Circuit Document généré le 2 août 2017 16:45 Circuit Phrases musicales : La mus
Circuit Document généré le 2 août 2017 16:45 Circuit Phrases musicales : La musique dans la philosophie de Wittgenstein Antonia Soulez Le génome musical Volume 17, numéro 1, 2007 URI : id.erudit.org/iderudit/016772ar DOI : 10.7202/016772ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l’Université de Montréal ISSN 1183-1693 (imprimé) 1488-9692 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Antonia Soulez "Phrases musicales : La musique dans la philosophie de Wittgenstein ." Circuit 171 (2007): 27–47. DOI : 10.7202/016772ar Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 2007 1. Introduction Wittgenstein accorde à la musique une place prépondérante. On pourrait dire qu’avec lui, dans sa philosophie, la musique est partout, explicitement, impli- citement. Elle habite son écriture, sa philosophie comme elle a habité sa vie dans l’intimité mais aussi dans les cercles plus éloignés de sa vie privée, à com- mencer par ceux qui se formaient autour de sa propre famille qui débordaient évidemment le cadre étroitement familial1. Certains parlent à son propos d’une philosophie musicale. La musique qu’il aimait, du répertoire romantique, mais aussi la musique dont il ne parle pas, celle de ses contemporains de l’École de Vienne, et encore la musique qu’il déclare ne pas aimer, notamment Mahler, toutes ces musiques, tous ces styles sont présents dans son œuvre par un mode de présence qui même négatif ne laisse pas de frapper, d’impressionner le lec- teur, et n’est en tout cas jamais anodin. Lui-même clarinettiste, il pratiquait la musique. Il pouvait lors d’un concert de musique de chambre faire part de son interprétation et montrer comment il fallait jouer telle partie, en prenant en quelque sorte virtuellement la baguette du chef d’orchestre. Le jeu d’exécution avait à ses yeux une importance très spéciale et peut-être ne serait-il pas exagéré d’y voir contenue toute une philosophie de l’interprétation associée au geste et à la physionomie de celui qui comprend et manifeste sa compréhension d’une manière qui fait partie du jeu en question, et où par conséquent comprendre et produire une compréhension comme on exécute une pièce musicale sont absolument solidaires. 1. Voir à ce sujet la correspondance entre Wittgenstein et Rudolph Koder (Wittgenstein et Koder, 2002), qui contient également deux essais par Martin Alber sur les aspects musicaux de la vie et l’œuvre de Wittgenstein. 27 antonia soulez Phrases musicales La musique dans la philosophie de Wittgenstein Antonia Soulez Les philosophes qui se penchent sur l’importance que la musique repré- sente aux yeux de Wittgenstein distinguent en général deux fonctions : la fonc- tion de modèle ou paradigme dans le Tractatus logico-philosophicus. C’est pour définir celle-ci par rapport à la méthode de projection que Wittgenstein invoque la musique dans une série de propositions. Cette approche projective est cen- trale dans la méthode de Wittgenstein. Traduite dans les termes de l’architec- ture, elle a pu inspirer Thomas Bernhard dans son roman Corrections, mais également nombre de travaux sur les rapports entre la maison que Wittgenstein a construite pour sa sœur Margarete à Vienne dans les années 1920 et l’archi- tecture logique de son traité. Sous cet aspect architecturologique, la musique tombe en effet aisément sous le genre des arts constructifs. La seconde fonction est celle de l’analogie pour saisir comment on com- prend une phrase dans la philosophie seconde. Le rôle que joue le paradigme de l’œuvre d’art, notamment la musique, dans le cadre de la sémantique de la phrase retient en particulier l’attention. Au regard de la question du sens, de sa complétude, du raffinement de la forme et de son caractère structuralement achevé, le paradigme de la musique associé à celui de l’architecture quand il s’agit d’apprécier l’expressivité de la forme, ou de juger du caractère «ajusté» des formes d’un bâtiment à l’objectif qu’il sert, joue à différents niveaux qui méritent d’être examinés. Par ailleurs, je vois quant à moi une troisième fonction généralement pas- sée sous silence, soit parce que la dernière philosophie n’est pas encore bien connue, soit parce que les connaisseurs n’y voient le plus souvent rien d’artis- tique. C’est la philosophie des aspects. La musique remplit à cet égard, selon moi, la fonction d’un paradigme de résonance qui d’ailleurs n’est pas complè- tement sans précédent. Elle réactive d’après moi des éléments d’une tradition axée sur les qualités secondes, les qualia, reprise en compte dans l’approche psycho-physiologique, par exemple celle de Helmholtz, et qui refait surface dans la Structure de l’apparence de Goodman. Sous l’angle des qualia, en effet, la musique est interpellée sur le plan de la réception esthétique de l’auditeur apte, dit Wittgenstein, à exprimer ce qu’il comprend et à le jouer de façon cor- respondante. Les connexions avec les développements sur l’harmonie méritent également toute l’attention. Il faudrait pour les saisir une investigation à plusieurs registres nouant ensemble quoique distinctement théories des formes d’audi- tion, jeux de langage conceptuels afférant à la psychologie de l’audition et de la compréhension de ce qui est entendu, et approches scientifiques de phéno - mènes psycho-physiologiques et acoustiques. Les correspondances sémantiques entre ces trois registres sont nombreuses et significatives. Elles dessinent des configurations propices à des réflexions théoriques croisées : les compositeurs se 28 circuit volume 17 numéro 1 font philosophes, les philosophes discutent les thèses scientifiques, les scienti- fiques s’adressent aux artistes aussi. La raison à cela est l’inscription parfois reven- diquée, parfois bafouée de la musique dans l’histoire de la rationalité du xxe siècle. Les discussions et prises de position tournent alors autour du formel, de l’informel, de la sérialité, du retour au matériau, ou au contraire de sa féti- chisation. Les philosophes se veulent philosophes de la «nouvelle musique» comme Theodor Adorno, créant ainsi une tradition dont on n’a pas fini de mesurer la portée, encore aujourd’hui. Pierre Boulez lui-même ne s’est-il pas présenté dans ses débuts comme le continuateur d’une sorte de Bauhaus en faveur d’un formalisme postsériel répondant en somme à une philosophie de la musique héritière non seulement du mouvement analytique viennois en musique mais aussi de celui de l’empirisme logique transmis en France par son médiateur, ami de Moritz Schlick, Louis Rougier2? Une place doit être encore faite aux réflexions du musicologue allemand Carl Dahlhaus en particulier sur le thème crucial de l’autonomie de la musique dite «absolue», sa filiation et son héritage auquel la philosophie de Wittgenstein n’est pas étrangère si l’on prend en compte la tonalité schopenhauerienne de son Tractatus, mais aussi le lègue romantique de l’autosuffisance du musical pur transmis à l’École de Schoenberg par Eduard Hanslick et son «formalisme» en musique. Enfin, la manière dont Wittgenstein «pense la musique et la société (ou la Culture)» mérite aussi d’être rapprochée de celle d’Adorno autant que contrastée avec elle dans la mesure où le rapport de la société à la musique est celui d’une réflexivité critique dont le négativisme dialectique ne rencontre aucun écho chez Wittgenstein. Enfin, l’immanentisme grammatical wittgensteinien auquel nous ramène sa philoso- phie de la psychologie oblige à reconsidérer la conception d’une «grammaire de l’harmonie» au sein de l’harmonie, les lois qui structurent de l’intérieur, et non en surplomb, le son et la construction de ses séquences de timbres, à l’écart de toute «méta-harmonie» chez Wittgenstein en comparaison avec l’harmonie sonore étendue à l’atonalité chez Schoenberg, et cela indépendamment de l’aller gie de Wittgenstein à cette dernière sur le plan du goût. Enfin, dans la mesure où la question nous plonge en pleine analogie et peut-être nous y laisse, que penser de la référence à la musique? Quel est exac- tement le statut de ce paradigme dont le fonctionnement ne doit jamais être que partiel? Et quelle relation d’expression possible nous réserve-t-il, lui qui est d’ordinaire tenu pour vecteur d’indicible, face au problème, délicat entre tous, de l’ineffabilité? S’il est vrai que l’œuvre d’art donne accès à ce qui se trouve de l’autre côté du dicible, quelle en est au juste l’énigmatique place dans une philosophie du langage qui évalue le sens du langage comme celui d’une phrase musicale à l’aune d’un critère d’articulation? N’est-il pas trop facile de 2. Voir par exemple Boulez (1963, p. 29), où le mot de «structure » réfère à Louis Rougier, médiateur du Cercle de Vienne en France dans les années 1930. 29 antonia soulez faire de l’ineffable le vrai refuge de l’art? À ce point, la dimension aspectuelle de la musique, la troisième, révèle sa richesse. On peut en effet penser, en s’at- tachant à l’aspect que bien que l’art manifeste par sa présence l’ineffabilité par excellence de ce qui échappe au langage humain, il y a bel et bien place pour une forme d’expressionnisme esthétique lié à la possibilité uploads/s3/ antonia-soulez-phrases-musicales-la-musique-dans-la-philosophie-de-wittgenstein.pdf
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- Publié le Jui 01, 2021
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