GLOTTOPOL Revue de sociolinguistique en ligne n°7 – janvier 2006 Les Langues de
GLOTTOPOL Revue de sociolinguistique en ligne n°7 – janvier 2006 Les Langues des Signes (LS) : recherches sociolinguistiques et linguistiques SOMMAIRE Richard Sabria : Présentation Richard Sabria : Sociolinguistique de la Langue des Signes Française Dominique Boutet, Brigitte Garcia : Finalités et enjeux linguistiques d’une formalisation graphique de la Langue des signes Française (LSF) Annie Risler : La simultanéite dans les signes processifs Ivani Fusellier-Souza : Processus de création et de stabilisation lexicale en langues des signes (LS) à partir d’une approche sémiogenétique Agnès Millet : Le jeu syntaxique des proformes et des espaces dans la cohésion narrative en LSF Genevière Le Corre : Regard sur les rapports intersémiotiques entre La Langue des Signes Française et le français Pierre Guitteny : Langue, pidgin et identité Saskia Mugnier : Le bilinguisme des enfants sourds : de quelques freins aux possibles moteurs Françoise Bonnal-Vergès : Langue des Signes Française : des lexiques des XVIIIe et XIXe siècles à la dictionnairique du XXIe siècle PROCESSUS DE CREATION ET DE STABILISATION LEXICALE EN LANGUES DES SIGNES (LS) A PARTIR D’UNE APPROCHE SEMIOGENETIQUE Ivani Fusellier-Souza Université Paris 8 – UMR/CNRS 7023 Cet article a pour objectif d’apporter quelques pistes de réflexion concernant les procédés de construction du dire en langues des signes (LS), notamment dans le domaine de la création lexicale. Le raisonnement développé ici se situe dans un modèle sémiogénétique (Cuxac, 2000) ayant pour principe fondateur l’iconicité inhérente des LS. Ce modèle considère qu’en raison de la modalité visuo-gestuelle, l’ensemble des langues des signes, ayant subi une évolution diachronique de type ontogénétique (individu) ou phylogénétique (groupe), partage un certain nombre de caractéristiques communes. Ces langues émergent d’un même processus cognitif – processus d’iconicisation – ancré dans l’univers perceptivo-pratique de l’expérience et déclenché par une intentionnalité sémiotique de communication. A partir de cette iconicisation première une bifurcation communicationnelle des visées (illustrative ou non) est attestée dans le processus évolutif de ces langues (Cuxac, 2000). Ces deux visées permettent la structuration du dire à partir de deux types d’unités linguistiques de sens : les structures de grande iconicité (SGI) et les signes lexicalisés. Les études sur la création et le développement des langues des signes primaires (désormais LSP1) (Kuschel, 1973 ; Kendon, 1980 ; Yau, 1992 ; Morford, 1996 ; Goldin-Meadow, 2003 ; Torigoe & Wataru, 2002 ; Fusellier-Souza, 2001, 2003, 2004), démontrent que les individus sourds vivant exclusivement en environnement entendant ont mis en œuvre des stratégies communicationnelles fondées sur le même processus cognitif. L’analyse du fonctionnement de ce processus, tel qu’il est affiché dans les LSP, permet de mettre en évidence des procédés linguistiques représentatifs des premières étapes de constitution des langues des signes communautaires. Le contenu de cet article se focalise ainsi sur les principes structuraux et fonctionnels du processus d’iconicisation lorsqu’il est activé dans la création des signes gestuels à visée non illustrative (futurs candidats à stabilisation lexicale). A partir d’une récente étude (Fusellier- Souza, 2004) portant sur trois différentes LSP, nous allons, dans un premier moment, exposer certains mécanismes de création et de stabilisation lexicale propre aux LSP. Dans un deuxième temps, nous ouvrons une discussion sur les mécanismes analogues présents en LSP 1 Ces systèmes linguistiques sont aussi désignés dans la littérature par les termes homesigns, idiolectes gestuels ou encore langues des signes spontanées. GLOTTOPOL – n° 7 – janvier 2006 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol 73 et en deux LS communautaires : la LSF et la LIBRAS. Dans les quelques réflexions présentées ici, nous voudrions renforcer la pertinence du modèle sémiogénétique en essayant d’examiner de façon plus approfondie l’hypothèse d’un rapport structural de nature diachronique entre les structures de grande iconicité et les signes lexicalisés. Iconicisation de l’expérience chez les sourds vivant en environnement entendant Tous les enfants sourds profonds de naissance se développant dans un environnement social et disposant de toutes leurs facultés cognitives intactes vont se trouver à une période donnée de leur petite enfance dans une situation de « double contrainte » : celle d'avoir à dire et de ne pas le pouvoir. De cette situation émane un besoin de communication si fort que ces enfants instaurent un processus inverse qui consiste à devenir les créateurs d'un dire en direction de l'adulte (Cuxac, 2000). Ce processus de création gestuelle se base sur des principes iconiques propre à toute LS. L'iconicité, présente dans les unités gestuelles, possède un rôle de signifiant différencié et fait référence à la représentation générale des différentes notions (entités, événements, schèmes conceptuels) du monde réel. Ainsi, lorsqu’il ne s'agit plus d'acquisition naturelle mais d'une création gestuelle spontanée, le processus d'iconicisation de l’expérience est mis en place comme étant une stratégie efficace dans la catégorisation du monde extérieur. Au fur et à mesure du développement ontogénétique de l’individu, ce processus peut s’affiner et se restructurer (à condition que le système linguistique soit pratiqué dans le cadre familial et social de l’individu sourd) grâce à sa maturité cognitive et en fonction de la nature des échanges communicatifs entre le locuteur sourd et son entourage. Pendant ce processus évolutif, un code familial plus complexe s’installe et donne lieu aux langues des signes primaires (Fusellier-Souza, 2001, 2004) pratiquées par des adultes sourds avec un entourage exclusivement entendant. Ces langues peuvent atteindre un niveau élaboré de complexité à la fois fonctionnelle et formelle. Yau (1992) montre, par exemple, que certains locuteurs des LSP peuvent avoir à leur actif plus de 1500 signes dont la forme s’est stabilisée. La taille de ces stocks lexicaux est variable en fonction de la qualité de l’intégration sociale de l’individu sourd dans l’environnement entendant. La forte similitude entre les formes gestuelles utilisées soit par l’enfant soit par l’adulte sourd montre que le processus cognitif utilisé est fondé principalement sur une mise en forme gestuelle de l’information à transmettre. Cette structuration du dire s’organise à partir de l’appréhension et de la reprise de formes saillantes, de la description de contours de formes et de tailles et enfin de la reprise iconique de scènes (actants – agent et patient – et déplacements). La valeur très générale de ce processus d’iconicisation de l’expérience permet de faire l’hypothèse que toutes les LS pratiquées actuellement dans les sphères micro ou macro communautaires ont eu pour point de départ des situations de communication similaires à celles observées chez les sourds pratiquant une LSP. Sémiogenèse des langues des signes On part de l’hypothèse que le processus d’émergence des langues des signes, à l’échelle communautaire, s’est déclenché à partir du contact de différents types de LSP pratiquées par des sourds au hasard de rencontres. Lors des premiers échanges, l’efficacité dans la communication était possible, d’une part grâce à des dispositifs linguistiques propres au canal visuo-gestuel et à la capacité des sourds à anamorphoser le réel au moyen de l’iconicisation de l’expérience ; d’autre part grâce à des aspects propres à la communication face à face : la GLOTTOPOL – n° 7 – janvier 2006 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol 74 situation d’interaction, le contexte et le savoir partagé. A partir de la constance de rencontres et d’échanges, un code linguistique émerge ayant comme caractéristique : a) la condensation d’informations et b) la stabilisation des formes linguistiques communes et compréhensibles par le groupe. Par le biais de ce processus évolutif, chaque langue des signes, présente des marques propres et distinctives dans la catégorisation de l’expérience puisque la création et l’évolution des signes sont étroitement liées à l’ancrage perceptivo-pratique de l’environnement socioculturel dans lequel vivent les sourds. On observe que les signes lexicalisés sont les premiers traits particuliers d'une langue des signes déterminée. Le développement sémiogénétique structural des langues des signes peut être analysé selon un continuum sur lequel au moins deux échelles communautaires sont situées. Nous avons d’une part, des langues des signes informelles non institutionnalisées, pratiquées au niveau micro communautaire par des petits groupes d’individus sourds (Jirou, 2000 ; Schmaling, 2001 ; Nyst 2003 ; Sandler et al., 2005). D’autre part, des langues des signes pratiquées au niveau macro communautaire et ayant une histoire institutionnelle se déroulant sur deux périodes : a) une plus ancienne, datant de l’expérience éducative mise en place par l’abbé de l’Epée au 18ème siècle (les LS des pays européens et la LS américaine) ; b) une plus récente, datant des 40 dernières années (les LS des pays en voie de développement). Dans la littérature, on trouve trois études des LS émergentes de façon institutionnelle : la LS Nicaraguayenne (LSN) (Kegl et al., 1999), la LS Tunisienne pratiquée à Douz (Pizzuto, 2001) et la LS pratiqué à l’île Maurice (Gebert, 2003 et Dany, 2004). Le modèle théorique de l’iconicité (Cuxac, 2000) Dans ce modèle, le processus d’iconicisation de l’expérience constitue le tronc commun cognitif à partir duquel une bifurcation communicationnelle en deux visées sémiologiques distinctes s’est produite. D’une part, nous avons une visée illustrative consistant à « donner à voir tout en disant », « à montrer », « à passer dans le domaine sémiologique du comme ça » ; d’autre part, nous avons une visée non illustrative catégorisante consistant à dire tout simplement sans intention de « donner à voir ». Cette bifurcation de uploads/s3/ gpl7-04fuselliersouza.pdf
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- Publié le Jul 06, 2021
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