13 12 Les Journées Charles Bordes / Tours • 9 & 11 décembre 2016 le collectage
13 12 Les Journées Charles Bordes / Tours • 9 & 11 décembre 2016 le collectage sur le territoire français à l’édition par un périodique trimestriel – Chansons de France, sous-ti- tré « revue de musique populaire » (1907-1913) – sans omettre la diffusion au concert. Selon Bordes, ces trois champs d’action doivent insuffler de la vie à « cette sorte de musée musical, [qui, par] la propagande, l’édition et le concert a tenu une grande place7 ». Le premier concert se déroule le 25 décembre 1905 avec le concours des Chanteurs de Saint-Gervais et d’Yvette Guilbert, « la princesse de nos chansons de France, qui (…) après avoir illustré le café-concert, vient de consacrer tout son grand talent et son initiative à la chanson popu- laire française et à la remise en honneur des chansons de nos pères8 ». Approchée par Bordes pour participer au Congrès de Montpellier, la chanteuse-diseuse en sera empêchée au vu de l’agenda de ses tournées. L’organe de la Schola précise les stratégies de distinction que la Société développe, guidée par des prescriptions morales. La chanson en milieu urbain est en effet reléguée au pro- fit de « la remise en honneur de la véritable chanson française dans ce qu’elle a de plus rare et de plus artistique, et en même temps le combat contre la mauvaise chanson et l’art frelaté qui nous inonde surtout au café-concert9 ». Le Congrès du chant populaire à Montpellier « Vous avez dit "populaire"» ?10 La question posée par Pierre Bourdieu en 1983 fait voler en éclat la notion de langage populaire, née selon lui de l’application de catégo- ries mythiques (le haut et le bas) qui structurent le monde social. Le sociologue part du constat de suspicion dès lors qu’on interroge une « notion touchant de près ou de loin au "peuple" s’expose à être immédiatement identifiée à une agression symbolique contre la réalité désignée (…). Il en est ainsi de la notion de langage populaire qui, à la façon de toutes les locutions de la même famille (" cultures populaires", "art populaire", "religion populaire", etc.) n’est défini que relationnellement, comme l’ensemble de ce qui est exclu de la langue légitime11 ». En 1906, à Montpellier, le choix de l’épithète [Congrès du chant] « populaire » revêt-il un sens social, culturel, à l’instar de la collection lancée par Fayard, « Le livre populaire » (1905) ? Par sa programmation et ses moda- lités de médiation, quelle place accorde le Congrès aux pratiques encore exclues de la culture musicale « légi- time » ? Légitime car véhiculée par le concert, les scènes lyriques et conservatoires, en sus de la presse spécialisée et de l’édition musicale. 7 C. BORDES, « Introduction à L’Action régionale de la Schola, reproduit par J. de Muris, 1906 / n°1, p. 21-23. 8 Idem. 9 GALLUS, p. 20 10 Pierre BOURDIEU, «Vous avez dit « populaire » ? », L’usage de la parole, Actes de la recherche en sciences sociales, 1983, n°46, p. 98-105. 11 Idem, p. 98 En préliminaire, il convient de s’interroger sur le choix de Montpellier pour ce Congrès. Lieu de repli de Bordes pour raison de santé (au mas San Genès), Montpellier est la plus ancienne université de France, qui, en 1869, crée la première chaire d’études romanes et une revue travaillant sur des thématiques patrimoniales comme la canso des trou- badours. C’est également un Evêché actif sous Mgr de Cabrières, « Blanc du Midi » au fort ancrage méridional, déjà approché par Bordes lors de ses premiers concerts montpelliérains (1901). C’est dans la cité que Charles Comte a grandi avant de fonder la pensée positiviste qui guide les républicains depuis l’ère Ferry. Par ailleurs, la ville abrite la maintenance du Félibrige, mouvement dynamique qui maille le territoire de langue occitane depuis près d’un demi-siècle. Dans la mouvance du Félibrige latin, le jeune Jean Charles-Brun, père de la pensée régionaliste, vient de fonder la Fédération régionale française (1900) avant d’être invité au Congrès par Bordes. En mairie, les républicains alternent depuis le dernier tiers du XIXe siècle, le maire est alors issu du parti radical-socialiste, dont les opinions anti- cléricales sont identifiées. Les infrastructures musicales de la préfecture de l’Hérault sont à la mesure de la richesse économique générée par les secteurs de pointe (viticulture et chimie). Les riches saisons lyriques du Grand-Théâtre sont complétées par la première association de concert (Société des concerts symphoniques de Montpellier) qui vient de péricliter en mai 1903, laissant une place vacante. En créant in situ une saison de concert (décembre 1902), puis l’antenne montpelliéraine de la Schola (novembre 1905) rue Saint-Ravy12, en la dotant d’un périodique dédié, L’Action régionale de la Schola, Bordes met en œuvre la décentralisation culturelle sur un territoire déjà fécondé. Dans le premier numéro de L’Action régionale, tandis que Déodat de Séverac énonce un manifeste, « le Renouveau de la chanson populaire », Bordes déclare se dédier à cette mission selon une rhétorique quasi apostolique. 12 Dans l’ancien hôtel de Jacques d’Aragon, d’architecture gothique. Le Mas San Genes, demeure Montpellieraine de Charles Bordes (Coll. part.) « Une propagande plus raisonnée s’impose, et aux Assises musicales qui, à plusieurs reprises, ont amené dans une ville donnée tous les amateurs de musique d’une région entière, comme autrefois en Avignon, à Bruges et encore tout récemment à Clermont, doit s’imposer la création d’un foyer régional opérant en petit ce que Paris a fait en grand et portant tour à tour ses forces dans tous les centres importants et évangélisables de sa région. C’est ce que j’ai cru devoir entreprendre en me fixant à Montpellier et en y créant la Schola de Montpellier et ses concerts13 ». Le même champ lexical de prosélytisme chrétien surgit de son article programmatique : « Une action parallèle entre toutes les villes du Bas- Languedoc doit être établie. C’est ce que j’ai essayé de faire entre Montpellier et Nîmes (…) l’action doit être tentée également à Cette (Sète, Ndlr) et à Béziers et s’étendre même jusqu’à Perpignan (…). Grâce à ces ef- forts combinés et à cette action parallèle établie, le goût musical sera développé dans tous les centres régionaux et la croyance en la Schola imposée. Il en ressortira, je l’espère, dans les esprits, un discernement entre le bon et le frelaté en musique et une disposition meilleure à s’adonner aux belles œuvres et à leur commerce14 ». Cette dernière prescription est partagée par son complice Séverac, natif du Lauragais (Languedoc). Leur logique de distinction n’exclut cependant pas la mise en œuvre d’une double orientation qui singularise le Congrès. En juxtaposant le chant religieux et profane sous la bannière fédératrice du « chant populaire », leur démarche franchit une étape décisive, quelques mois après la séparation de l’Église et de l’État15. Le comité d’honneur du Congrès est d’ailleurs diplomatiquement réparti entre Mgr de Cabrières et Frédéric Mistral, capoulié du Félibrige, tandis qu’Emma Calvé, étoile de la 13 Charles BORDES, « Introduction » L’Action régionale de la Schola, n°1, mai 1906, p. 23. 14 Charles BORDES, L’Action régionale de la Schola, n° 1. 15 Loi votée par l’Assemblée le 3 juillet 1905 et au Sénat le 6 décembre 1905. scène lyrique récemment installée à Montpellier, parraine le concert de gala. « Ce congrès, consacré essentiellement au chant populaire dans ses manifestations les plus vivantes et les plus artistiques, comportera deux séries, l’une religieuse traitant du chant populaire à l’église (plain- chant, noëls, cantiques), et l’autre profane, traitant de la chanson populaire au foyer et dans la vie, et plus particulièrement du chant populaire de langue d’oc16 ». Effectivement, le répertoire religieux programmé (cf. l’article de Xavier Bisaro) apparaît « populaire » pour les acteurs du Congrès selon l’usage courant et familier que précise le Grand dictionnaire Larousse. Mais sa médiation demeure cantonnée, même dans l’espace éc- clésial, puisqu’il est entonné au sein de la liturgie catho- lique romaine (en messes d’ouverture et de clôture du Congrès) dans une ville cependant marquée par le plura- lisme des confessions, notamment protestantes et juives. Le second volet de programmation du Congrès – la chan- son profane – serait-il « populaire » ? C’est à nouveau la dimension historique qui croise l’essence « tradition- nelle » du chant. Lorsque la vitalité du chant populaire s’exprime au XIXe siècle en zone rurale, elle tend à s’essouffler avec l’exode vers les villes et l’uniformisation linguistique imposée par l’école. Sous l’égide félibréenne, des manifestations culturelles promeuvent les traditions occitanes dans les ex sièges des États du Languedoc : les Jeux floraux à Toulouse, les Fêtes latines (1878), les concours du centenaire Fabre (1884) et Moquin-Tandon (1896) à Montpellier. En revanche, peu de valorisation de l’aire languedocienne passe par l’édition à l’excep- tion de deux chansonniers en fin de siècle17. Deux mois avant le Congrès, Bordes présente sa vision historisante de la chanson française, depuis la Renaissance jusqu’à la contemporanéité d’Indyste. Le « pittoresque » serait le fils d’Ariane de la tradition française dans une optique gallicane, qui n’est néanmoins pas nationaliste : Mais dès que uploads/s1/ congres-du-chant-de-montpellier-1906.pdf
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- Publié le Aoû 03, 2021
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