Si Andy Warhol est sans conteste l’artiste américain le plus représentatif du P

Si Andy Warhol est sans conteste l’artiste américain le plus représentatif du Pop Art, le sens de sa production demeure pourtant obscur. Comme d’autres artistes Pop, il débute sa vie professionnelle comme publicitaire et ne se découvre une ambition artistique qu’en 1960, à la suite d’une exposition de Robert Rauschenberg. Il se lance alors dans la peinture et commence à réaliser des œuvres proches de l’expressionnisme abstrait pour finalement questionner la société de consommation. Sa première œuvre est une suite de trente-deux boîtes de soupe Campbell ouvrant la voie à son travail de démultiplication des objets. Dans cette logique, il réalise ensuite toute une série de portraits popularisée par les mass media, avant de s’en éloigner au milieu des années 1960. Pourtant, à partir de 1970, il revient à ces portraits en utilisant le procédé de sérigraphie photographique pour fabriquer de nombreuses reproductions à partir de la même image. Ce travail lui permet de brouiller les frontières entre art et industrie en démultipliant bon nombre d’images y compris celles issues du monde de l’art comme sa série sur La Joconde. Dans la même veine, il reprend un portrait officiel de Mao, alors Président de la République Populaire de Chine. Dans la société américaine des années 1970, représenter le Président Mao, c’est montrer l’ennemi. Mais en 1972, c’est surtout reproduire la rencontre entre Mao et Nixon (président des Etats-Unis de 1969 à 1974). Nixon lui-même a évoqué cet évènement comme « la semaine qui a changé le monde ». Dès lors, rien d’étonnant à ce que les artistes se saisissent de cet évènement pour le questionner. Par exemple, lors des préparatifs du voyage présidentiel, Roy Lichtenstein réalise un portrait de Mao en suivant sa stratégie des points Benday. Il associe alors le visage de Mao Zedong à une ampoule électrique. Andy Warhol, quant à lui, choisit de reprendre un portrait officiel de Mao pour le démultiplier. L’évènement politique est donc résumé à la seule personne de Mao et occulte alors totalement le rôle de Nixon. Warhol choisit une photographie déjà célèbre. Par exemple, Marylin Monroe s’est faite photographier par Philippe Halsman en 1952, déguisée en Mao. Le travail de Warhol ne se limite cependant pas à la sélection de l’image, il se poursuit par l’adjonction de couleurs et sa multiplication. Ses deux étapes se retrouvent dans le processus même de la sérigraphie, qui vise à utiliser à jouer sur les couleurs lors des tirages successifs. Ce procédé lui permet de créer des œuvres en série ce qui met à mal la création artistique en déstabilisant la notion d’authenticité. Pour beaucoup, l’authenticité d’une œuvre se juge à sa rareté, c’est-à-dire au fait qu’elle soit originale et unique. Le travail d’Andy Warhol fonctionne par série : chaque œuvre dispose d’une multitude de tirages plus ou moins similaires, ce qui remet en cause toute sa valeur. Cependant, chaque multiple tiré dispose de ses propres caractéristiques : Andy Warhol joue à chaque fois avec les couleurs dont il dispose. L’adjonction des couleurs se fait de manière aléatoire garantissant aux multiples une certaine originalité, malgré une même trame de fond. De multiples formats étaient par ailleurs disponibles à la vente, du simple portrait de bureau au démesuré portrait de hall présidentiel. Taille et couleur, « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins », comme l’explique Karl Marx dans sa Critique du programme de Gotha ! Taille et couleur lui donne également l’occasion de questionner le « multiple unique » : chaque œuvre de la série devient individuelle par le processus mécanique qui l’élabore. La couleur joue donc un rôle fondamental dans le questionnement artistique de la série. Outre rendre unique chaque œuvre, elle ajoute la présence de l’artiste et dynamise le multiple. Sans couleur, le portrait est sans relief, plat et sans mouvement, comme un motif de « papier peint » L’harmonie des couleurs induit les analyses que l’on peut donner à chacune des œuvres. Par exemple, lorsque Warhol ajoute du rouge sur les lèvres de Mao, il est possible de questionner la féminisation de Mao. La couleur s’oppose à la froideur et à la neutralité de l’image et remet en question le sérieux du personnage. Elle rend la représentation absurde, questionne l’apparence des gens et rappelle les recherches menées sur le travestissement par Warhol. Toutes ces interrogations se retrouvent dans la plupart des séries de portrait mondain. Tout le monde est mis sur le même pied d’égalité : Elvis Presley, Marylin Monroe, Leo Castelli, La Joconde, Lénine ou encore Mao. Mais si Marylin ou Elvis symbolisent la « bonne » société américaine et une vision « positive » du monde, Lénine et Mao représentent au contraire le péril communiste. Son œuvre semble se limiter a un constat sur la société et sur ses aspirations. Contrairement aux Nouveaux-Réalistes, qui cherche à transformer la façon dont le spectateur peut appréhender le monde, les travaux de Warhol ne cherche qu’à l’enregistrer, à l’archiver. Ainsi, en reprenant ses portraits officiels, il enregistre un événement historique. Warhol cherche finalement à démultiplier l’image pour interroger les modes de consommation de la société de masse. Tout le travail de l’artiste est alors organisé comme une industrie de consommation, avec dans son atelier une exploitation en trois temps : « travail – production – marketing ». Les modes de fabrication de l’œuvre sont donc ceux utilisés par les entreprises américaines capitalistes. Ironie de l’œuvre, Warhol reproduit via un mode capitaliste de production une figure communiste. Il va même plus loin en représentant le dirigeant communiste avec tous les attributs qu’un collectionneur capitaliste méprise : la multiplicité, la délégation de la création, la mise à mal de la sincérité de l’artiste et même un symbole communiste. Il propose alors aux collectionneurs d’art de consommer les symboles communistes qu’ils avaient en horreur. Il questionne la vente de l’imagerie communiste, comme il le fait également pour les œuvres religieuses. Il semble apporter une critique du collectionneur et du système, tout en sachant paradoxalement qu’il ne peut se passer d’eux pour légitimer son œuvre. L’exploit est accompli en 2006, lorsqu’un collectionneur s’octroie un Mao chez Christie’s New York pour la modique somme de 17,3 millions de dollars ! uploads/s3/ expose-art-plastique 1 .pdf

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