Images Re-vues Histoire, anthropologie et théorie de l'art Hors-série 7 | 2019

Images Re-vues Histoire, anthropologie et théorie de l'art Hors-série 7 | 2019 Par-delà art et artisanat Pour une anthropologie de la création An Anthropology of Creation Francesca Cozzolino et Thomas Golsenne Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/imagesrevues/7208 DOI : 10.4000/imagesrevues.7208 ISSN : 1778-3801 Éditeur : Centre d’Histoire et Théorie des Arts, Groupe d’Anthropologie Historique de l’Occident Médiéval, Laboratoire d’Anthropologie Sociale, UMR 8210 Anthropologie et Histoire des Mondes Antiques Référence électronique Francesca Cozzolino et Thomas Golsenne, « Pour une anthropologie de la création », Images Re-vues [En ligne], Hors-série 7 | 2019, mis en ligne le 19 décembre 2019, consulté le 30 janvier 2021. URL : http://journals.openedition.org/imagesrevues/7208 ; DOI : https://doi.org/10.4000/imagesrevues. 7208 Ce document a été généré automatiquement le 30 janvier 2021. Images Re-vues est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International. Pour une anthropologie de la création An Anthropology of Creation Francesca Cozzolino et Thomas Golsenne 1 Ce hors-série est né d’un constat. Depuis quelques années, il semble que les frontières canoniques entre l’art, l’artisanat et le design, mais aussi entre les pratiques créatrices professionnelles et les pratiques amateures, soient devenues de plus en plus poreuses. De nouveaux savoir-faire apparaissent en même temps que d’anciens ressurgissent de l’oubli. 2 Plusieurs expositions importantes en témoignent : L’usage des formes au Palais de Tokyo à Paris (2015) réunissait artisans d’art et artistes autour de la question de l’outil ; Eppur si muove. Art et technique, un espace partagé (2015-2016), fruit de la collaboration entre le Mudam à Luxembourg et le Musée des arts et métiers de Paris, présentait un vaste panorama de machines à usage scientifique mais aussi belles que des œuvres d’art, et d’inventions d’artistes plus ou moins sérieuses. Le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris entreprend un cycle d’expositions sur le craft à travers des médiums autrefois considérés comme seulement artisanaux : le textile (Décorum, 2014), le bijou (Médusa, 2017) et bientôt la céramique (en préparation pour 2021). Artistes, designers et maîtres d’art se partagent l’affiche. Le musée lui-même peut ne plus se contenter d’être un espace de monstration, mais Pour une anthropologie de la création Images Re-vues, Hors-série 7 | 2019 1 devient un lieu d’expérimentation ou l’occasion d’un workshop, dans lequel les artistes produisent les pièces qu’ils montrent ou les publics participent activement à des expériences collectives de fabrication1. Fig. 1 Workshop « Behavioral Matter » organisé au centre Pompidou dans le cadre de l’exposition « La Fabrique du vivant » en mars 2019 au Centre Pompidou. Photo : Samuel Bianchini – EnsadLab 2019 3 Plus que le résultat final, c’est le faire qui compte aujourd’hui. On ne compte plus les artistes contemporain·e·s qui découvrent les joies du fait main, les enjeux de l’artisanat. Un petit exemple, mais symptomatique. Pierre Leguillon (né en 1969) était plutôt réputé un artiste conceptuel, fortement intéressé par l’histoire de l’art, et travaillant surtout sur la diffusion des images. Mais depuis quelques années il s’intéresse également aux arts décoratifs et dans sa dernière exposition, à la Fondation Ricard à Paris (Parler aux yeux, mars-avril 2019), il a présenté des travaux réalisés en partie en collaboration avec Kyozo Shimogawa, au Japon, maître dans l’art du Kasuri, une technique de tissage unique au monde (fig. 2). Loin de répondre au cliché du Japon figé dans ses traditions ancestrales, le Kasuri est une technique hybride, qui nécessite l’emploi de fibres et de pigments naturels mais passe par l’usage de métiers Jacquard importés par le grand-père de Shimogawa et adaptés au format des bandes de tissus à kimonos. Pour une anthropologie de la création Images Re-vues, Hors-série 7 | 2019 2 Fig. 2 Pierre Leguillon, Mérida, 2018, kasuri réalisé en collaboration avec Kyozo Shimogawa. Collection Musée des Erreurs, Bruxelles (détail). Photo : TG 4 Du côté du design, une tendance similaire est sensible. À Eindhoven, capitale mondiale du design pendant sa biennale qui réunit d’ordinaire plusieurs centaines de participant·e·s internationaux pendant une dizaine de jours, est organisé depuis 2018 le Crafted Festival. Les makerfaires, vastes rassemblements d’ingénieur·e·s indépendant·e·s, d’inventeur·se·s loufoques et de makers écologistes, entre autres, connaissent depuis 2006 un succès public considérable, qui dépasse aujourd’hui largement le cercle restreint des fablabs d’où elles sont issues, et sont organisées partout dans le monde. Même la conception assistée par ordinateur est perçue aujourd’hui comme un artisanat, voire un bricolage, si l’on en croit par exemple les propositions du jeune collectif de designers français « Les arts codés », implantés à Pantin, en région parisienne, dans un espace de co-production2. L’image des designers dessinant derrière leur écran d’ordinateur des modèles de meubles que des robots matérialiseront dans le plastique est en passe de devenir un autre cliché éculé. 5 Plus représentatif, peut-être, des nouveaux centres d’intérêts du design contemporain, le designer Pierre di Sciullo, surtout connu comme graphiste et dessinateur de caractères typographiques, a présenté dans son exposition Typoéticatrac. Les mots pour le faire au Bel Ordinaire à Pau en 2017, des sculptures-machines à activer, bricolées à partir d’objets trouvés dans le bric-à-brac d’une ressourcerie (voir l’image d’ouverture et lire l’article de Francesca Cozzolino dans ce numéro). 6 Un autre exemple est celui de l’artiste et designer Dominique Mathieu, qui dans sa dernière exposition Riposte, qui a eu lieu au centre d’art BBB de Toulouse3, a transformé l’espace d’exposition en espace de production de pancartes pour manifester (fig. 3). Artiste et public sont ici réunis dans une situation de production du social qui fait la Pour une anthropologie de la création Images Re-vues, Hors-série 7 | 2019 3 part belle à des expériences plus anciennes de l’histoire de l’art et du design, comme le projet méconnu Macchina per Cortei d’Enzo Mari ou encore les interventions urbaines de Gianni Pettena4. Fig. 3 Dominique Mathieu, « Riposte ». Vue d’exposition, BBB centre d’art - Toulouse. Curateur Émile Ouroumov, 2019 Photo : Émile Ouroumov 7 Pourquoi les artistes contemporains, les artisan·e·s et les designer·euse·s ont-ils envie de travailler ensemble ? Pourquoi impliquent-ils·elles le public à « faire avec » eux, à transmettre des gestes, à expérimenter des machines ? 8 Telles sont les interrogations qui ont réuni la directrice et le directeur de ce numéro, l’une, anthropologue et issue du domaine de la recherche sur l’art et le design contemporains, l’autre, historien de l’art, développant des recherches sur l’art et l’artisanat, car elles sont communes à l’une comme à l’autre. 9 Or pour y répondre, nous avions plusieurs solutions. Nous pouvions nous placer à bonne distance et constater, avec un surplomb, un aplomb et un dédain de philosophes essentialistes, l’évolution de l’être de l’Art, la contamination du social par le Design, ou au contraire, le retour triomphal de l’Artisanat et de l’Authenticité, si ce n’est, à l’inverse, celui des « Nouvelles Technologies ». 10 Mais nous fréquentons trop les ateliers, nous avons lu trop de sociologie ou d’histoire des théories de l’art, et nous nous méfions trop du caractère autoritaire des mots à majuscule pour aller dans ce sens. Ou bien nous pouvions observer comment ces mélanges entre des pratiques autrefois étanches sont le symptôme d’un changement de société, une société de consommation en crise dont le do it yourself (le bricolage) est devenu l’esthétique et l’éthique ; tandis que, parallèlement, le néolibéralisme surfe sur la vague du craft en finançant grâce à ses fondations privées de l’industrie du luxe les artistes et les designer·euse·s trop content·e·s de recevoir un financement inespéré pour leurs projets. Aussi intéressante, pertinente et justifiée que cette perspective puisse Pour une anthropologie de la création Images Re-vues, Hors-série 7 | 2019 4 apparaître, elle adopte encore un point de vue trop extérieur, à notre avis, eu égard aux pratiques elles-mêmes. Elle risque à tout moment la généralisation à partir de quelques cas judicieusement choisis ou de statistiques imposantes, mais abstraites, tandis que les exemples qui échappent à la logique quantitative ne peuvent apparaître que comme des exceptions qui confirment la règle. 11 Disons que nous avons privilégié une troisième approche, qui rend le mieux compte, selon nous, des pratiques associant l’art ou le design à l’artisanat : une approche ethnographique, mise en œuvre par la plupart des auteur·rice·s du numéro. Il nous a semblé en effet que, tandis qu’artistes et designers se tournaient vers l’artisanat, les ethnologues s’intéressaient de plus en plus aux pratiques créatrices. Cette évolution parallèle signale peut-être que les deux phénomènes sont reliés et que les uns font de plus en plus appel aux autres pour composer des manières de faire qui s’affectent mutuellement. 1. Faire œuvre : une question de recherche pour les études sur la culture matérielle 12 L’analyse des processus de création, manière d’appréhender les œuvres en tant que « produits d’un faire », suscite aujourd’hui un nombre toujours croissant de réflexions et de travaux en sciences sociales, comme en témoignent les récents colloques et programmes de recherche centrés sur ce thème5. 13 Ainsi la question de la descriptibilité des processus artistiques, considéré comme un des lieux de production de sens, est devenue une préoccupation commune à ces chercheur·se·s uploads/s3/ imagesrevues-7208.pdf

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