1 « La structure de l'âme » de C. G. Jung (Genève, juin 1928) Il n’existe pas,
1 « La structure de l'âme » de C. G. Jung (Genève, juin 1928) Il n’existe pas, à ce jour, de bibliographie exhaustive des publications de Carl Gustav Jung. Non seulement Jung a publié de manière éparse ses écrits, mais il a en outre, au fil des rééditions, fréquemment révisé et transformé le texte initial de nombre de ses articles ou essais. Si bien que l’historien Henri F. Ellenberger a comparé sa bibliographie à un « labyrinthe inextricable » (Ellenberger, 1952, p. 151). 2Avec la mention de quantité de modifications apportées à tel ou tel texte, le volume 19 des Collected Works (Ress, 1979) a constitué une étape majeure de la recension. Néanmoins celui-ci s’avère incomplet [1]. Ont été oubliées dans le dédale des transformations certaines versions antérieures de ses essais qui témoignent de l’aspect, si l’on peut dire, « work in progress » de l’œuvre. Ainsi en est-il de « La structure de l’âme » (Jung, 1928a), une communication prononcée en français le 14 juin 1928 à Genève, devant le Centre permanent de Conférences et de Congrès internationaux de Recherches psychiques. 3Publié dans le numéro de novembre-décembre 1928 de la Revue métapsychique –, ce texte n’a depuis été ni réédité, ni même indexé. Nous sommes heureux de contribuer à sa remise au jour et par là, d’apporter une pierre, francophone, à l’édifice des futures Complete Works annoncées par la Philemon Foundation [2] 4Avant d’aborder succinctement le contexte dans lequel apparaît ce document, son contenu ainsi que quelques-unes de ses spécificités, nous nous proposons de revenir sur les différentes étapes de son élaboration. Généalogie du texte 5« La structure de l’âme » s’origine dans une conférence intitulée « Die Erdbedingtheit der Psyche » que Jung prononce en 1927 devant l’École de Sagesse à Darmstadt. Son texte paraît incessamment dans la revue Der Leuchter, puis dans l’ouvrage Mensch und Erde publié sous la direction du comte Keyserling (Jung, 1927 [1931]). Il subit ensuite une large révision : il en extrait la première moitié qui, intitulée « Die Struktur der Seele », fait l’objet de deux communications et deux publications dans des contextes différents. Une première fois, en février, en allemand, devant l’Osterreichischer Kulturbund à Vienne [3] [3] Jung s’exprimait alors pour la première fois publiquement dans… , suivie d’une publication en deux parties dans l’Europäische Revue du prince Karl Anton Rohan (Jung, 1928b). Puis en juin, en français, devant le Centre de Recherches psychiques de Genève, publiée six mois plus tard à Paris dans la Revue métapsychique. 6« Die Struktur der Seele » sera enfin révisé une dernière fois pour être inséré en 1931, sous sa forme définitive, dans Seelenprobleme den Gegenwart, où réapparait par ailleurs la seconde moitié de « Die Erdbedingtheit der Psyche », sous le titre « Seele und Erde » (Jung, 1931a). C’est cette dernière version que les éditeurs des Collected Works et Gesammelte Werke ont intégrée (C. W. et G. W. 8, § 283-342). Si la question traitée reste la même – à savoir comment rendre compte de l’organisation de la personnalité – les modifications entre la version genevoise qui nous intéresse et la version définitive s’avèrent si importantes que l’on peut considérer les deux textes comme distincts l’un de l’autre [4] [4] Une édition critique rendant précisément compte de toutes les… . C. G. Jung dans les années 1920 7Tandis que la Première Guerre mondiale prend fin, la profonde crise que Jung traverse depuis sa rupture avec Sigmund Freud commence de s’apaiser. Sa « confrontation avec l’inconscient » l’a conduit à redéfinir ses méthodes thérapeutiques en encourageant le développement psychique de l’individu, ou processus d’individuation, par la méthode de l’imagination active. Il s’emploie dans les années 1920 à restituer dans un langage scientifique son expérience personnelle dont il rend compte dans son Livre Rouge (Jung, 2009 [2011]) et à la conceptualiser à l’adresse de ses contemporains (Shamdasani, 2009 [2011], p. 215) [5] [5] Cette thèse est notamment discutée dans le hors série n°8 de la…. 8Désireux de s’éloigner d’une Europe où « l’atmosphère [est] devenue trop irrespirable » (Jaffe, Jung, 1962, p. 432), Jung effectue plusieurs voyages hors d’Occident. En 1920, en Afrique du Nord. En 1924, il visite, à l’occasion d’un séjour aux États-Unis, Taos Pueblo et le Nouveau Mexique. L’année suivante, il séjourne plusieurs semaines chez les Elgonyi dans l’Est africain (Burleson, 2008) ; puis visite la capitale égyptienne. 9Quand il ne parcourt pas le monde, ses activités extramédicales se partagent essentiellement entre la construction de sa tour de Bollingen, l’élaboration de son Livre Rouge et l’étude des écrits gnostiques. Jung se met aussi « à donner beaucoup de petites conférences dans un tas d’endroits, et à écrire des textes plus courts » (extrait des « Protocoles », transcription des entretiens donnés à Aniela Jaffé en vue de la réalisation de ce que l’on appelle son « autobiographie » – cité par Bair, 2007, p. 490). À compter de la deuxième moitié de la décennie, ses interventions publiques se font en effet plus nombreuses, et ses publications plus fréquentes. Il s’éloigne peu à peu de son Liber Novus et cherche à prendre une part plus active à la vie scientifique et intellectuelle de son temps (Gaillard, 2011, et Serina, 2011). En avril 1928, il prend place au sein de l’Allgemeine Artzliche Gessellschaft für Psychotherapie (Société Médicale Générale de Psychothérapie). Il accepte dans le même temps l’invitation à rejoindre le « comité de direction provisoire » dudit Centre permanent de Recherches psychiques de Genève et à venir y prononcer une conférence. « La structure de l’âme » est à considérer comme l’un des « nombreux articles, monographies et conférences [qui] formèrent en quelque sorte le contrepoids [à ses] préoccupations intérieures qui avaient duré des années. Ils contenaient les réponses aux questions qui [lui] avaient été posées par [s]es lecteurs et [s]es malades » (Jaffe, 1962, p. 333). Cette année apparaît même sur le plan éditorial comme l’une des plus prolifiques. Sans compter les révisions apportées à des travaux antérieurs, on compte cette année 1928 une dizaine de publications et conférences. Le mouvement métapsychique et son centre genevois 10Ce centre dédié aux communications sur la recherche psychique voit le jour à l’initiative de l’Institut Métapsychique International – fondation consacrée à l’étude des phénomènes dits paranormaux, créée en 1919 à Paris sous le patronage scientifique du professeur Rocco Santoliquido, du docteur Gustave Geley et du prix Nobel de médecine Charles Richet. L’I.M.I., qui se dote d’une revue bimestrielle – la Revue métapsychique – ambitionne de présenter des travaux d’une rigueur scientifique jamais égalée dans ce domaine (Lachapelle, 2011). 11C’est Charles Richet (1850-1935) qui, présidant la Society for Psychical Research en 1905, parle pour la première fois de « métapsychique » pour désigner cette science nouvelle étudiant « les phénomènes qui paraissent relever d’une intelligence autre que l’intelligence humaine consciente » (Richet, 1905a). Dans son Traité de métapsychique, le physiologiste français définit encore ce domaine d’études comme « une science qui a pour objet des phénomènes, mécaniques ou psychologiques, dus à des forces qui semblent intelligentes ou à des puissances inconnues latentes dans l’intelligence humaine » (Richet, 1922, p. 5) [6] [6] Si ce terme de « métapsychique » peut être considéré comme… . 12Le terme de « métapsychique » n’est pas sans rappeler un autre néologisme qui lui est contemporain, celui de « métapsychologie », inventé par Sigmund Freud. La métapsychique a pu représenter un modèle alternatif d’exploration de l’inconscient, rival de la psychanalyse. Polémiquant de façon quelque peu confuse, Sandor Ferenczi dit à ce propos 2 que « les occultistes aussi ont récupéré ce terme, et s’en servent pour situer leurs observations et leurs théories sur un plan scientifique » (Ferenczi, 1922 [1982], p. 254). Mais Bertrand Méheust note justement qu’en dépit du fait que ces deux notions renvoient à des pratiques et à des théories différentes et indépendantes l’une de l’autre, métapsychique et métapsychologie « ont en commun d’avoir été proposées pour marquer une distance avec la métaphysique traditionnelle, tout en manifestant une sorte de défi par rapport aux acquis de la psychologie classique, de la “science officielle” » (Méheust, 1999, p. 436). 13La création du Centre permanent de Conférences et de Congrès internationaux de Recherches Psychiques de Genève avait été annoncée au printemps 1928 dans un article de la Revue métapsychique (mai-juin 1928, p. 15-18). Outre C. G. Jung, l’I.M.I réunit dans ce comité de direction divers représentants ou amis des « recherches psychiques » du continent européen [7] [7] Citons parmi eux : Charles Baudouin (1893-1963), directeur de… . Tous se sont accordés, nous dit-on, « à reconnaître qu’il est indispensable que les études psychiques soient menées avec les méthodes et la rigueur qui assurent le progrès des autres branches de la science ». Avec cet établissement, les Français aspirent en fait à exercer son hégémonie sur la communauté internationale des « recherches psychiques ». La participation du psychiatre zurichois, qui jouit alors d’une large renommée dans le monde occidental, apparaît à cet égard comme un ralliement de poids pour le mouvement uploads/s3/ la-structure-de-l-x27-ame.pdf
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- Publié le Jul 20, 2021
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