N NO OU UV VE EL LL LE ES S V VU UE ES S revue sur les pratiques et les théorie

N NO OU UV VE EL LL LE ES S V VU UE ES S revue sur les pratiques et les théories du cinéma au Québec N No or rm ma an n M Mc cL La ar re en n : : p pe en ns sé ée e- -c ci in né ém ma a e et t c ci in né ép pl la as st ti iq qu ue e DOMINIQUE CHATEAU Résumé Dans le débat sur la pensée-cinéma, il n’est fait référence explicitement ou implicitement qu’à une certaine sorte de cinéma, narratif ou documentaire. Norman McLaren, par son œuvre singulière comme par son domaine d’exercice, le cinéma d’animation, nous demande de réfléchir différemment sur ce sujet : comment la pensée-cinéma investit-elle ce genre de film où le diégétique régresse, tandis que le filmique même redevient l’enjeu majeur? Comment cette exploration de la définition du médium travaille-t-elle la pensée et comment s’accommode-t-elle d’un privilège accordé à la plasticité filmique? En plus du fort sentiment d’accomplissement que donne l’ensemble de son œuvre, McLaren nous offre l’occasion de renouveler la théorie du cinéma en la pensant autrement. Pour citer, téléchargez ce PDF. L’idée du cinéma qui pense ou de la pensée-cinéma est associée au fait premier du mouvement filmique, de sa dynamique, selon deux grands registres théoriques. Le premier met en avant la coulée du film qui s’apparenterait à celle de la pensée, le second insiste plutôt sur la discontinuité d’images successives qui, se chassant l’une après l’autre, à chaque coup brutaliseraient l’esprit, capteraient l’attention du spectateur en l’empêchant de penser par lui-même. En quelque sorte, le cinéma pense tout seul ou bien le cinéma pense pour nous. Le cinéma qui pense tout seul est élevé sans doute indûment au même rang que la pensée humaine, tandis que le cinéma qui pense pour nous est plutôt suspecté de bloquer la pensée humaine, celle du spectateur. La dynamique visuelle (le son étant, à tort, rarement impliqué dans le débat), d’un côté, activerait le cerveau récepteur, en toute conscience; de l’autre, l’hypnotiserait. L’opposition se retrouve tout aussi ambigument sur le plan de la création comme l’atteste ce savoureux dialogue entre Jean-Luc Godard et Marguerite Duras : il avançait que « c’est le film qui pense. Moi, je n’ai pas à penser. Alors que si j’écris, c’est moi qui ai à penser »; elle rétorqua brutalement : « Ne radote pas. Le film ne pense pas seul. Sans toi, il n’y a pas de film » (Entretien, Texto, émission Océaniques, 28 décembre 1987). Mais surtout, dans ce débat, il n’est fait référence implicitement qu’à une certaine sorte de cinéma : le cinéma fictif-narratif (ou bien documentaire). Si l’analogie du mouvement des images (dans et entre) et du mouvement des concepts est invoquée, ce n’est pas que le premier soit pris en compte en tant que tel, puisqu’il saisit à travers les deux couches qui fondent la croyance en la réalité représentée, c’est-à-dire, comme le précise Christian Metz, « la perception de réalité », le fait que le film contient des indices de réalité au niveau des objets, du mouvement, du temps (objets, corps en mouvement, durée des scènes) et « l’impression de réalité », le fait que le film, documentaire ou Nouvelles vues - Norman McLaren : pensée-cinéma et cinéplastique http://www.nouvellesvues.ulaval.ca/no-17-hiver-2016-cinema-et-ph... 1 sur 15 16-05-05 12:02 fiction, nous donne le sentiment que ce qui est représenté est quelque part une réalité ou une réalité possible (p. 22). Les films concernés par cette théorie ont pour caractéristique de présupposer un système de référence où les individus, les lieux et la temporalité sont déterminés par des postulats constants, autrement dit une diégèse, et c’est un principe d’économie cognitive que la « lecture » des films soit suffisamment garantie par ce référentiel diégétique et son développement dans l’histoire, s’il n’y a évidemment aucun accident au niveau de la perception. Concernant Norman McLaren, comme nombre de cinéastes expérimentaux, il faut penser autrement. De fait, il faut penser autrement la façon dont son cinéma, éventuellement, pense ou participe d’une pensée. La faute en incombe à l’absence de référentiel diégétique global et constant. Il y a, plus ou moins, des bribes diégétiques dans ses films, mais pas le système globalement régulateur d’une diégèse déterminée et complète. Par voie de conséquence, le premier niveau discerné par Metz reprend des couleurs. Il n’est plus la base implicite qu’on oublie pour être essentiellement préoccupé par le développement diégétique, le développement de l’histoire sur la base de la diégèse. Il est à nouveau convoqué; explicitement présentifié, dans chaque film, par-delà le choix qui le caractérise particulièrement — chaque film, en outre, relevant d’un choix presque automatiquement renouvelé; chaque film étant un nouveau défi que l’auteur se donne vis-à-vis de la définition même du cinéma. Comment donc la pensée-cinéma investit-elle cette sorte de film non diégétique et où, en même temps, le filmique redevient un enjeu majeur? Cette quête sans fin de la définition du médium est-elle encore capable de déclencher la pensée, et comment? Jouant essentiellement sur le mécanisme cinématographique, ce cinéma ne relève-t-il pas du traumatisme de la discontinuité? Je réfléchirai à ces questions en ayant à l’esprit l’idée de plasticité, de cinéplastique. Le choix de la forme comme idée du cinéma Le premier registre théorique concerné par cette problématique est celui de la forme, à compter du moment où, à l’instar d’Eisenstein, on considère qu’elle « est déterminée à un niveau très profond et non pas à travers quelque petit “truc” superficiel plus ou moins heureux » (1974, p. 148). Par forme, on n’entend pas ici la notion qui recouvre les phénomènes perceptifs superficiels (Gestalt); par-delà même la structure de l’œuvre, c’est-à-dire la manière dont sont agencés les différents éléments qu’elle mobilise plus ou moins spécifiquement, on entend par forme l’ensemble des choix qu’un auteur effectue dans le réservoir des moyens cinématographiques possibles (un réservoir qu’il renouvelle plus ou moins) en vue d’inscrire sa poïétique dans un cadre de communication déterminé. Au plus profond donc, la forme est le choix du médium, un certain potentiel de matériau et une certaine posture spectatorielle. Pour nombre de films, le choix de la forme est donné d’avance. Il ne fait l’objet d’aucune délibération, d’aucune remise en question; il est socialement programmé. Certains films de cette catégorie introduisent tout juste un écart partiellement distinctif par rapport à la routine — tel le noir et blanc de Manhattan et de The Artist, ou la 3D d’Avatar et de Gravity. Parmi ces sortes d’écarts, certains deviennent un standard, comme ce fut le cas pour la couleur ou comme on le promet à la 3D. Mais il reste qu’une forme globale constitue le système de référence intangible de ces films, la Nouvelles vues - Norman McLaren : pensée-cinéma et cinéplastique http://www.nouvellesvues.ulaval.ca/no-17-hiver-2016-cinema-et-ph... 2 sur 15 16-05-05 12:02 forme-roman : une diégèse bien identifiable, par-delà les postulats les plus improbables qui peuvent la pimenter, et une histoire bien formée, par-delà les tours et les détours plus ou moins complexes du récit. Il existe une catégorie ambiguë à cet égard, celle des films dysnarratifs (selon le terme inventé par Alain Robbe-Grillet); ils s’accrochent encore à la norme, mais comme des parasites; ils visent une cible qu’ils veulent en même temps changer. S’agissant de McLaren, cette cible est abandonnée, remplacée par une autre. Ce n’est pas qu’il n’y ait aucun effet diégétique ou narratif dans ses films, mais la forme-roman, héritée de la littérature et adaptée au format filmique, est écartée au profit d’une forme radicalement autre. D’où, correspondant à ce rejet, une définition négative : cinéma non narratif, anti-narratif, etc. Cependant, on ne crée pas avec des négations purement verbales. S’il y a négativité — « C’est la lacune qui crée » disait Paul Valéry —, non seulement elle doit aussi concerner le matériau de production, mais, du même coup, elle prend substance : choisir tel matériau plutôt que tel autre, c’est parier pour une positivité différente. Le différentiel n’annule pas la positivité, il la travaille. On cherche alors un terme positif : « cinéma d’animation », par exemple — pour prendre le plus courant. On sait qu’il a été choisi, notamment par André Martin, Michel Boschet, Robert Benayoun, etc., contre « dessin animé ». Négatif au départ, désignant des films qui se discernent de la norme Walt Disney, de ses « cartoons » et de son industrie, il devient ensuite l’étiquette d’une définition positive, celle, notamment, d’André Martin dans l’Encyclopaedia Universalis : Le terme d’animation définit toute composition de mouvement visuel procédant d’une succession de phases calculées, réalisées et enregistrées image par image, quel que soit le système de représentation choisi (dessin animé sur celluloïd, marionnette articulée, dessin sur pellicule, animation d’éléments découpés), quel que soit le moyen de reproduction employé (lithographie, photochimie, enregistrement magnétique, traduction en information numérique pour ordinateur), quel que soit enfin le procédé de restitution du mouvement (feuilletoscope, couronne de prismes du Praxinoscope, projecteur cinématographique, magnétoscope, console graphique d’ordinateur). On ne peut manquer d’être frappé par le fait que ce cinéma qu’on croirait étroit, uploads/s3/ norman-mclaren-pensee-cinema-et-cineplastique.pdf

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