18 l COLLECT Sophie Whettnall TEXTE : ELIEN HAENTJENS PORTRAIT : GUY KOKKEN Dan

18 l COLLECT Sophie Whettnall TEXTE : ELIEN HAENTJENS PORTRAIT : GUY KOKKEN Dans cette série, COLLECT se penche sur la place des jeunes artistes dans le landerneau de l’art contempo- rain. Pourquoi réalisent-ils leurs œuvres ? D’où vient leur inspiration ? Comment conçoivent-ils leur place dans le monde de l’art ? Cette fois, nous donnons la pa- role à Sophie Whettnall (1973, Bruxelles). P our son exposition rétrospective à La Cen- trale, au cœur de Bruxelles, Sophie Whett- nall a décidé de penser l’impressionnant espace au cœur de cette ancienne centrale électrique comme une grande installation : « Je souhaite rendre à l’architecture brutaliste et au caractère monumental authentique de cette cen- trale électrique l’attention qu’ils méritent. C’est pourquoi j’ai créé, à la mesure de cet espace, trois nouvelles installations qui emmènent le spectateur en balade. Ces œuvres donnent aussi à l’expo son titre : La banquise, la forêt et les étoiles. La banquise est représentée par des glaçons enveloppés dans des couleurs acidulées. Je ne désire pas discourir sur la problématique du climat, mais aborder une thématique qui me touche profondément. Les couleurs acidulées visent à adoucir quelque peu la cruelle réalité et cherchent à la faire accepter. Pour Les étoiles, je me suis inspirée de l’ancienne fonc- tion de la centrale électrique : à l’entrée de l’es- pace, je souhaite apporter au visiteur un sentiment de sécurité, comme dans une sorte de refuge éphé- mère. Une hutte en bambou et en papier d’où, comme en voyage, on peut contempler les étoiles. A l’extrémité de l’espace central, se dresse La forêt, une composition d’écrans en bois qui évoquent une forêt naturelle. En perçant des milliers de pe- tits trous dans les panneaux de bois, au rythme du dessin naturel, la lumière les traverse, comme dans la nature. En dépit d’un résultat poétique, le pro- cessus créatif fut assez brutal. Par ailleurs, je joue avec le contraste entre lumière et ombre, pour renforcer encore le caractère réaliste de l’œuvre. » La nature et le paysage sont des éléments récur- rents dans son œuvre : « C’est pourquoi j’ai invité l’artiste libanaise Etel Adnan (1925). Il y a une dizaine d’années, la découverte de son œuvre à la Galleria Continua m’a immédiatement impres- sionnée. Dans ses peintures colorées et ses textes passionnants, elle exprime parfaitement et très simplement ses idées et ses émotions. » Funambule Dès le début de sa carrière, Sophie Whettnall a œuvré sur plusieurs médias : « Le récit que je souhaite raconter détermine le média. Je désire L’ARTISTE DU MOIS « Mon art se veut proche de la vie ordinaire » me donner la plus grande liberté possible. Outre les installations, l’exposition comprend une série d’œuvres vidéo, mais également une peinture murale et des œuvres sur papier. Pour la première salle, où sera présenté mon triptyque vidéo Les Porteuses (2010), j’ai réalisé une série de sculptures en hommage à l’élégance des femmes africaines qui se rendent au marché tous les matins à l’aube. Je désire les mettre littéralement sur un piédestal, elles et la réalité quotidienne qui est la leur. En même temps, je fais le lien avec Transmission Line (2019), ma toute dernière vidéo, où l’on peut voir ma mère, ma fille et moi-même. Je recherche ce qui se transmet de génération en génération, et la façon dont la génération précédente façonne la suivante. En relevant des phrases à première vue banales, je transforme mon récit personnel en quelque chose d’universel. » Avec ses installations, ses vidéos et ses œuvres sur papier, Sophie Whett- nall ne réalise pas les œuvres les plus évidentes pour le marché de l’art. « Heureusement, avec Mi- chel Rein et Continua, j’ai trouvé des galeries qui me laissent travailler en toute liberté. Mon œuvre se caractérise par le travail de matériaux simples, bon marché, comme le papier, le carton ou le bois industriel. Je trouve fascinant de transformer ces matériaux assez ordinaires en œuvres d’art. En outre, le processus est très important à mes yeux et je réalise beaucoup moi-même à l’atelier, même si de ce fait, la production demeure toujours relati- vement limitée. Pour les grandes galeries, ce n’est pas intéressant. Par ailleurs, il est important pour moi que mon art soit proche de la vie ordinaire. Il ne doit pas demeurer dans une tour d’ivoire. Je souhaite le désacraliser un peu par l’utilisation de ces matériaux. Une société très violente Aujourd’hui, une grande pression pèse sur les épaules des artistes pour reproduire des œuvres qui se vendent bien ou réaliser des œuvres des- tinées au marché. Parfois, en tant qu’artiste, on se sent comme un funambule en quête du bon équilibre. Depuis qu’Albert Baronian m’a pris sous son aile, tout de suite après mes études, j’ai vu le marché de l’art devenir plus complexe et, aujourd’hui, l’art est un produit totalement dif- férent, même si je ne souhaite pas céder à cette évolution et que je veux surtout rester honnête. Certaines pratiques sur le marché sont aussi pour moi une forme de violence, raison pour laquelle je me retire dans mon atelier. Je suis très contente que ma vidéo Shadow Boxing (2004) soit projetée jour et nuit dans la vitrine qui donne rue Sainte- Catherine. Cette vidéo aborde non seulement la relation entre homme et femme, mais aussi toutes les formes de violence dans notre société. Person- nellement, je trouve que nous vivons dans une société très violente : je ne peux plus regarder la télévision et j’éteins la radio au moment du jour- nal parlé. » Dans l’espace d’exposition proprement dit, Sophie Whettnall souhaite resserrer le lien avec le public : « Durant l’exposition, je créerai in situ une peinture murale. Je souhaite de la sorte être disponible pour les visiteurs et apprendre à les connaître, car lorsqu’une œuvre quitte l’atelier, j’ignore généralement ce qu’il en advient ou com- ment elle interagit avec son nouveau milieu. En même temps, cela me sortira un peu de la solitude de l’atelier et le public sera en prise directe avec le geste, la répétition et la matérialité de mon œuvre. Bien que ces dessins naissent de mes tripes, j’ai été agréablement surprise lorsque j’ai découvert, en préparant cette exposition, leur parenté avec les dessins du bois. En dessinant en public, je confère une dimension universelle à quelque chose de très intime. Je souhaite inviter les visiteurs à réfléchir à leur rapport au monde et à la vie. » COLLECT l 19 SOPHIE WHETTNALL ‘‘La banquise, la forêt et les étoiles’’ La Centrale Bruxelles www.centrale.brussels / www.sophiewhettnall.com du 04-04 au 04-08 L’ARTISTE DU MOIS page de gauche Shadow pieces. © de l’artiste ci-contre Détail de la maquette. © photo : Ly- die Nesvadba ci-dessous Vues de la maquette de l’exposition. © photo : Lydie Nesvadba uploads/s3/ collect-sophie-whettnall-april2019-fr.pdf

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