Quand les images citent l’art ! Anne Pauzet UCO-Licia, Angers, France CoDiRe, E
Quand les images citent l’art ! Anne Pauzet UCO-Licia, Angers, France CoDiRe, EA 4643, Université de Nantes, France gpauzet@libertysurf.fr Résumé : Les images mass-médiatiques courantes (illustration d’articles de presse, images publicitaires, affiches politiques et sociales…) citent bien souvent le domaine de l’Art (peintures, sculptures, photographies, images filmiques…). Ce dernier devient alors un univers de références à découvrir pour comprendre le message exprimé. De plus, découvrir les liens qui unissent les images du quotidien aux œuvres artistiques nous aide à mieux comprendre les sociétés dans lesquelles ces images sont produites. Cet article pose la question du lien entre les images, l’Art et l’imaginaire collectif et propose une réflexion didactique autour de ces liens. Mots-clés : Art ; messages iconiques ; imaginaire collectif ; palimpsestes iconiques ; enseignement- apprentissage des langues When images quote Art! Abstract: Common mass media images such as illustrations for press articles, advertising pictures, political and social posters often quote the field of Art (paintings, sculptures, photos, film images…). Art thus becomes a world of references to be discovered in order to understand the conveyed message. Moreover, finding the links between the daily life pictures and the artistic piece helps people understand the societies in which those pictures are produced. This article discusses the relationship between images, Art and collective imagination and carries out a didactical reflection on those links. Keywords: Art; iconic messages; collective imagination; palimpsests; teaching and learning languages Introduction Affiches, images publicitaires, dessins et photographies de presse… déclinent à l’infini les grandes images emblématiques de notre culture. Sous chaque image produite, on peut lire « “en transparence” une autre image et une autre formule cachées sous l’annonce “de surface” » (Fresnault-Deruelle, 1983 : 33). Intentionnel ou non, ce texte caché est un puissant révélateur culturel. La connaissance du soubassement rhétorique des messages visuels (Gauthier, 1982) permet alors de se distancier face à l’apparent réalisme des images (l’image comme image du monde) et de cheminer vers une reconnaissance de la dimension culturelle des messages visuels (l’image, reflet de notre représentation du monde)… De ces propos découlent autant de questions auxquelles il faudra répondre : Quels liens unissent images, art et inconscient collectif ? De quelle façon ces messages iconiques se construisent-ils et se décodent-ils dans une culture donnée ? Comment bâtir une véritable réflexion didactique pour l’enseignement et l’apprentissage des langues et des cultures ? Quels sont les objectifs d’une telle démarche ? Images et inconscient culturel : les images emblématiques Guy Gauthier (1982) explique que des images qui présentent extérieurement toutes les caractéristiques du réalisme – et en particulier des images photographiques exemptes de truquage – tirent leur sens de leur portée symbolique. Ce sont des images à valeur emblématique. « Nous parlons dans un monde, nous voyons dans un autre. L’image est symbolique mais elle n’a pas les propriétés sémantiques de la langue : c’est l’enfance du signe. Cette originalité lui donne une puissance de transmission sans égal. L’image fait du bien parce qu’elle fait lien. Mais sans communauté, pas de vitalité symbolique (...) » (Debray, 1992 : 60). Aussi, toute civilisation, parfois à son insu, vit d’emblèmes de ce genre, plus ou moins banalisés, plus ou moins sacralisés. Dans son article « L’image et le savoir partagé : la Pietà de Benthalha » (1998), Pierre-Alban Delannoy s’interroge sur une photographie datant du 23 septembre 1997 à Bentalha, en Algérie. Cette photo, prise par un photographe de l’AFP, Hocine Zaourar, est aussi connue sous le titre « La Madone de Bentalha » et incarne les massacres des années 1990 en Algérie. Elle a littéralement fait le tour du monde et remporté le World Press Photo 1997 [lucarts.blogspot.com]. Une Piéta ? Une Madone ? « Pourquoi et comment est-ce ce sens-là qui s’impose d’emblée aux lecteurs occidentaux qui découvrent puis publient et popularisent ensuite, sous ces titres, cette photo ? C’est que la lecture d’une image s’appuie autant, sinon plus, sur un savoir préalable et partagé, et que lire l’image revient à transformer son contenu référentiel de manière à le faire entrer dans l’encyclopédie qui nous fait office de mémoire et de pensée. » (Delannoy, 1998 : 56-57). On y voit donc une femme en pleurs, la tête penchée. Une autre la console. De très nombreux clichés ont représenté cet évènement. Cependant c’est cette icône qu’a retenu l’Occident pétri de christianisme. Elle est la Madone car, pour les lecteurs, un certain nombre de traits additionnés en constituent le « type » (Groupe MU, 1990). Les éléments gestuels, vestimentaires et plastiques, co-présents dans l’image, s’y transforment pour former l’archétype de la Pietà. Tout fait signe : les gestes et attitudes renvoient à la mère éplorée et à la douleur. Associés aux vêtements, ils rendent possible l’identification de cette femme en Pietà. La robe et le voile que portent les deux femmes, même s’ils sont en réalité des signes du mode de vie traditionnel du monde arabe, connotent, cependant, l’intemporalité. Dans ce contexte et de par ce cadrage, ils rendent possible l’identification de cette femme en Pietà car ils renvoient à l’époque du Christ ou bien au 15e siècle de Michel-Ange. Mais cette image nous parle aussi, principalement, par sa facture : « Le cadrage, la position des personnages, la complémentarité des couleurs des deux robes (l’orangé et le bleu) et surtout la lumière. Celle-ci, en effet, donne au drapé des vêtements une matérialité, une densité sculpturale (…) qui ne peut manquer d’évoquer autant l’art de Michel-Ange sculpteur que celui des peintres qui ont excellé dans le rendu des plis des vêtements et en ont fait un trait plastique caractéristique des ces madones (…) » (Delannoy, 1998 : 56, 57) Elle renvoie à toute une lignée d’images symbolisant la mort du Juste qui s’attachent à exprimer la douleur du Christ supplicié et des personnages qui l’entourent. Comme l’a exprimé Pierre-Alban Delannoy, s’il avait manqué à cette photo la dimension plastique (composition et drapé), elle ne serait jamais apparue comme une image de la Madone. La mémoire collective est ainsi sollicitée par le recours à l’Art. Découvrir l’architecture secrète des images contemporaines, les codes invisibles du visible, renvoie donc aux grands archétypes qui ont trouvé leurs plus belles incarnations dans les œuvres des artistes : peintres, sculpteurs, photographes et cinéastes… La compréhension de cette rhétorique du visuel conduit à une vision plus large, plus approfondie des sociétés, de leurs valeurs, une approche de l’inconscient collectif qui en constitue le socle. Comme l’écrit si joliment Alberto Manguel (2001), les images ont pour vocation de transformer l’instant en éternité. « Mais l’histoire qu’elles recèlent demeure souvent cryptée et comme “illisible”. À l’instar du baiser du prince réveillant quelque Belle au bois dormant, seul un regard peut alors réanimer ce qui a été ainsi “endormi” » (Manguel, 2001, quatrième de couverture). Entrer dans la culture de l’Autre par l’image nécessite donc de s’interroger sur les signifiés esthétiques auxquels elle renvoie. Dans un article fondateur en sémiologie de l’image, Roland Barthes (1964) met l’accent sur ce « signifié esthétique ». S’interrogeant sur la façon dont le sens vient à l’image et analysant une publicité Panzani, il exprime que l’on peut y voir une référence à la nature morte. Ce genre pictural se développe au 17e et 18e siècle à une époque où les commanditaires des peintres cessent d’être uniquement la royauté. La bourgeoisie se développe et souhaite faire passer sa réussite sociale, son art de vivre à travers la peinture. L’allusion renvoie le lecteur à une certaine idée du bien-vivre : qualité des produits, fête des sens, plaisir de la table, de la bonne chair. Cependant, si ce signifié esthétique semble souvent être utilisé par les concepteurs d’images, il n’est pas du tout évident que les récepteurs, et même parfois les concepteurs, puissent y faire explicitement référence. Pourtant il semble que nous décodons inconsciemment ce signifié esthétique comme s’il était stocké dans la vaste bibliothèque de références iconiques qui fait office de pensée. À ces propos, nous ajouterons que « la variation des lectures n’est pas anarchique, elle dépend des différents savoirs investis dans l’image (savoir pratique, national, culturel, esthétique) et ces savoirs peuvent se classer, rejoindre une typologie ; tout se passe comme si l’image se donnait à lire à plusieurs hommes et ces hommes peuvent très bien coexister en un seul individu : une même lexie mobilise des lexiques différents. Qu’est-ce qu’un lexique ? C’est une portion du plan symbolique (du langage) qui correspond à un corps de pratique et de techniques ; c’est bien le cas pour les différentes lectures de l’image. Chaque signe correspond à un corps d’« attitudes » : le tourisme, le ménage, la connaissance de l’art, dont certains peuvent manquer au niveau d’un individu. Il y a une pluralité et une coexistence des lexiques dans un même homme ; le nombre et l’identité de ces lexiques forment en sorte l’idiolecte de chacun. » (Barthes, 1964 : 48) Aussi est-il nécessaire de permettre aux apprenants et aux enseignants d’expliciter cet implicite visuel, de mettre au jour cette inter-iconicité de l’image afin que uploads/s3/ semiologie.pdf
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- Publié le Nov 19, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
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