L’offrande musicale Libre interprétation en clé de don « Ce que le discours poé
L’offrande musicale Libre interprétation en clé de don « Ce que le discours poétique porte au langage, c’est un monde pré-objectif où nous nous trouvons déjà de naissance, mais aussi dans lequel nous projetons nos possibles les plus propres. Il faut donc ébranler le règne de l’objet, pour laisser être et laisser se dire notre appartenance primordiale à un monde que nous habitons, c’est-à-dire qui, tout à la fois nous précède et reçoit l’empreinte de nos œuvres. » Paul Ricœur [1] La culture est ce par quoi je suis redevable auprès de ceux qui m’en ont fait le legs. Si le mot testament a un sens, c’est bien ici : je dois à tous ceux qui ont contribué à mon éducation la nécessité de faire en sorte qu’à mon tour mon œuvre créatrice soit pour eux l’occasion d’une réjouissance qui les élève à une réflexion qui contribue à devenir à leur tour des donateurs auprès des générations suivantes. Celui qui aime l’art et les choses de l’esprit par-dessus tout, au point où il voudrait s’y consacrer pleinement n’a qu’un seul souci : celui de faire en sorte que ce qu’il crée ou qu’il transmet soit accueilli avec ferveur au-delà d’un habitus de classe qui en restreint la possibilité. L’art est par excellence ce qui se donne et se reçoit pareillement. Quand Cziffra ou Samson François donnaient un concert, ceux-ci avaient leurs aficionados qui ne rataient jamais leur présence au spectacle que ces deux pianistes allaient donner. La première partie des récitals de Cziffra était du Chopin. Mais ce qu’on attendait de lui avec expectative c’était la seconde consacrée à Liszt. Son nom est attaché à ce compositeur. Quant à Samson François, c’était Chopin, Debussy mais surtout le redoutable Scarbo de Ravel. Ce que le public leur rendait, c’était une salve ininterrompue d’applaudissements qui finissaient par la demande d’un bis. Et le maître s’exécutait. L’art est cette activité par laquelle le don, le recevoir et le rendre s’effectue dans un enchaînement continu auquel le beau traversé par l’émotion est l’ouvrier. L’art aspire à ce que Mauss nous a décrit dans son essai sur le don. Toute exécution musicale appelle à une forme de participation active où la conscience de soi jouit unanimement de la joie de la reconnaissance de l’autre de ce qui se joue dans un concert. Et ce qui s’y joue, c’est la participation active que dessert l’artiste. Il y a une sorte d’effervescence comparable à ce que Durkheim décrit dans Les formes élémentaires de la vie religieuse. Le récital est le lieu d’une parole vive où chacun communie avec chacun. C’est une sorte de langage auquel on accorde une universalité du fait que se produit une émotion partagée. L’instrumentiste est le relais d’une parole donnée adressée à un public pour que la promesse de leur échange débouche sur une réception amoureuse des uns et des autres. Un public qui forme pour un temps donné une communauté sensuelle Car il y a toujours plus dans une exécution musicale. Il y a une commutativité immédiate entre celui qui donne et celui qui reçoit et c’est bien pourquoi un récital a les allures d’une « messe » où quelque part se phénoménalise une forme de Sacré. On y écoute une interprétation dont on attend qu’elle vous délivre d’une sorte d’émerveillement qui nous ravit au point que le rendre se constitue par cet acte même où l’au-delà de l’ordinaire se manifeste dans la proximité entre l’artiste et son public. L’artiste est une sorte d’intercesseur entre un public subjugué par une interprétation qui le surprend et ce qui ressort d’une présence sacrée dont la présence se devine au point où les silences de Schubert nous en approchent. Les notes renvoient vers des points d’orgue suspensifs pour qu’on y décèle une interrogation que l’interprète veut diriger dans un sens où l’écoute se fait plus intense, comme s’il s’adressait non pas tant à son public qu’à des forces qui l’assurent de ses intentions. Le concertiste tout à la fois l’ascèse que la possession Jouer, c’est s’engager dans un processus qui donne une ouverture autre que la sienne. C’est une sorte de possession que l’on délivre à un public dont l’hypnotique deuxième mouvement de la dernière sonate pour piano de Schubert est la parfaite concrétisation. Le temps d’un concert est ou devrait être un moment particulier où « quelque chose » devient tangible qui, pendant un temps, vous écarte de la vie ordinaire. En Suisse, le public a toujours avec lui les partitions du récital donné car il ne saurait être convaincu par la seule virtuosité de l’instrumentiste. Telle était l’éthique de Glenn Gould : ne pas faire en sorte d’être corrompu par une virtuosité facile qui altère profondément le sens de l’œuvre jouée. Si l’instrumentiste donne sa vision de telle ou telle œuvre, il lui faut oublier les effets que sa technique lui permet afin que quelque chose se passe. C’est pourquoi Arturo Benedetti Michelangeli se refusait à faire concert sur concert. Il cherchait à privilégier des moments rares dans le sillage du au respect des compositeurs qui étaient à son répertoire. On pourrait aussi citer Dinu Lipatti dont le perfectionnisme n’avait d’égal que sa modestie lequel pour notre plus grand malheur décéda à 33 ans. La femme du pianiste allemand Artur Schnabel racontait que quand Lipatti finissait de jouer du Bach, son mari lui prenait la main pour l’embrasser. Donner le meilleur de soi L’obligation de donner chez un interprète se conjugue avec l’obligation de donner le meilleur de soi, comme si l’artiste était en situation de dette vis-à-vis de son public ou plus encore envers le compositeur. L’artiste sait cette exigence. Aussi le don prend la forme d’un sacrifice des effets faciles car il se doit à son public, à l’idée de son interprétation. Le public ne soupçonne pas ce qui constitue la vie de l’artiste et de ses exigences. Que le don soit tout à la fois don et sacrifice pour que ce soit l’œuvre qui soit jouée dans l’économie qui soit la sienne, et non pas à partir de la subjectivité d’un virtuose qui cherche l’effet constitue la première des nécessités requises. Il faut préciser ici qu’il existe deux écoles : l’une qui se refuse aux élans imaginatifs de l’interprète, à savoir l’école objectiviste qui se plie aux seules indications de la partition, et l’école qui fait de la sensibilité immédiate du concert l’occasion de briller surchargeant entre autres exemples l’œuvre de Chopin en rubato inutiles. Cette seconde école n’est pas la mienne, on l’aura compris. S’en tenir à la partition est bien suffisant car on y touche plus l’essentiel qu’une interprétation virtuose qui passe à côté du don du compositeur que l’on doit transmettre dans le plus grand respect du aux créateurs. C’est pour l’interprète une façon de rendre hommage à l’auteur et s’en tenir à la vérité sinon il y a tout lieu de parler de sacrilège. L’interprète est soumis à une obligation : donner ce que la tradition lui a donné et rendre ce que ses maîtres lui ont transmis. L’interprète se doit à une forme d’ascèse qui l’engage comme s’il s’agissait d’un acte moral. C’est que ses visées sont élevées car il doit rendre public la hauteur de ses exigences. C’est ainsi que l’on peut dire que Richter interprète les miroirs de Ravel ou les dernières octaves de la première ballade de Chopin comme s’il jouait du Liszt. Ceci ne devrait pas être admis et mon professeur ne manquait pas de me le faire remarquer dans Chopin. C’est par le respect de l’objectivité qu’un interprète peut rendre tangible la présence des réelles intentions du créateur. Si le public ne saisit pas la différence, l’interprète, lui, le sait. Aussi a-t-il la nécessité de rendre ce qui lui fut transmis par son éducation musicale bien qu’il puisse par son imagination créatrice apporter une forme d’originalité contrôlée. Mais il doit en connaître la limite et la respecter. Interpréter comme si le public était constitué par les compositeurs que l’on joue Ne pas jouer pour faire impression mais pour convier à un rapprochement envers un dénuement interprétatif et ce qui se dégage par une forme minimaliste assurément plus proche d’un sentiment où le Sacré a plus de chance de se manifester. L’artiste doit donc se donner avec les exigences qui sont les siennes tout en ayant à l’esprit l’obligation de rendre au plus près d’une intellection la plus adéquate quant à son idée de l’œuvre. La réception par le public ou la critique lui importe moins que son examen de conscience. Ce qu’il veut après la fin de son concert c’est pouvoir dire son contentement ou non de l’interprétation qu’il nous a donnée. Tel était ce qui animait Gould au point où il arrêta sa carrière à 32 ans pour se consacrer uniquement à son studio d’enregistrement où il pouvait sertir ce qu’il pratiquait par ses enregistrements comme s’il s’agissait de diamants à tailler et préciser la forme. C’est ainsi que pour les variations Goldberg, celui-ci fit une trentaine de prises uploads/s3/ l-x27-offrande-musicalz.pdf
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- Publié le Aoû 28, 2022
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