PRÉFACE DU NOUVEAU PETIT ROBERT (1993) par JOSETTE REY-DEBOVE et ALAIN REY UNE
PRÉFACE DU NOUVEAU PETIT ROBERT (1993) par JOSETTE REY-DEBOVE et ALAIN REY UNE LANGUE BIEN VIVANTE Nous présentons le Nouveau Petit Robert à nos lecteurs et à ceux qui le deviendront. On verra au simple coup d’œil que ce dictionnaire reste fidèle à tout ce qui a fait son succès, la richesse, la précision et la modernité de la description du lexique. C’est ce souci de modernité qui nous a amenés à publier, depuis 1967, de nouvelles éditions remaniées. Car il ne suffit pas d’ajouter des mots nouveaux pour qu’un dictionnaire soit actualisé ; la modernité pénètre la langue dans toute son épaisseur : les mots, certes, mais aussi les significations, les contextes d’emploi, les locutions, et les allusions qui sont les témoins et les signaux de notre époque. Ce Petit Robert est donc nouveau parce que, le français ayant profondément changé, il a fallu en reprendre la description par le menu. La langue évolue de plusieurs façons ; parfois accidentellement, parfois nécessairement puisque tout se modifie en nous et autour de nous et qu’elle répond à nos besoins, souvent à nos fantasmes. Le lexique est la mesure de toute chose, et le lexicographe doit faire le point chaque fois qu’un écart devient sensible entre le dictionnaire en tant que texte achevé et l’univers culturel présent. Cette situation impose alors une relecture ligne à ligne, des textes entièrement originaux et de nouvelles synthèses. Nous pensons également avoir apporté quelques améliorations de méthode qui sont le fruit de l’expérience, et tiré les leçons des tentatives d’intervention réformatrices en matière de rejet des anglicismes, de féminisation des noms de métiers, et de rectifications orthographiques. Le Nouveau Petit Robert reste fidèle à son rôle d’observateur objectif, rôle qui répond à la demande majoritaire des usagers du français. Il arrive qu’il donne son avis sur une forme ou un emploi, mais c’est alors par des remarques explicites qui ne peuvent être confondues avec l’objet de la description. Enfin, ce Petit Robert est nouveau parce qu’il bénéficie des techniques de l’informatique à trois stades de la production du texte ; tout d’abord un corpus vaste et varié de citations présélectionnées par les rédacteurs et qui ont été mises en mémoire ; ensuite, un balisage logique du texte qui constitue une source d’informations constamment disponibles et modifiables. Ce balisage intervient dans l’aide à la rédaction, pour travailler sur des ensembles de mots posant les mêmes problèmes, et pour vérifier la cohérence du discours de description, aussi bien dans ses domaines d’information que dans sa typographie, la seconde étant normalisée comme support formel des premiers. UN DICTIONNAIRE QUI A UNE HISTOIRE En 1967, le Petit Robert faisait sa première apparition, aussitôt saluée par les commentaires de la presse et de ceux qui s’intéressaient à la langue française. À cette époque, il y avait peu de dictionnaires en un volume sur le marché, et leur contenu était surtout encyclopédique ; on considérait la lexicographie comme un travail strictement utilitaire, et les dictionnaires n’étaient pas, comme aujourd’hui, un lieu privilégié de réflexion et de recherches sur le langage. Le Petit Robert, dès sa naissance, suscita un vif intérêt chez les lecteurs qui, à côté du bon usage garanti par les grands auteurs, retrouvaient leur emploi quotidien du français dans ce qu’il avait de plus actuel et même de plus familier. Il n’est pas indifférent que ce dictionnaire soit sorti à la veille de 1968. Les lecteurs se sont reconnus dans le Petit Robert et ont reconnu leur époque ; le dictionnaire devenait pour lors un ouvrage vivant, le trésor lexical de chacun, en même temps qu’il décrivait avec un soin de précision ce que tout francophone souhaitait savoir sur les mots. Plusieurs autres aspects originaux de l’ouvrage méritent d’être rappelés. D’abord le caractère historique du Petit Robert lui faisait prendre la relève du Littré (1863-1872), devenu inutilisable pour le lexique contemporain, et que toute adaptation moderne défigure. Le Petit Robert améliorait les étymologies grâce à l’exploitation du Französisches Etymologisches Wörterbuch de W. von Wartburg, réservé aux spécialistes. En outre, il empruntait au Dictionnaire général de Hatzfeld et Darmesteter (1900), ouvrage trop peu connu, la présentation arborescente des significations (polysémie en arbre), bien meilleure que la présentation linéaire de Littré. À cela s’ajoutait un effort original pour dater l’apparition des sens, qui ouvrait des horizons étonnants sur notre histoire culturelle. Le système « analogique », largement exploité dans le Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française devenu par la suite Grand Robert, permettait de trouver un mot oublié ou inconnu à partir d’un mot connu. En ce qui concerne les définitions, nous les voulions plus précises et plus fines que partout ailleurs, à une époque où la linguistique pure souhaitait expliquer le lexique par la syntaxe. Enfin, la littérature était constamment présente dans les citations empruntées aux écrivains, du XVIIe siècle à la période contemporaine ; « Phèdre » y côtoyait « Zazie dans le métro », pour le plus grand plaisir de la génération montante. L’accueil fait à la langue courante familière constituait une hardiesse qui bousculait la tradition. Mais il n’était plus possible de l’ignorer, depuis que les écrivains s’étaient mis à l’employer librement, et qu’une grande partie de l’argot s’était banalisée dans l’expression orale. L’introduction de ce vocabulaire imposait que l’on signale des niveaux de langue en adoptant un point de vue sociolinguistique. Il fallut développer, dans le Petit Robert, un système de marques qui n’était pas nécessaire du temps où les dictionnaires, tous normatifs, rejetaient les mots que la bonne société n’acceptait pas. On doit ajouter aussi que, pour la première fois dans un dictionnaire monolingue, la prononciation normalisée de tous les mots était transcrite dans l’alphabet de l’Association phonétique internationale (A. P. I.) ; cette information indispensable aux lecteurs non francophones a peut-être contribué à instaurer l’utilisation des dictionnaires français monolingues dans l’apprentissage du français langue étrangère. LE DICTIONNAIRE DE LANGUE UNITÉS ET INFORMATIONS Il n’est jamais inutile de rappeler ce qu’est un dictionnaire de langue et d’évaluer les oppositions par lesquelles on le caractérise. D’abord, tout dictionnaire français a de nos jours un classement alphabétique qui en permet la consultation. Un dictionnaire qui regroupe les mots par familles, comme le premier Dictionnaire de l’Académie (1694) ou le Robert méthodique (1982), fait généralement des renvois à une nomenclature alphabétique. Ce classement formel est commode parce qu’il ne préjuge d’aucune connaissance sur les mots autre que leur graphie. On oppose le dictionnaire de langue à l’encyclopédie alphabétique, le premier informant sur des mots et le second sur la connaissance du monde. Ce critère est insuffisant si l’on considère la définition, pièce maîtresse de ces ouvrages, car elle vaut pour les deux types de dictionnaires : en définissant un « objet » elle présente aussi le sens du mot qui le désigne. Certains ont pris l’habitude d’opposer les noms propres (encyclopédie) et les noms communs (langue) ; cette distinction n’est pas sérieuse car, s’il existe des dictionnaires de noms propres comme le Petit Robert 2, on n’a jamais vu de dictionnaires PRÉFACE X LE PETIT ROBERT de langue ne contenant que des noms. Le Petit Robert, évidemment, ne traite pas seulement les noms, mais tous les mots de la langue, les verbes, les adjectifs, les adverbes, les mots grammaticaux. L’opposition noms propres/noms communs, trop restrictive, n’est pas non plus pertinente. D’une part, le dictionnaire de langue donne des noms propres en sous-entrées des articles, lorsque ces noms sont formés de noms communs (Côte d’Azur à côte, Organisation des Nations unies ou O.N.U. à organisation). D’autre part, les encyclopédies alphabétiques ne présentent pas que des noms propres, mais aussi des noms communs qui dénomment les choses que l’on veut faire connaître (Darwin, mais aussi darwinisme et évolutionnisme). On envisage alors un autre critère qui peut sembler décisif, celui des mots grammaticaux ; une encyclopédie alphabétique ne fait pas figurer les mots à, quel, demain à sa nomenclature. Mais aussitôt surgit le contre-exemple du « dictionnaire encyclopédique », qui tente de réunir langue et encyclopédie et qui traite lui aussi ces mots ; à la nomenclature d’un dictionnaire de langue, il mêle des noms propres, il ajoute des paragraphes encyclopédiques et des illustrations aux mots et aux termes qui en relèvent. Leur description est alors limitée à la définition : on ne sait rien de leur origine, de leur histoire, de la diversité de leurs emplois, de leurs synonymes ni de leurs contraires. On voit que la différence fondamentale entre le vrai dictionnaire de langue et les ouvrages apparentés réside dans le programme d’information sur le signe. Ce programme n’est pas seulement lié à la reconnaissance et à la compréhension du mot ; il doit permettre la production des phrases en montrant comment le mot s’emploie à l’écrit comme à l’oral. La prononciation est fondamentale, mais aussi l’entourage du mot, les collocations (mots qui apparaissent souvent en même temps), les locutions (expressions figées), et aussi les constructions syntaxiques, les difficultés d’emploi. En somme, ce qui est absolument nécessaire, après la définition, c’est une large exemplification où le mot uploads/s3/ preface-1.pdf
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- Publié le Fev 11, 2022
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