L'Information Grammaticale Oral et familier : Le style oralisé Françoise Luzzat
L'Information Grammaticale Oral et familier : Le style oralisé Françoise Luzzati, Daniel Luzzati Citer ce document / Cite this document : Luzzati Françoise, Luzzati Daniel. Oral et familier : Le style oralisé. In: L'Information Grammaticale, N. 34, 1987. pp. 15- 21. doi : 10.3406/igram.1987.2086 http://www.persee.fr/doc/igram_0222-9838_1987_num_34_1_2086 Document généré le 16/10/2015 ORAL ET FAMILIER Le style oralise F.etD. LUZZATI Dans les deux précédents volets de cette étude (1), on s'est efforcé de montrer que l'oral et le familier relèvent de deux ordres distincts. L'un, qui se caractérise par une organisation du discours spécifique, a été opposé à l'écrit, alors aue l'autre a été situé dans l'échelle des niveaux de langue, essentiellement en fonction de la natur du lexique utilisé. Il est certes manifeste que le niveau de langue familier se rencontre principalement dans les discours oraux. L'opposition en tout cas n'aurait guère de sens si on ne pouvait souligner que les discours oraux à la fois spontanés et non familiers sont fréquents, et que la pratique du style oralise consiste souvent à obtenir un effet d'oralisation plutôt qu'à utiliser des structures véritablement orales. Comme on a déjà évoqué les discours oraux non familiers, l'objet de ce troisième et dernier volet est d'examiner différentes formes d'écrit qui, volontairement ou non, semblent procéder de discours oraux, même si, à l'évidence, il ne s'agit nullement d'oral. On s'intéressera tout d'abord au style oralise littéraire, c'est-à-dire à celui qu'on rencontre dans des textes comme ceux de L.F. Céline ou de R. Queneau. On évoquera ensuite le style oralise dans la littérature pour la jeunesse, à travers des textes comme Le petit Nicolas. On abordera enfin un style oralise involontaire, en l'occurrence dans les travaux scolaires, en nous demandant dans quelle mesure quelques unes des difficultés que rencontrent certains élèves ne tiennent pas à une confusion entre oral et écrit. I - LE STYLE ORALISE LITTERAIRE 1 Une page de Mort à crédit Dans une page de L.F. Céline par exemple, la ponctuation, la régularité de la syntaxe, l'absence d'hésitations et de "ratés", dénotent le code écrit : C'est à propos de ma légende que je voulais lui causer. On avait retrouvé le début sous le lit de Mireille. J'étais bien déçu de la relire. Elle avait pas (DI.G. N° 28, janvier 1986; I.G. N© 30, juin 1986. Juin 1987 gagné au temps ma romance. Après des années d'oubli c'est plus qu'une fête démodée l'ouvrage d'imagination . . . Enfin avec Gustin j'aurais toujours une opinion juste et sincère. Je l'ai mis tout de suite dans l'ambiance. Gustin que je lui ai fait, comme ça tu n'as pas toujours été aussi connard qu'aujourd'hui, abruti par les circonstances, le métier, la soif, les soumissions les plus funestes . . . Peux-tu encore, un petit moment, te rétablir en poésie ? . . . faire un petit bond de coeur et de bite au récit d'une épopée, tragique certes, mais noble . . . étinceiante ! . . . Te crois-tu capable ? . . . Il restait là Gustin assoupi sur son escabeau, devant les échantillons, le placard béant . . . Il ne pipait plus . . . il ne voulait pas m 'interrompre . . . (2) Divers traits semblent toutefois relever du code oral. Le vocabulaire, délibérément familier, voire argotique, fait référence aux énoncés oraux spontanés. Les constructions clivées /// restait là Gustin) sont constamment utilisées à l'oral et presque totalement bannies à l'écrit. L'absence de discordantiel dans la négation est également une pratique essentiellement orale. La parataxe est parfois préférée à l'hypotaxe, qui évoque peut-être à tort l'oral. Si on compare une page comme celle-ci à la transcription d'un discours similaire (ton familier, narration qui mêle le récit au discours rapporté), ces traits n'évoquent plus guère qu'un oral bien abstrait : // y en a une elle s'est permis de me/ de critiquer le patron à plate couture tourte là le mettre plus bas que terre/ alors elle me trouvait en plus moi sympathique et tout/ mais elle me dit alors vous ça va elle me dit ah vous alors/ qu'est-ce que vous êtes gentil et tout mais votre patron hein/ ah elle dit c'est ben le roi des merdeux et tout// et ça me répond et patati et patala et pi je la laissais faire et je poussais un petit peu à la roue pour qu'elle insiste encore/ et quand elle a eu fini j'ai dit mais madame j'ai dit/ êtes-vous sûre de bien le connaître le patron/ elle me ah je pense bien que je le connais/ mois je dis moi ça m 'étonne elle me dit mais pourquoi vous dites ça/ ben je dis pasque le (2) L.F. Céline, Mort à crédit, éd. Folio, T. 1, p. 23. 15 patron vous l'avez/ en face de vous/ le patron c'est moi (3). a - syntaxe Structure phrastique : chez Céline, la structure reste phrastique. D'une part la notion de cohérence syntaxique est constamment bornée, à gauche comme à droite, par des points. D'autre part, chaque mot est hiérarchiquement relié aux autres mots de la même phrase. A l'oral, la notion de cohérence syntaxique est une fenêtre qui défile sur l'énoncé et qui n'a jamais de frontière fixe (elle me dit alors vous ça va elle me dit). Les mots ont par ailleurs une existence beaucoup plus libre : ils peuvent rester en suspens (elle s'est permis de me/ de critiquer), ou avoir un statut difficile à définir (alors elle me trouvait en plus moi sympathique et tout). L'utilisation de la parataxe n'est par ailleurs pas un trait particulièrement oral (4). Cela permet surtout d'obtenir un effet rythmique qui évoque les mots prosodiques de l'oral (5). Constructions clivées : Les constructions clivées sont certes utilisées par Céline, mais essentiellement sous forme d'anticipations (6), alors que l'oral spontané privilégie en général les reprises. La conscience de ce qui est dit ayant un caractère transitoire, il devient nécessaire de rappeler le thème du propos avant les syntagmes prédicatifs. Dans cette page de Céline, on a, sur trois constructions clivées, deux anticipations (elle avait pas gagné au temps ma romance /il restait là Gustin) pour une reprise (Gustin que je lui ai fait). Dans notre transcription par contre, les trois constructions clivées sont des reprises (il y en a une elle . . . /votre patron hein ah elle dit c'est bien . . . /le patron vous l'avez . . .). Interrogation : de part et d'autre on rencontre deux interrogations directes. Chez Céline, elles se matérialisent, comme c'est presque toujours le cas, par deux inversions du sujet. Dans notre transcription, si on peut en relever une, c'est bien parce qu'il s'agit d'un passage où le locuteur se veut emphatique (j'ai dit mais madame j'ai dit êtes-vous sûre de bien le connaître le patron). b - lexique En ce qui concerne le lexique, Céline n'utilise pas d'appuis du discours (alors, hein, ben . . .). Ils sont cependant fréquents à l'oral, surtout lorsque le niveau de langue est familier. En outre, le vocabulaire de Céline, et cela dénote bien le texte littéraire, n'est pas un vocabulaire banal. Cela est vrai de l'argot comme du vocabulaire soutenu (les soumissions les plus funestes). De la même manière, on ne trouve guère de mots-substituts, qui évitent la recherche systématique du terme le plus propre, alors qu'à l'oral ils sont fréquents (et tout, patati et patala). (2) D. Luzzati, Recherches sur la structure du discours oral spontané, thèse de 3ème cycle, Paris III, 1983, p. 45. (4) J. Pinchon, Morphosyntaxe du français. Hachette université, Paris, 1986, p. 255. (5) M. Rossi et al.. L'intonation, de l'acoustique à la sémantique, Klincksieck, Paris, 1981. (6)C Vigneau, Remarques sur la reprise et l'anticipation dans Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit, Grammatica IV, Toulouse, 1975. c - discours rapporté Le discours rapporté est certainement l'angle par lequel la différence entre oral et style oralise apparaît le plus clairement. L'écrit dispose par nature de la typographie et de la mise en page. L'oral par contre doit pallier l'absence de tirets, de guillements ou de paragraphes par des éléments qui s'inscrivent dans le fil du discours. Les incises, beaucoup plus nombreuses dans la transcription (9 pour 6 répliques) que dans la page de Céline (2 pour 2 répliques), ont ainsi une fonction beaucoup plus complexe : On en rencontre une en tête de chaque réplique. Ce sont donc moins des incises que des "indicateurs de discours rapporté" qui remplacent les guillements ouvrants ou les tirets. Ces "indicateurs de discours rapporté" ne s'embaras- sent d'aucune complexité lexicale particulière : dire est presque systématiquement employé, alors qu'un auteur comme Céline use de toute une panoplie de termes adaptés (répondre, répliquer, ajouter, préciser, crier, murmurer, rappeler, prévenir, demander, poursuivre . . .). Dès que la réplique s'allonge, on en rencontre plusieurs, comme pour rappeler s'il s'agit toujours de discours rapporté (elle me dit alors vous ça va elle me dit ah vous alors /qu'est-ce que vous êtes gentil et tout mais votre patron hein uploads/s3/ le-style-oralisant.pdf
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- Publié le Dec 08, 2022
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