exposé. S'il faut néanmoins identifier les origines immédiates du système actuel du droit international, origines avec lesquelles nous pouvons établir une continuité ou un lignage direct et sans interruption majeure en remontant du présent vers le passé, nous constatons que depuis le XIXe siècle déjà il n'existe qu'un seul système, qui pro- longe à son tour, en remontant encore plus loin, le système européen issu des guerres de religion, qui a été consacré par la paix de West- phalie de 1648 '2. Cela ne veut pas dire que le système a commencé avec une table rase à ce moment-là. Car beaucoup de ses éléments (même pour ce qui est des mécanismes) existaient déjà ou étaient en gestation. De plus, il était l'héritier d'un riche patrimoine intellectuel: le droit romain, le droit canon, les commentaires y afférents et surtout les écrits des «pères» du droit international tels Vitoria, Suárez et Gro- tius, dont l'œuvre avait précédé la paix de Westphalie, jetant ainsi les bases intellectuelles du nouveau système émergent. Mais l'élément nouveau était la structure des rapports entre les 12. Le professeur Roberto Ago s'élève contre l'affirmation que le système actuel du droit international ait vu le jour en Europe à la fin des guerres de reli- gion, car, selon lui, bien avant cette période, des rapports juridiques s'étaient noués entre les deux empires romains d'Orient et d'Occident et la terre d'Islam; et après que ces deux empires se furent désagrégés, comme avant leur apparition, une sorte de droit international a toujours existé autour de ce creuset de civilisa- tions qu'est la Méditerranée. (Roberto Ago, «Les premières collectivités interéta- tiques méditerranéennes», Le droit international : unité et diversité. Mélanges offerts à Paul Reuter, Paris, Pedone, 1981, pp. 9-34; id., «Pluralism and the Ori- gins of the International Community », The Italian Yearbook of International Law, 3 (1977), pp 1-30.) Ce qui est vrai, mais qui ne fournit pas de réponse à la ques- tion de l'identité et de la continuité du système. 48 Georges Abi-Saab sujets qui s'est établie à travers cette paix et qui a donné lieu à un mécanisme qui, en intégrant les éléments disparates déjà existants ou en gestation, a pu digérer l'aspect normatif de ce riche héritage intel- lectuel, et a commencé à le gérer de manière nouvelle, selon le double paramètre de la souveraineté et de Végalité. C'est cette transformation radicale, ce saut qualitatif, dans l'agen- cement juridique des relations internationales, qui constitue le point à partir duquel les linéaments du système actuel commencent à appa- raître de manière claire, bien qu'il ait subi depuis lors beaucoup de secousses et de modifications. Ainsi, qu'on considère le système issu de la paix de Westphalie comme un système nouveau ou simplement renouvelé, bien que de manière radicale, cette paix marque un tournant suffisamment essen- tiel et lointain pour ne pas remonter au-delà. Cela ne veut pas dire non plus que ce système était le seul à exis- ter à ce moment-là. Car avant et même après cette période, d'autres systèmes de droit international existaient ou ont continué d'exister dans d'autres régions du monde, et même à ses propres portes. Mais comment peut-on affirmer que ce système régional de droit international, qui s'est cristallisé il y a quelques trois siècles et demi en Europe dans un univers matériel, mental et social radicalement différent du nôtre, est le même ou l'ancêtre direct de notre système universel de droit international ? Pour répondre à cette question, il nous faut examiner rapidement comment ce système a évolué depuis cette période pour devenir ce qu'il est aujourd'hui; et cela sur deux plans : — le premier est celui de son évolution de l'extérieur, c'est-à-dire l'évolution de sa vision ou de sa conception des communautés et des peuples extra-européens, de son attitude envers eux et, par conséquent, de ses rapports avec d'autres systèmes, avant de les écarter graduellement pour devenir le système unique et plus tard universel de droit international; — le second plan est celui de son évolution de l'intérieur ou plutôt des transformations plus ou moins radicales qu'il a dû opérer dans ses bases idéologiques pour faire face aux grands change- ments intervenus dans le monde, tout en préservant l'essentiel de ses structures. Ce qui nous permet d'affirmer son identité et sa continuité, malgré les grands bouleversements auxquels il a été confronté et les transformations qu'il a subies. Cours général de droit international public 49 //. L'évolution du système par rapport au monde extra-européen Examinons en premier lieu l'attitude de ce système uploads/S4/ 04-le-droit-international-dans-son-environnement.pdf

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  • Publié le Oct 09, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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