MODE EXPOSÉE, MODE PERFORMÉE Marco Pecorari Éditions de Minuit | « Critique » 2

MODE EXPOSÉE, MODE PERFORMÉE Marco Pecorari Éditions de Minuit | « Critique » 2022/6 n° 901 | pages 495 à 507 ISSN 0011-1600 ISBN 9782707347947 DOI 10.3917/criti.901.0495 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-critique-2022-6-page-495.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions de Minuit. © Éditions de Minuit. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Or en dépit de cette présence accrue de la mode dans les musées et les galeries, une réflexion théorique sur la portée des expositions de mode, sur le sens qu’on leur prête, et notamment sur la place qu’y tient la performativité, reste encore à mener – et ce malgré une abondante littérature produite sur les relations de la mode avec les sphères de l’art et du design 1. 1. La réflexion sur le curating comme discipline a émergé à par­ tir de la fin des années 1960 avec, notamment, le travail de Harald Szeemann ; voir son Museum der Obsessionen, Berlin, Merve Verlag, 1981. Voir également, de Hans Ulrich Obrist, A Brief History of Cura­ ting (Zürich / Dijon, JRP Ringier, 2008) et le compte rendu de ce livre par Donatien Grau dans le numéro spécial de Critique « À quoi pense l’art contemporain ? » (n° 759-760, août-septembre 2010, sous la dir. d’Élie During et Laurent Jeanpierre). } Paul O’Neill et Mick Wilson (éd.) Curating Research Londres, Open Editions, 2014, 274 p. Mode exposée, mode performée } Luca Marchetti et Emanuele Quinz (éd.) Dysfashional Barcelone, BOM / Actar, 2007, 148 p. } Julia Petrov Fashion, History, Museums Inventing the Display of Dress Londres et New York, Bloomsbury, 2019, 248 p. © Éditions de Minuit | Téléchargé le 29/06/2022 sur www.cairn.info par via Université de Tours (IP: 94.66.80.14) © Éditions de Minuit | Téléchargé le 29/06/2022 sur www.cairn.info par via Université de Tours (IP: 94.66.80.14) CRITIQUE 496 Comme l’écrivait Paul O’Neill en 2010 : « Les exposi­ tions sont [...] des formes contemporaines de rhétorique, des expressions complexes de persuasion dont les stratégies visent à produire un ensemble prescrit de valeurs et de rela­ tions sociales pour leurs publics 2. » Analysant la proliféra­ tion des expositions d’art et des biennales, il n’entrevoit pas seulement ce que vont devenir le rôle et la responsabilité du commissaire d’exposition en tant que médiateur culturel ; il défend aussi l’idée d’une évolution du curating de son statut de pratique à un statut de producteur de discours au sein du nouvel espace qu’il nomme « néocritique » : L ’ importance prise par le geste curatorial dans les années quatre- vingt-dix a [...] commencé à faire du curating, potentiellement, le point focal des discussions, de la critique et des débats : le rôle du critique (désormais évincé) – c’est-à-dire la tenue d’un discours culturel parallèle – a été usurpé par le curating comme espace néocritique 3. C’est dire en somme que l’exposition et la pratique du cura­ ting, à l’intérieur comme à l’extérieur des musées, sont deve­ nues des « terrains contestés » – l’expression est empruntée à Ivan Karp et Steven D. Lavine – où « des décisions sont prises pour mettre en valeur un élément et en minimiser d’autres, pour affirmer certaines vérités et en ignorer d’autres 4 ». De tels constats, concomitants des nouvelles recherches menées en muséologie, sont indicatifs d’un tournant dans les objectifs des musées comme dans les intentions des curateurs indé­ pendants, les uns et les autres plaidant désormais pour une conception plus politique du montage des expositions, d’une part, et, d’autre part, pour l’émergence d’un champ d’étude et de réflexion autour de la pratique du commissariat 5. Et la mode n’est pas restée à l’écart de cette évolution. 2. P . O’Neill, « The Curatorial Turn : From Practice to Discourse », dans J. Filipovic (éd.), The Biennale Reader, Hatje Cantz, Osfildern, 2010, p. 244 ; traduit par nous. 3. Ibid., p. 1. 4. ��������������������������� ������������� ����������������������� I. Karp et S. D. Lavine, « Introduction : Museums and Multicul­ turalism », Exhibiting Cultures. The Poetics and Politics of Museum Display, Washington et Londres, Smithsonian Institution Press, 1991, p. 1. 5. Ibid., p. 6. © Éditions de Minuit | Téléchargé le 29/06/2022 sur www.cairn.info par via Université de Tours (IP: 94.66.80.14) © Éditions de Minuit | Téléchargé le 29/06/2022 sur www.cairn.info par via Université de Tours (IP: 94.66.80.14) 497 À dire vrai, la réflexion sur le commissariat de mode et sur la présence de la mode dans les musées n’est pas nouvelle. C’est paradoxalement l’absence de musée (ou de département de musée) consacré à la mode, à l’échelle glo­ bale, pendant la majeure partie du XXe siècle, qui a fait naître les premiers débats sur l’ontologie de la mode présentée au musée et sur la définition du fashion curating comme dis­ cipline. Quant à la bataille menée par les conservateurs et collectionneurs pour valoriser la mode dans le cadre muséal, elle s’inscrit dans une quête de légitimation plus large, menée par les actrices et acteurs de la discipline elle-même, pour faire reconnaître la portée culturelle et politique de la mode. Comme le relate Manuela Soldi, en 1909 déjà, la créa­ trice, éducatrice et activiste italienne Rosa Genoni plaidait pour la création d’un musée de la mode qui pût offrir tout à la fois « une histoire ethnique et sociale de nos différentes habitudes vestimentaires et des styles régionaux, une biblio­ graphie pour les travailleurs, une collection patriotique 6 ». Son ambition n’était pas simplement de reconstituer ou reconstruire une collection historique de costumes italiens : elle en appelait à une prise de conscience intellectuelle de la contemporanéité dans l’exposition de la mode, ainsi que de sa portée éducative et culturelle – et ce, dans le contexte par­ ticulier d’une industrie de la mode italienne visant à la fois à redéfinir ses processus créatifs de production et à s’émanci­ per de la « tyrannie » française. Artiste, professeur et théori­ cien de l’art situant son travail dans une tradition marxiste et critique, Dave Beech le souligne : il est essentiel de « se demander quelles sont les relations sociales spécifiques concrétisées par l’exposition, et quelles forces technologiques et matérielles sont déployées dans son fonctionnement 7 ». Replacer les expositions de mode dans le cadre plus large d’une « culture de l’exposition » revient à reconnaître leurs dispositifs comme faisant partie intégrante du capitalisme 6. Rosa Genoni dans M. Soldi, Rosa Genoni. Moda e Politica : Una Prospettiva Femminista fra 800 e 90, Venise, Marsilio Editori, 2019, p. 133. 7. D. Beech, « Redefining the Exhibition », Parse 13.1, printemps 2021. Voir en ligne : https://parsejournal.com/article/redefining-the- exhibition/#post-8285-endnote-2. M O D E E X P O S ÉE , M O D E P E R F O R M ÉE © Éditions de Minuit | Téléchargé le 29/06/2022 sur www.cairn.info par via Université de Tours (IP: 94.66.80.14) © Éditions de Minuit | Téléchargé le 29/06/2022 sur www.cairn.info par via Université de Tours (IP: 94.66.80.14) CRITIQUE 498 occidental 8, tout en interrogeant le paradigme particulier qui est le leur, ainsi que leur fonction performative dans la « fabri­ cation de la mode ». La néerlandaise Mieke Bal, elle aussi artiste (vidéaste) et professeur émérite à l’université d’Ams­ terdam, a pour sa part proposé, dans le sillage d’Austin, l’expression « performativité de la performance » pour mettre en relief la puissance performative propre aux expositions, qui rend celles-ci susceptibles d’influencer notre perspec­ tive culturelle et le regard que nous portons sur le quotidien. Réciproquement et selon un dispositif similaire, expositions de mode et techniques d’expositions fonctionnent comme des indicateurs permettant de jauger la façon dont est pensée et perçue la mode dans nos sociétés contemporaines. En ce sens, on peut dire, paraphrasant Dave Beech, qu’il est en effet crucial de situer l’exposition de mode dans les conditions historiques, géographiques et politiques qui ont présidé à sa formation et à sa popularisation. Paradigmes et langages La présentation d’objets de mode dans les expositions a évolué via différents canons de représentation et selon des modèles scénographiques variés, tant muséologiques que commerciaux. La nature multiforme de la uploads/s3/ mode-exposee-mode-performee-marco-pecorari.pdf

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