Jusqu’au bout de l’ennui Maxime Petit Mémoire de recherche ● Session 2020 DSAA
Jusqu’au bout de l’ennui Maxime Petit Mémoire de recherche ● Session 2020 DSAA Design Graphique & Narration Multimédia Sous la direction de Delphine Gauly & Anne Mortal L’ennui numérique Jusqu’au bout de l’ennui Maxime Petit Mémoire de recherche - Session 2020 DSAA Design Graphique & Narration Multimédia Sous la direction de Delphine Gauly & Anne Mortal L’ennui numérique 5 Remerciements Je remercie Delphine Gauly et Anne Mortal, les tutrices de ce mémoire, pour leur encadrement et leurs conseils. Je remercie également Alexia De Oliveira Gomes et Boris Du Boullay, ainsi que le reste de l’équipe pédagogique du DSAA pour leur disponibilité et leurs encouragements. Enfin je souhaite remercier Alexis Naxos, Geoffrey Yapi et Chloé Huet pour leur travail de relecture et leur soutien durant la rédaction de ce mémoire. 6 7 Jusqu’au bout de l’ennui Avant-propos « - Qu'est-ce que tu fais ? - Je m'ennuie. » Je suis assis devant mon ordinateur, le regard dans le vide, les bras croisés sur mon bureau. Tout est silencieux, seuls le bourdonnement des néons lumineux et le tic tac régulier de ma montre viennent troubler ce silence écrasant. Blasé, je décide de tenter l’expérience ultime d’un ennui numérique, avant de me plonger corps et âme dans la rédaction du mémoire. Déterminé, je lance la vidéo du youtubeur CemCem « Regarder dans un miroir pendant 10 heures ». J’observe durant de longues minutes le visage stoïque du youtubeur. Soudain j’aperçois une mouche dans le décor du vidéaste, elle vole vite. Elle prend de la hauteur, virevolte, se pose et repart. Elle sort du cadre, revient et marche sur les murs, puis sur le miroir de l’armoire. Je me demande à quoi elle peut bien penser. À chercher de quoi se sustenter ? Ou peut-être juge-t-elle la performance du youtubeur ? Est-ce que les mouches s’ennuient ? Mon téléphone vibre, c’est encore une notification Facebook, je scrolle pendant quelques minutes par automatisme. Des chuchotements viennent me perturber, je décide de ranger mon portable. Le silence revient, mon regard se perd de nouveau dans cette vidéo hypnotisante. Je fixe l’imposante armoire. Je commence à voir un visage, dans les formes et le relief du bois de celle-ci. Je soupçonne mon esprit de vouloir tellement s’échapper, qu’il me donne à voir des choses qui n’existent pas. Je ferme les yeux un instant. Des silhouettes abstraites sont en train de marcher devant moi. C’est très étrange. Et si étrange que cela puisse paraitre, c’est tellement réaliste que cela en devient magnifique. J’ouvre les yeux, le sourire aux lèvres. J’ai dû m’endormir. Je vérifie l’heure, il s’est passé cinq minutes. Mon voisin de bureau se tourne vers moi. CemCem, Regrader dans un miroir pendant 10 heures, 2019. https://youtu.be/EzKSaX76358 1 1 De l’ennui au divertissement p.13 1.1 La nature de l’ennui 1.2 Le phénomène de l’ennui et du divertissement 1.3 L’échec du divertissement numérique ? Généralisation et domestication d’un ennui numérique p.59 2.1 L’ennui comme marqueur d’individualité ? 2.2 Un nouveau regard sur l’ordinaire 2.3 Le désœuvrement à l’origine L’ennui moderne comme l’expérience de l’être p.115 3.1 Ennui et temporalité 3.2 La plénitude du rien 3.3 Dérive d’un ennui interminable Conclusion p.157 Bibliographie p.161 Introduction p.10 Sommaire Boredom Proness Scale p.175 10 11 Émergeant d’un questionnement personnel sur le rapport entre l’ennui et le divertissement sur internet, ce mémoire prend place dans un discours théorique et parfois philosophique sur notre attitude devant l’ennui, au sein d’une société hyper connectée, génératrice de divertissement en perpétuelle mutation. Pourquoi fuyons-nous l’ennui ? Si s’ennuyer est une expérience universelle, elle n’en reste pas moins désagréable. Nous avons tous déjà vécu l’abattement d’un désœuvrement profond. Un ennui volatile, qui s’immisce de manière insidieuse et indicible dans notre être. Nous ne savons pas quand et comment il s’empare de nous et nous ne savons pas à quel moment précis il nous quitte. La difficulté de l’ennui, c’est qu’il nous confronte au vide de notre existence, à notre propre finitude. Souvent banalisé, nous ne prêtons pas vraiment attention à lui, pourtant nous cherchons à le fuir en permanence. L’humanité le fuit depuis toujours. Nous ferions n’importe quoi pour ne pas nous ennuyer, puisque tout semble meilleur que l’ennui, même la souffrance. Il y a alors une forme d’urgence, de nécessité à le fuir. Toutefois, l’idée que l’ennui serait « naturellement mauvais » pour l’homme doit être nuancée dans la mesure où, depuis quelques temps, certains psychanalystes affirment fermement que s’ennuyer est bon pour l’esprit et la santé mentale. Stimulateur de créativité, il permet également de faire l’expérience de l’introspection. L’ennui plutôt que de nous abattre serait-il en réalité le remède miracle pour soigner tous nos maux ? Tantôt mauvais tantôt bon, comment faire l’étude d’un phénomène aussi subjectif ? Tout le monde semble avoir un avis bien tranché sur l’ennui. Il n’est pas rare d’entendre au milieu d’une conversation, des experts autoproclamés du désœuvrement quotidien. Si bien que l’ennui est à la mode. En témoigne l’avalanche d’articles, de vidéos sur internet et les réseaux sociaux, regroupant quantité d’analyses et d’études qui approuvent et vantent les mérites d’un désœuvrement introspectif. L’ennui invisible qui se niche dans le creux de notre quotidien se retrouve peu à peu montré du doigt et notre attention semble de plus en plus tirée vers celui-ci. Déterminant dans notre rapport à l’ennui, le divertissement sur internet sera la toile de fond de ce mémoire. Ce contexte nous amènera à établir un état des lieux de notre société hyper connectée, en questionnant l’ennui sur le terrain de la distraction numérique. Dans un premier temps, nous essaierons de définir la nature de l’ennui à travers son évolution historique et des nombreuses théories et débats philosophiques gravitant autour de ce phénomène. Nous interrogerons ensuite notre attitude devant le divertissement numérique en perpétuelle transformation, face à l’émergence d’un ennui de saturation. Puis dans un second temps, nous allons observer les représentations et les caractéristiques, bien particulières, de l’ennui dans le divertissement. Nous constaterons que les mutations sur le divertissement numérique, engendrées par l’ennui, sont bien plus profondes qu’on ne le pense. Enfin, nous examinerons cette nouvelle culture de la perte de temps qui émerge sur internet, en questionnant la valeur de l’ennui dans le divertissement. Ainsi nous évoquerons la possibilité d’un éventuel danger à vivre son ennui sur un écran. Jusqu’au bout de l’ennui Introduction De l’ennui au divertissement Chapitre 1 1.1 La nature de l’ennui 1.2 Le phénomène de l’ennui et du divertissement 1.3 L’échec du divertissement numérique ? 14 15 1.1 La nature de l’ennui Comment définir le phénomène de l’ennui ? Pour commencer tournons-nous vers son évolution historique. Pour cela nous nous appuierons sur la Petite philosophie de l’ennui du philosophe Lars Svendsen, qui retrace en détail l’histoire de l’ennui. Selon lui, l’apparition de la première forme d’ennui se situe vers l’antiquité. Sous le nom d’akèdia, ce terme était utilisé pour qualifier un « manque de soin » dans sa vie spirituelle. De l’akèdia antique nous passons rapidement à l’acédie moyenâgeuse, qui considérait cet état de désœuvrement et d’indifférence comme un péché puisqu’il était accusé d’être à l’origine des révoltes et des infractions comme les délits ou encore les crimes. À cette époque l’acédie était caractérisée par le dégoût de l’existence et une apathie du cœur et de l’âme. Très présente chez les moines, l’acédie était vue comme la marque du démon. C’est ce qu’explique le philosophe Lars Svendsen : Il s’attaque aux moines en plein jour en leur donnant l’impression que le soleil reste immobile. En cet état, les choses semblent vouloir s’imposer aux hommes et paraissent complètement dépourvues d’âme. Le démon parvient à faire détester au moine l’endroit où il se trouve et jusqu’à la vie qu’il mène. Il le pousse à se souvenir de sa vie passée et de tous les plaisirs qu’il a connus avant son entrée dans les ordres, et tente de lui faire quitter la vie monacale. Selon Évagre le Pontique, celui qui peut résister à l’acédie par la fermeté d’esprit et la patience pourra résister à tous les autres péchés et connaîtra ainsi la joie . Svendsen, Lars. Petite philosophie de l’ennui. Fayard, 2003. Ibid. Chapitre 1. De l’ennui au divertissement 2 Melencolia I, Albrecht Dürer. Gravure sur cuivre. 239 × 168 mm, 1514. Fig.1 2 3 3 16 17 états ont installé les bases de l’ennui. L’apparition du concept de l’ennui dans la littérature française daterait du milieu du XIIe siècle . L’ennui proviendrait étymologiquement du déverbal de ennuyer, dérivé du bas latin inodiāre , formé sur l’expression in odio esse « être un objet de haine » du latin classique. L’ennui demeurait alors intimement lié à un malheur, une douleur morale associée à la morosité ou encore à une haine envers le monde et soi même. Progressivement la douleur de l’ennui va s’adoucir pour se transformer en une lassitude, une impression de vide. Il aura ensuite fallu attendre le XVIIe siècle, pour voir éclore une des premières grandes théories de l’ennui, celle des Pensées de Blaise Pascal. Le philosophe englobe toutes les diverses activités humaines uploads/s1/ dsaa-boulogne-2020-maxime-petit-memoire.pdf
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- Publié le Jan 27, 2022
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