La culture : enjeu de développement pour l'Afrique Depuis dix ans, les biennale
La culture : enjeu de développement pour l'Afrique Depuis dix ans, les biennales et les festivals internationaux se multiplient à travers l'Afrique, témoignant du dynamisme croissant du secteur culturel. Mais que représentent ces manifestations ? Que révèlent leurs stratégies de promotion et de valorisation ? Sont-elles à même de participer au développement durable du continent ? Le secteur de la culture apparaît aujourd'hui comme le lieu de nouveaux enjeux. Enjeux culturels liés à la préservation de la diversité, face à la menace d'une mondialisation perçue comme facteur potentiel d'uniformisation. Enjeux également économiques qui placent les créateurs africains dans une position de conquête de marchés. À travers le monde, l'œuvre d'art est considérée tant pour sa fonction symbolique qu'économique. Partout se posent les questions liées à sa valorisation, sa diffusion ainsi qu'à sa contribution économique et sociale. Aussi, différentes stratégies sont initiées sur le continent africain. Elles ont pour but de favoriser la reconnaissance et la promotion des biens culturels autant que le développement d'industries dans ce secteur. Ces stratégies opèrent, tout d'abord, au plan local en favorisant le développement d'un marché de l'art en Afrique. Elles prennent aussi une dimension internationale puisqu'elles permettent une large diffusion de produits culturels notamment à travers l'organisation d'événements spécifiques et de plates-formes de rencontres entre créateurs et professionnels du monde de l'art. Qui délivre "les permis de circulation internationale" ? Le manque de reconnaissance et de légitimation de la création artistique du continent noir reste un obstacle majeur à sa diffusion internationale. La création africaine subit la pression d'une forme de domination artistique exercée par un Occident pourvoyeur de légitimité sur le marché de l'art. Les différences entre artistes ne sont pas perçues alors comme l'expression d'une originalité créatrice ou de la diversité. Les créations africaines sont encore souvent enfermées dans des stéréotypes qui les confinent dans des formes primitives. Dans le domaine des arts visuels, certains professionnels ont tendance à les réduire ou à les lier uniquement aux masques et aux sculptures, également appelés "arts premiers". Cette situation est sans doute à mettre en relation avec une conception passéiste, voire condescendante à l'égard des civilisations africaines. Elle est peut-être également le fait d'une méconnaissance des travaux des artistes africains contemporains ou pis, une volonté d'enfermer un art qui ne serait pas occidental. Si l'on se réfère au sociologue Alain Quemin, il existe un gouffre entre l'universalité à laquelle prétend l'art contemporain et sa concentration entre les mains d'une poignée de pays (1). Il note que le centre, tout en refusant d'avouer cette "structure inégale", délivre des "permis de circulation internationale" d'abord à ses ressortissants puis à ceux qui acceptent son pouvoir consécrateur. À ce propos, Jean-Hubert Martin, commissaire de la biennale de Lyon, Partage d'exotismes, en 2000, appelait déjà à des changements profonds. Il est impératif, disait-il, "que ceux qui créent en dehors de nos circuits […] trouvent dans les circuits valorisants de l'Occident si puissant, une reconnaissance de leur valeur intrinsèque". Le marché de l'art africain dépend-il uniquement des réseaux occidentaux ? Si l'on se réfère à Howard Becker, la production, la diffusion, la consommation, l'homologation esthétique et l'évaluation des œuvres mobilisent des acteurs sociaux appelés à coopérer, selon des procédures conventionnelles, au sein de réseaux professionnels, qu'il désigne par cette expression "les Mondes de l'Art" (2). Regroupant des institutions et des agents qui médiatisent le rapport créateur-marché (....) 2. La conception de l'art africain en Occident « L'art nègre? Connais pas! » a dit Pablo Picasso en 1920. En effet, peut-on parler d'un art africain? Ou bien, existe-t-il un art du continent noir? Cette question, vieille de plusieurs décennies, a fait l'objet de débats dans les salons d'Art, dans les milieux intellectuels en Europe depuis presque un siècle. C'est le débat entre « esthètes » et « ethnologues ». En effet, les oeuvres du continent africain étaient reléguées au second rang, en les qualifiant de grossières ou de magiques. En 1898, la Grande Encyclopédie affirmait que « Chez les Nègres qui paraissent pourtant, comme toutes les races de l'Afrique centrale et méridionale, fort arriérés pour ce qui est affaire d'Art, on trouve des idoles représentant des hommes et reproduisant avec une grotesque fidélité les caractères de la race nègre »9(*). Cette attitude, des académistes eurocentristes, s'explique pour une raison qui est double : le manque de documents écrits qui pouvaient permettre une étude, en est la première, la deuxième trouve son fondement dans l'esclavage et la colonisation. Ces moments de l'histoire ont vite fait pour considérer les Noirs comme des sous-hommes. Au point où, Jean Laude pense qu'« une idéologie orienta l'image que se fit l'Europe des civilisations africaines : elle plongeait ses racines dans des mythes qui s'étaient élaborés au Moyen Age et qui voyaient dans le Continent Noir le Royaume des Idolâtres, le Royaume oublié de Dieu. L'Afrique, c'était bien, en effet, un monde à convertir, d'autant plus qu'on y avait depuis toujours situé le mystérieux royaume chrétien du Prêtre Jean, dont on recherchait l'alliance pour combattre les Infidèles et que les Portugais croiront découvrir, au début du XVIè siècle, en Ethiopie »10(*). C'est donc dire que l'histoire (l'esclavage et le colonialisme) a eu des retentissements graves sur le regard que l'Europe aura des civilisations de l'Afrique. Tout le destin, de ces civilisations et de ces arts, devrait ainsi subir une terrifiante influence. Par la suite, les européens jugeront le progrès de tout peuple suivant une voie unique et continue. En ce sens, le niveau de civilisation était déterminé par les progrès techniques du peuple auquel cette civilisation appartient. La culture européenne est la culture par excellence. Les civilisations n'appartenant pas à l'Europe suivent une classification dont leur niveau de technicité est le déterminant principal. En conséquence, l'infériorité technique d'un peuple impliquait son infériorité artistique. La peinture est conçue comme le premier des arts, et les Nègres qui, eux, ne se limitent qu'à la sculpture sont, par ricochet, des artistes inférieurs. En 1846, Charles Baudelaire écrit que : « la sculpture est un art des Caraïbes »11(*). L'année précédente, le muséographe Jomard affirmait que : « La peinture est l'art des peuples déjà avancés en civilisation »12(*). Ces propos, il faut le dire, ont manqué d'analyse assez profonde, car la Grèce antique a dû son prestige à sa sculpture plutôt qu'à sa peinture qu'on ne connaît pas. Nous les reprenons dans notre travail pour expliquer toutes les considérations dont l'art africain a été l'objet tout au long de l'histoire. C'est pourquoi d'ailleurs, des voix s'élevèrent contre le déterminisme mécaniste, c'est le cas de R. Andree, d'A. Riegl et de J. Lange. En 1885, R. Andree écrivait que : « Les peuples situés à un degré inférieur de culture peuvent avoir atteint un degré relativement élevé dans le domaine de l'art, [...] il n'apparaît pas toujours comme l'état le plus haut dans l'évolution d'un peuple»13(*). A partir de 1840, il y a une affluence matérielle en Europe qui vient enrichir les différents groupes qui ont vu le jour avec les anciens cabinets de curiosité. Les européens vont s'intéresser à l'art des sauvages. A. Bastian déclarait : « Avant tout, achetons en masse, pour les sauver de la destruction, les produits de la civilisation des sauvages et accumulons-les dans nos Musées »14(*). Ainsi, les oeuvres furent rassemblées pour faciliter leur étude, leur connaissance par tout le monde qui pouvait avoir affaire en Afrique. Ce fut le début d'une prédilection très manifeste aux description et observation qui sont faites de l'art nègre. C'est pour cette raison, qu'à partir de 1906, des peintres furent attirés par cet art. Les expressionnistes allemands (du groupe Die Brück ) et bien d'autres peintres eurent un autre regard de la sculpture africaine, et ne la considèrent plus comme primitive. Avant 1914, les oeuvres nègres se côtoient avec des peintures modernes dans toutes les collections : On trouvait, dans la collection Stchoukhine, quelques bronzes du Bénin. En France, Paul Guillaume, Frank Havilland, Félix Fénéon, André Level détenaient de belles pièces. On vit une euphorie de l'art nègre : le jazz, les ballets nègres, Joséphine Baker15(*), etc. sont des événements parmi d'autres qui finissent par faire changer progressivement la conscience publique. Et en 1931, l'Exposition coloniale de Vincennes, à Paris, éleva cette négrophilie, disait-on alors. La conséquence immédiate en fut sans doute, le vote à l'Assemblée Nationale Française, des crédits qui vont financer la Mission Dakar-Djibouti (1931-1933)16(*). Au regard de tout ce qui précède, on peut dire que le débat sur l'art africain est dépassé, à tout point de vue. L'art nègre a été l'objet d'admiration, de peintres, artistes et autres à travers le monde. Et Léopold Sédar Senghor de dire : « Je me rappelle encore Pablo Picasso me conduisant amicalement à la porte, comme je prenais congé de lui, et me disant, les yeux dans les yeux : « Il nous faut rester des sauvages ». Et moi de répondre : « Il nous faut rester des nègres ». Et il éclate de rire. C'est que nous nous étions compris. En effet, les artistes de Paris l'ont uploads/s3/ l-x27-art-africain.pdf
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- Publié le Nov 19, 2021
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