1 INTRODUCTION Une certaine tradition n’a retenu du platonisme qu’une condamnat
1 INTRODUCTION Une certaine tradition n’a retenu du platonisme qu’une condamnation des arts et de la poésie. La réprobation platonicienne de l’art dramatique, notamment, a trouvé un prolongement historique dans l’excommunication des gens de théâtre, encore effective du temps de Molière. Le jugement de Platon paraît choquant du fait de ce qu’a été l’art grec, encore objet d’une admiration universelle. Mais l’intérêt de ce jugement est précisément que Platon parlait en connaissance de cause, non seulement en tant que contemporain de l’art qu’il critique, mais en tant que praticien lui-même de certains arts : il avait assimilé toute la culture littéraire de son temps, mais aussi appris la musique et la danset, et, selon Diogène Laërce, « il s’initia à la peinture, écrivit des poèmes, d’abord des dithyrambes, puis des vers lyriques et des tragédies » (Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, livre III, 5). Il y a là une sorte de contradiction qui amène à s’interroger sur le sens, les raisons, et la portée exacte de la condamnation platonicienne. I. LA CRITIQUE DES ARTS ET DE LA POESIE A. Contexte historique général La fin du Vème siècle est pour Athènes une période de crise politique et culturelle. La jeunesse de Platon se déroule pendant la guerre du Péloponnèse. Athènes perd son hégémonie et sa démocratie est ébranlée par les deux révolutions oligarchiques de 411 et 404. Le point culminant pour Platon est la condamnation de Socrate en 399, pour impiété à l’égard du caractère sacré de la Cité et de l’activité politique. La crise peut être comprise comme la rencontre de plusieurs éléments culturels virtuellement antagonistes : 1- Un fonds culturel ancien essentiellement poétique les poèmes épiques d’Homère (Iliade, Odyssée) – que Platon, dans la République, appelle « l’éducateur de la Grèce »(X, 606e) – et d’Hésiode (Les travaux et les jours, La théogonie) ; les odes et hymnes de Pindare ; la tragédie. La fonction communément attribuée aux poètes était d’instruire. Aussi appelait- on le poète sophos et même sophistès, au sens le plus ancien de ces termes : celui qui sait, l’expert. 2- Depuis le VIème siècle Le monde grec a connu un fort développement scientifique et technique. Platon cite par exemple Thalès, Anacharsis le Scythe (à qui on attribue l’invention de l’ancre et du tour de potier), et Pythagore. L’école de Milet (Anaximandre, Anaximène, Thalès) cherche une explication théorique des observations empiriques. L’école pythagoricienne développe les mathématiques comme science des rapports (logoï) entre quantités. 2 3- À Athènes La démocratie se développe depuis la réforme de Clisthène (509-507), qui institue l’isonomie (égalité des droits pour tous les citoyens). En 461, Périclès fait accorder des indemnités journalières aux membres du Conseil et des tribunaux, et permet aux zeugites, citoyens de troisième classe, d’accéder à l’archontat, électif depuis 683. Ce progrès de la démocratie fait s’accroître l’influence des sophistes, professeurs de rhétorique qui attestent la valeur de leur grand art en se faisant payer très cher. B. L’art est-il un art ? Cette question paradoxale peut résumer l’interrogation de Platon sur les arts. Le sujet de la question désigne ce que nous appelons art, c’est-à-dire les Beaux-Arts et la littérature. C’était déjà le cas chez les Grecs, mais le mot technè avait un sens plus large, englobant toutes les formes de production artisanale, et même des disciplines que nous appelons sciences, par exemple l’arithmétique, ainsi dénommée dans le Gorgias (451a). l’originalité de Platon est de mettre en question l’application déjà courante de ce terme aux activités auxquelles on a fini par le réserver, celles des artistes. 1. Qu’est-ce qu’une technè ? « Orthôs (…) échei to kata tèn technèn gignoménon » (Alcibiade I, 108b) : est correct ce qui est produit conformément à l’art. L’art est ici présenté comme la règle d’une bonne production. Tout art est ordonné à un certain bien, qui est sa fin, et il donne les moyens de le produire efficacement : par exemple, l’art du maître gymnaste lui permet de régler l’entraînement. Ce qui caractrérise une technè, c’est donc essentiellement la connaissance de la règle : c’est elle qui permet à l’homme de l’art de savoir pourquoi il fait ce qu’il fait. L’art peut ainsi être défini comme une production consciente de ses règles, et cela permet de le distinguer d’un simple savoir-faire empirique, issu d’une pratique routinière. Dans le Gorgias, Platon oppose « l’art » qu’est la médecine à « l’empirisme » qu’est la cuisine : la première est capable de dire quel régime convient à tel patient en vue de ce bien qu’est la santé, tandis que la cuisine ne peut fournir aucune explication rationnelle sur la nature de l’alimentation qu’elle fournit. Platon ajoute : « Egô dé technèn ou kalô, ho an êi alogon pragma » (pour ma part, je n’appelle pas art une œuvre dépourvue de raison). De là résulte enfin que la technè peut se transmettre par un enseignement . Aristote le redira : « le signe qui distingue celui qui sait de celui qui ne sait pas, c’est le pouvoir d’enseigner ; aussi pensons-nous que l’art est plus une science que l’expérience » (Méta&physique, A, 1, 981b 7). La compétence de l’homme de l’art se vérifie dans sa capacité de la communiquer : au début du Gorgias, Socrate dit à Gorgias que, si la rhétorique est un art, il doit pouvoir former d’autres orateurs (449a-b). C’est que la technè est précisément un savoir et non pas un simple savoir- faire : une règle rationnelle peut être énoncée et par là-même transmise ; un tour de main ne peut être acquis que par une pratique habituelle, et non pas être reçu de quelqu’un d’autre. Tous ces éléments de l’analyse platonicienne se retrouvent dans la définition aristotélicienne de la technè (Éthique à Nicomaque, VI, 4, où l’art est classé parmi les 3 vertus intellectuelles), elle-même reprise dans la définition scolastique : ars est recta ratio factibilium. Une production dépourvue de règles ne saurait être un art. 2. Qu’est-ce qu’un artiste ? Le mot poïètès ne sert pas seulement à désigner les poètes. Il dénomme quiconque effectue une poïèsis, c’est-à-dire tous les producteurs, artistes on non. Platon veut en fait montrer que les artistes ne sont pas les vrais poètes, ceux qui ont authentiquement droit à ce titre. Pour cela, il examine principalement la poésie sous ses diverses formes, en la comparant d’une part avec la peinture, et d’autre part avec les artisanats utilitaires. Mais la critique vise avant tout les poètes. II. L’ART CHEZ PLATON Platon comme Aristote conçoivent l’art à travers la grille de la mimésis. Platon voit dans l’art l’apparence, Aristote y voit l’apparaître. Platon y voit l’illusionnisme, Aristote y voit une forme épurée du réel. L’art selon Platon et les néoplatoniciens. Platon distingue œuvre d’art et quête du beau. Si les arts définis comme mimésis, souffrent selon Platon d’une infériorité ontologique, à l'inverse, la philosophie qui incarne la beauté a le pouvoir de reconduire aux Idées et à l’Etre véritable. Dans l’Allégorie de la Caverne[1], la lumière de la beauté et de la vérité éclaire les choses réelles, et le rôle du philosophe est de contribuer à ce que nous nous détachions de l’apparence, des ombres de la doxa, pour apercevoir la réalité des choses. Mais, en dehors de son reflet sur les choses on ne voit jamais la lumière elle-même qui est le véritable sens des choses. 1- Le platonisme comme refus de l’esthétisme. Platon récuse ce que nous appellerions, moyennant une dérive sémantique imposée à un terme grec, une conception purement esthétique de la beauté. Une telle conception reviendrait en fait à faire du plaisir le critère du beau, mais les Lois (II, 657c ss, et 667c ss) rappellent que c’est impossible : l’appréciation varierait constamment selon les individus et les âges. Platon admet bien que la beauté est une valeur supérieure, mais elle ne peut l’être que moyennant une définition de la vraie beauté. Or celle-ci nécessite des critères rationnels pour pouvoir échapper à la subjectivité du plaisir. Mais Platon ne trouve pas d’autre critère envisageable que ceux du bien moral. En ce sens, le moralisme apparaît comme une réponse logique au problème esthétique fondamental : distinguer le beau et l’agréable. C’est pourquoi notamment il ne faut pas confondre la beauté poétique et l’agrément causé par les artifices rythmiques et harmoniques de la poésie. Platon met en cause ce que nous appellerions une théorie formaliste de la beauté : la beauté ne peut résider dans la seule forme, en entendant par là les modalités de l’arrangement qui réunit les éléments d’une œuvre. Une beauté seulement formelle n’est qu’apparente ; la beauté véritable consiste bien plutôt dans l’adéquation entre la forme et le contenu – ce sera encore la définition kantienne et hégélienne du beau idéal. 4 2. L’art véritable comme art du vrai Cela va de soi dans l’ordre de la production technique, au sens moderne du terme : elle est fondée sur la connaissance et sanctionnée par les résultats. On récuse les techniciens incompétents. C’est beaucoup moins clair uploads/s3/ la-conception-de-l-x27-art-chez-platon-expose-complet.pdf
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- Publié le Fev 13, 2022
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