Images Re-vues Histoire, anthropologie et théorie de l'art 8 | 2011 Figurer les
Images Re-vues Histoire, anthropologie et théorie de l'art 8 | 2011 Figurer les invisibles Bill Viola ou l’image sans représentation Chiara Cappelletto Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/imagesrevues/497 DOI : 10.4000/imagesrevues.497 ISSN : 1778-3801 Éditeur : Centre d’Histoire et Théorie des Arts, Groupe d’Anthropologie Historique de l’Occident Médiéval, Laboratoire d’Anthropologie Sociale, UMR 8210 Anthropologie et Histoire des Mondes Antiques Référence électronique Chiara Cappelletto, « Bill Viola ou l’image sans représentation », Images Re-vues [En ligne], 8 | 2011, mis en ligne le 20 avril 2011, consulté le 02 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/ imagesrevues/497 ; DOI : https://doi.org/10.4000/imagesrevues.497 Images Re-vues est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International. 1 BILL VIOLA OU L’IMAGE SANS REPRESENTATION Chiara Cappelletto Bill Viola affirme que l’ère de la vision optique est terminée et, malgré cela, ses œuvres donnent l’impression d’une parfaite évidence visuelle : ce paradoxe d’une image non destinée à la vue est le thème de cet article. La première thèse développée grâce à la comparaison de la production du vidéaste avec l’art figuratif et le théâtre est qu’elle a une autonomie esthétique spécifique qui se fonde sur l’élision préalable du seuil de la fiction. La deuxième thèse est que B. Viola propose à nouveau la conception de cet œil innocent dont on pensait qu’il n’existait pas, sous la forme d’un corps sincère dont l’existence reste encore à prouver. Il crée en effet des configurations audiovisuelles qui permettent, par la mise en avant de l’expressivité originaire de l’homme, de produire un effet persuasif, affirmatif même, sur le spectateur qu’il soit naïf ou sophistiqué tout en sollicitant son système nerveux. La troisième thèse est que dans toute sa production est à l’œuvre le même problème esthétique, à savoir le délitement de l’identité psychologique du spectateur qui fait l’expérience sur lui-même du véritable thème des vidéos : l’émotion. Ces images vont alors s’incorporer dans l’homme. Tradition picturale et déclin de la vision optique « Nous atteignons la fin de l’ère de la vision optique. Aujourd’hui, ce que l’œil voit ne doit pas nécessairement être pris pour une chose réelle. La réalité est submergée par des informations incorporées en nous. C’est pourquoi ce qui est subjectif est en train de devenir la nouvelle objectivité ». C’est ce qu’a affirmé Bill Viola dans un entretien filmé lors de sa résidence au MIT au printemps 2009, à l’occasion de l’Eugene McDermott Award in the Arts qui lui avait été décerné. La suprématie exclusive de la dimension optique est sur le point de se terminer : c’est une conviction qui gagne du terrain lorsque l’on observe les plus récentes façons d’aborder les images produites par les médias contemporains, pas seulement artistiques. Ces images sont issues de technologies qui mettent principalement en œuvre la kinesthésie et le sens du toucher associé à la vue. L’affirmation de B. Viola n’est par conséquent pas significative en soi ; ce qui est cependant frappant, c’est qu’on la doit au vidéaste le plus connu actuellement et dont les derniers travaux atteignent une extrême précision dans la définition du contour des corps filmés, produisant un fort effet de présence sur le spectateur selon l’alliance, ancienne bien que controversée, entre l’apparence d’un objet et son concept. Diplômé en 1973 de la Syracuse University, B. Viola travailla dans cette même ville en tant que technicien vidéo à l’Everson Museum qui – sous la direction de David Ross – ouvrit ses portes à l’art vidéo (le magnétoscope était alors né moins de dix ans auparavant et le caméscope Portapak de Sony avait à peine été commercialisé). Il est l’un des pionniers de cette forme artistique, suivant de peu Fluxus, Nam June Paik, Vito Acconci, Bruce Nauman, Peter Campus, Frank Gillette. Comparé à eux cependant, B. Viola a gagné aujourd’hui une renommée qui fut rarement accordée à un artiste et qui dépend – en partie au moins – de l’apparente facilité avec laquelle chaque spectateur, du plus naïf au plus sophistiqué, croit pouvoir regarder et comprendre immédiatement les images du cycle The Passions, le plus 2 connu, qui exhibent un élément iconique d’autant plus saisissable qu’il donne l’impression d’une parfaite évidence optique : elle lierait le spectateur émotionnellement, le jetant dans un état d’émotion pure et absolue en réponse directe à ce qu’il voit. The Passions est le fruit des recherches menées par B. Viola en 1998 à l’initiative de Salvatore Settis, alors directeur du Getty Research Institute, qui lui proposa d’explorer la représentation des passions. Les différentes œuvres du cycle mettent en scène la façon de représenter l’apogée des émotions : The Quintet Series (The Quintet of the Astonished, The Quintet of Remembrance, The Quintet of the Silent, The Quintet of the Unseen [fig.1]) (2000), Dolorosa (2000) (fig.2), Anima (2000) (fig.3), The Locked Garden (2000) (fig.4), Six Heads (2000), Memoria (2000), Union (2000), Witness (2001), Man of Sorrows (2001), Unspoken (2001), Mater (2001), Four Hands (2001), Catherine’s Room (2001), Silent Mountain (2001) (fig.5), Surrender (2001), Five Angels for the Millenium (2001) (fig.6), Emergence (2002), Observance (2002). Fig.1. Bill Viola, The Quintet of the Unseen, 2000 photographie : Kira Perov Fig.2. Bill Viola, Dolorosa, 2000 in K. Perov (dir.), Bill Viola. Visioni Interiori, cat. exp. Palazzo delle Esposizioni, Rome, 21 octobre 2008 – 6 janvier 2009, Rome, Giunti, 2008, p. 58 3 Fig.3. Bill Viola, Anima, 2000 in K. Perov, Bill Viola. Visioni Interiori, op.cit., p. 93 Fig.4. Bill Viola, The Locked Garden, 2000 in K. Perov, Bill Viola. Visioni Interiori, op.cit., p. 66 4 Fig.5. Bill Viola, Silent Mountain, 2001 in K. Perov, Bill Viola. Visioni Interiori, op.cit., p. 99 Fig.6. Bill Viola, Five Angels for the Millenium, 2001 in K. Perov, Bill Viola. Visioni Interiori, op.cit., p. 74 Parmi les instruments dont B. Viola s’est servi durant ces années, il faut mentionner les dessins réalisés par Charles Le Brun en 1698 pour illustrer L’Expression des Passions ainsi que l’ouvrage de Charles Darwin L’Expression des Émotions chez l’Homme et chez les Animaux (1872) et l’essai que Jennifer Montagu rédigea en 1994, The Expression of the Passions. The Origin and Influence of Charles Le Brun’s “Conférence sur l’expression générale et particulière”. Parmi les tableaux qu’il a observés avec attention et à plusieurs reprises lors de sa recherche, il cite l’Annonciation de Dieric Bouts (1450-1455) et L’Adoration des Mages de Mantegna (c. 1495-1505) (fig.7). The Quintet of the Astonished (fig.8) doit beaucoup à cette dernière 5 œuvre et renvoie également à un second tableau, le Christ aux Outrages de Hieronymous Bosch (1490-1500)1 (fig.9). Devant ce tableau, il prend note : Quintet of the Astonished : regroupement étrange mais soigné, rapport horizontal, prises de vues accélérées, éclairage délicat, vestiaire par types de caractère, le Christ aux Outrages de Bosch à la National Gallery de Londres : émergent en surface des émotions et des relations changeantes. Chacun déploie un éventail d’émotions conflictuelles allant du rire aux larmes, filmé avec des prises de vues accélérées, vu en haute définition, originaire, hyperréel. Les émotions vont et viennent si graduellement qu’il est difficile de dire où commence l’une et où disparaît l’autre. Les relations entre les figures deviennent fluides et changeantes2. Fig.7. Andrea Mantegna, L’Adoration des Mages, c. 1495-1505. Huile sur toile, Los Angeles, The J. Paul Getty Museum Fig.8. Bill Viola, The Quintet of the Astonished, 2000 photographie : Kira Perov 1 Bill Viola voit ce tableau à la National Gallery de Londres, où, toujours en 1998, il fut invité à participer à l’exposition « Encounters ». Je tiens à remercier ici Valentina Valentini pour ses généreuses indications bibliographiques et la relecture attentive qu’elle fit de cet essai dans sa version première. Je tiens aussi à remercier vivement Katia Bienvenu à qui la version française de ce texte doit beaucoup. 2 Cité dans J. Walsh, « Emotions in extreme time. Bill Viola’s Passions project », in J. Walsh (dir.), Bill Viola. The Passions, cat. exp. J. Paul Getty Museum, 24 janvier-27 avril 2003, Getty Publications, Los Angeles, 2003, p. 25-63, ici p. 33. 6 Fig.9. Hieronymous Bosch, Christ aux Outrages (Le Couronnement d’Épines), 1490-1500. Huile sur bois, Londres, National Gallery Le lien entre les vidéos de The Passions et certaines œuvres de la peinture européenne du XVe au XVIe siècle a été ramené par S. Settis à des critères tels que le format, le choix du sujet, la représentation du mouvement. On voit le premier critère en action dans Catherine’s Room (fig.10), qui fait référence à Sainte Catherine de Sienne et Quatre Sœurs du Tiers-Ordre Dominicain d’Andrea di Bartolo (c. 1393-1394) (fig.11), dont il réutilise la forme de la prédelle. Le second critère est visible dans Emergence (fig.12) qui reprend le sujet et la structure dramaturgique de la Pietà de Masolino (1424) (fig.13). On retrouve le troisième dans The Greeting3 (fig.14), l’œuvre qui renvoie à la Visitation de Pontormo (1528-1529)4 (fig.15). J. Walsh a en outre rappelé comment Observance prend également pour point de départ un chef-d’œuvre de la tradition picturale, Les Quatre Apôtres de Dürer (1526), une forme qu’il délaissera par la suite5. uploads/s3/ cappelletto-chiara-bill-viola-ou-l-x27-image-sans-representation.pdf
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- Publié le Mai 05, 2021
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