L’équivoque interprétative Six moments de Freud à Lacan Jean Louis Sous Portées
L’équivoque interprétative Six moments de Freud à Lacan Jean Louis Sous Portées Ouverture : Touches Y a -t- il matière à interpréter ? I / Constructions freudiennes Heads I win, teads you lose II / L’équivalence – matière chez Sigmund Freud De la δρεκκologie Matière grise III / Les moments du symbolique chez Jacques Lacan De l’autonomie au mi-dire A barré Maldonne IV / L’équivalence – parasite L’arbre jouit-il ? De l’écriture chinoise à l’arte povera V / L’équivalence – valeur Apagar Le dit-amant VI / L’équivoque – résonance Ce qu’on dit ment Parole d’écriture Perron de jade Final : Partition Note finale sur la chose Touches Tocar el piano Quand vous arrivez dans la salle du musée Grimaldi, à Antibes, où se trouve le tableau de Nicolas de Staël, «Le Grand concert», sa taille démesurée ne peut que donner une tonalité qui déconcerte ce premier instant de voir. Un immense à plat de rouge semble déséquilibrer l’ensemble. Il surplombe l’horizon d’une masse orchestrale qui déroule une série de lignes (lutrins et partitions) à portée même d’un clavier de piano. Horizontalité aux touches noir et blanc d’où émerge, légèrement incurvé, le contre point vertical d’une contrebasse. Elle fait couler les vibrations de ses contours, colore les pincements de ses cordes sur les pupitres de l’orchestre. Il vous faut un moment de recul pour pouvoir peut-être comprendre qu’ici, la représentation de l’ensemble musical s’abstrait de toute figuration et qu’il est réduit au rythme sériel de lignes partitives s’étalant, glissant, se répandant jusqu’à faire résonner les touches du piano. Le volume de l’orchestration ne tient que par une instrumentation superposée, concentrée, l’infime concision de traits marqués sur les portées. Épure minimaliste d’une extrême condensation. Nulle figure à voir autre que des figures rythmiques à entendre. Silence d’un recueillement par abstraction. Vous vous souvenez alors, que le pianiste de jazz Brad Mehldau joue souvent de son instrument sans le regarder ni concéder la moindre connivence, échanger quelque regard avec les musiciens de son trio. Et puis… il y a dans le tableau cet entre-deux, cette zone d’intervalle, de quarte ou septième qui sait… cette zone partitive, de chevauchement, de répartition où la partition va jusqu’à toucher le clavier. Ton sur ton ou demi-ton, la peinture touche la musique. Dans cette zone de passage, d’estompage de matière grisée de blanc, brossée de rouge atténué, le rythme de la portée vaut comme touche du piano, équivaut à son instrumentation. Elle semble vibrer à sa mesure dans le même mouvement que la partition paraît jouer à portée de main du pianiste. Oui, mais justement… pourriez-vous conclure, à la vue des touches du tableau, sur la justesse de l’interprétation ? Comment vont jouer les nappes sonores entre la part du piano et la part de l’orchestre, comment sera interprétée la partition dans le retentissement de leurs correspondances ? Est-ce que l’exécution de l’œuvre présentera des écarts entre la partition écrite et la résonance donnée par les instruments ? Peut-il exister une interprétation qui coule et découle de cette écriture sans bavures ? En somme, y aurait-il une œuvre achevée ? Et si ce tableau, que l’on a fait passer pour inachevé à cause de la mort précipitée du peintre, valait justement à la mesure de cet inachèvement et nous touchait par la question même de la justesse de l’œuvre exécutée. Nicolas de Staël assista les 5 et 6 mars 1955 à un concert organisé par le Domaine Musical fondé par Pierre Boulez au Théâtre Marigny : on y donnait les «Pièces pour cordes» d’Anton Webern et la «Sérénade pou 7 instruments» d’Arnold Schönberg. À son retour à Antibes, il se plongea dans l’exécution de deux tableaux qui seront ses derniers : «Le Piano» et «Le Grand concert» Sa vie s’achève le 16 mars 1955 au soir, alors qu’il a travaillé encore dans la journée à la réalisation de cette ultime œuvre. Il s’est jeté du haut de la terrasse de son atelier. Ici, les correspondances qui tentent de faire passer le rythme musical à la composition picturale se font entendre avec le risque d’une interprétation dissonante. Non, ce tableau n’est pas inachevé… Il n’y a pas à en rajouter sur l’inachèvement comme si on pouvait résorber sa portée, en trouver la clé. Il le montre, le fait résonner. Ce tableau est juste en tant qu’inachevé, juste, inachevé. Y a t - il matière à interpréter ? L’équivoque interprétative Si vous adressiez la question posée par ce titre à un compositeur ou un interprète, la réponse viendrait sans ambages et sans l’ombre d’un doute : l’œuvre musicale ne saurait exister vraiment tant qu’elle n’est pas exécutée. L’interprète donne à la composition toute sa résonance tandis que l’œuvre produit aussi l’interprétation. Mais comment se régler sur la partition dont la lecture n’est jamais vraiment épuisée et réserve sans cesse variantes et surprises ? Certaines données de son écriture paraissent absolues, d’autres peuvent passer pour relatives, difficilement interprétables voire ambiguës et certaines, enfin, totalement aléatoires1. La «battue» d’un mouvement (son accélération ou son ralentissement) vont dépendre du geste interprétatif qu’impulse la baguette du chef d’orchestre Le rythme des notes sur les touches des instruments de l’orchestre peuvent être l’objet de subtiles retouches dans leur exécution. Sous forme de partition, l’existence de l’œuvre n’est que latente, virtuelle tant qu’elle n’est pas jouée. Si le compositeur crée la pièce musicale dans sa potentialité, c’est l’interprète qui fait passer cette écriture aux sons, il en actualise les tonalités. Il a tranché sur les innombrables possibles, il en a risqué une lecture en bouclant l’orchestration. Peut-on décider de qui détient la «vérité», la version authentique de l’œuvre ? L’interprète ne saurait pleinement s’identifier au compositeur dans une congruence parfaite ou inversement estimer qu’en tant qu’exécutant, il est le seul à posséder la clé de la composition. Serait-il incongru de se demander si, dans la partition analysant/ analyste, on peut parler de l’effectuation d’une analyse si n’a pas été mis en jeu, justement, la question de l’interprétation. Mais alors, me direz-vous, pourquoi, par votre titre, introduisez-vous le doute ou l’équivoque ? 1 René Leibowitz, Le compositeur et son double, Paris, Tel Gallimard, 1971. Si vous posiez la même question au Président Schreber, il vous rétorquerait qu’il y a une nécessité absolue à jouer de l’équivoque interprétative pour que ces oiseaux qui lui serinent ou lui pépient ces phrases mécaniques tombent dans le panneau de l’homophonie, seul stratagème à les frapper de stupeur et les faire soudainement revenir à des expressions authentiques. Certes, certes mais ce recours systématique et excessif à l’équivoque pourrait paradoxalement renforcer l’axe de la connaissance paranoïaque dans le rapport à la réalité. L’interprétation se fait alors certitude des signes, vire à l’allégation du sens, l’incrimination de l’autre, au régime de l’influence et de la persécution. Vous vouliez en tempérer les effets mais vous ne faites qu’en accentuer la portée des conséquences. Ainsi, la question de l’interprétation (par le maniement intempestif de l’équivoque) aurait donc quelque raison de rentrer dans l’ère du soupçon, d’autant que l’équivalence posée par Freud entre délire et construction ne pouvait qu’en rajouter en matière de suspicion. Mais il serait tendancieux de se focaliser exclusivement sur cet article et de l’utiliser pour dévaluer l’abord freudien de l’interprétation. En effet, outre le fait que le mot d’esprit a valeur de trait interprétatif surprenant dans l’effet qu’il produit, vous serez également surpris de trouver dans la correspondance de Freud avec Fleiss le terme de merdologie qui est justement une interrogation inédite sur la matière à interpréter ! Dans le premier moment de son frayage marqué par la primauté accordée au symbolique placé en position de tiers, Lacan s’est résolument décentré de toute interprétation qui renforcerait l’axe imaginaire du «moi» et les sentiments réciproques du «deux» dans la relation intersubjective. C’est à ce niveau décentré qu’elle doit porter, touchant la place signifiante du sujet dans l’ordre symbolique de ses alliances, de sa filiation, de la réalisation de son histoire. C’est la table des matières du destin et de sa répétition qui est en jeu. Cette démarque par rapport à toute influence ou suggestion moïques dans la manœuvre interprétative ne lui en valut pas moins de nouvelles critiques. Dans Le titre de la lettre, Philippe Lacoue-Labarthe et Jean- Luc Nancy ne virent dans le détournement de la lettre volée qu’un prétexte à retrouvailles symboliques, réappropriation d’une parole pleine, authentique dans le dévoilement de la vérité. Jacques Derrida, dans Le facteur de la vérité, objecta également à la propriété non- partitive de la lettre posée par Lacan. Il y est parlé «d’atomystique» comme s’il y avait là un mysticisme déguisé, une mystique implicite qui prônerait la réappropriation téléologique du signifiant dans une assomption symbolique sans aucune perte disséminante. Et bien sûr, tout cela se ferait sous les auspices d’un phallogocentrisme qui réglerait le procès du sujet autour d’un logos référé à l’ordre phallique. Enfin L’anti-Oedipe de Deleuze et Guattari ne fut pas en reste pour critiquer la rengaine monomaniaque de l’interprétation psychanalytique : tout le matériel de l’association libre est passé à la moulinette uploads/s3/ sous-jean-louis-l-x27-equivoque-interpretative-pdf.pdf
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- Publié le Oct 16, 2022
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